La Vierge de l'Annonciation d'Oustioug
(Novgorod, XIIe sičcle)
(Novgorod, XIIe sičcle)
HOMÉLIE AU CONCILE DÉPHČSE (431) Saint Cyrille d'Alexandrie
HOMÉLIE POUR LA NATIVITÉ DE LA VIERGE MARIE Saint Jean Damascčne
HOMÉLIE SUR LANNONCIATION Saint Nicolas Cabasilas
LA DORMITION DE LA MČRE DE DIEU par Vladimir Lossky
LE DOGME DE L'IMMACULÉE CONCEPTION par Vladimir Lossky
LICÔNE DE LA MČRE DE DIEU par Mgr Antoine (Bloom)
ACTUALITÉ DE LA MČRE DE DIEU par le pčre Michel Quenot
HOMÉLIE AU CONCILE D’ÉPHČSE (431)
Saint Cyrille d'Alexandrie
Nous te saluons,
sainte Trinité mystérieuse, qui nous as tous convoqués dans cette Église de
sainte Marie Mčre de Dieu !Nous te saluons, Marie, Mčre de Dieu, trésor sacré de tout l'univers, astre sans déclin, couronne de la virginité, sceptre de la foi orthodoxe, temple indestructible, demeure de l'incommensurable, Mčre et Vierge, ŕ cause de qui est appelé béni dans les saints Évangiles, celui qui vient au nom du Seigneur.
Nous te saluons, toi qui as contenu dans ton sein virginal celui que les cieux ne peuvent contenir ; toi par qui la Trinité est glorifiée et adorée sur toute la terre ; par qui le ciel exulte ; par qui les anges et les archanges sont dans la joie ; par qui les démons sont mis en déroute ; par qui le tentateur est tombé du ciel ; par qui la créature déchue est élevée au ciel ; par qui le monde entier, captif de l'idolâtrie, est parvenu ŕ la connaissance de la vérité ; par qui le saint baptęme est accordé ŕ ceux qui croient, avec l'huile d'allégresse ; par qui, sur toute la terre, les Églises ont été fondées ; par qui les nations paďennes sont amenées ŕ la conversion.
Et que dirai-je encore ? C'est par toi que la lumičre du Fils unique de Dieu a brillé pour ceux qui demeuraient dans les ténčbres et dans l'ombre de la mort ; c'est par toi que les prophčtes ont annoncé l'avenir, que les Apôtres proclament le salut aux nations, que les morts ressuscitent, et que rčgnent les rois, au nom de la sainte Trinité.
Y a-t-il un seul homme qui puisse célébrer dignement les louanges de Marie ? Elle est mčre et vierge ŕ la fois. Quelle merveille ! Merveille qui m'accable ! Qui a jamais entendu dire que le constructeur serait empęché d'habiter le temple qu'il a lui-męme édifié ? Osera-t-on critiquer celui qui donne ŕ sa servante le titre de Mčre ?
Voici donc que le monde entier est dans la joie. Qu'il nous soit donné de vénérer et d'adorer l'unité , de vénérer et d'honorer l'indivisible Trinité en chantant les louanges de Marie toujours Vierge, c'est-ŕ-dire du saint temple, et celles de son Fils et de son Époux immaculé : car c'est ŕ lui qu'appartient la gloire pour les sičcles des sičcles. Amen.
HOMÉLIE POUR LA NATIVITÉ DE LA VIERGE
MARIE
Saint Jean Damascčne
Puisque la Vierge Mčre
de Dieu devait naître de sainte Anne, la nature n'a pas osé anticiper sur la
grâce : la nature demeura stérile jusqu'ŕ ce que la grâce eűt porté son
fruit. Il fallait qu'elle naisse la premičre, celle qui devait enfanter le
premier-né antérieur ŕ toute créature, en qui tout subsiste. Joachim et Anne,
heureux votre couple ! Toute la création est votre débitrice. C'est par
vous, en effet, qu'elle a offert au Créateur le don supérieur ŕ tous les dons,
une mčre toute sainte, seule digne de celui qui l'a créée.Réjouis-toi, Anne, la stérile, toi qui n'enfantais pas ; éclate en cris de joie, toi qui n'as pas connu les douleurs. Réjouis-toi, Joachim : par ta fille un enfant nous est né, un fils nous a été donné. On proclame son nom : Messager du grand dessein de Dieu, qui est le salut de tout l'univers, Dieu fort. Oui, cet enfant est Dieu. Joachim et Anne, heureux votre couple, et parfaitement pur ! On vous a reconnus grâce ŕ votre fruit, selon cette parole du Seigneur : Vous les reconnaîtrez ŕ leurs fruits. Vous avez eu une conduite agréable ŕ Dieu et digne d’elle que vous avez engendrée. Ŕ cause de votre vie chaste et sainte, vous avez produit le joyau de la virginité, celle qui devait ętre vierge avant l'enfantement, vierge en mettant au monde, vierge aprčs la naissance ; la seule toujours Vierge d'esprit, d'âme et de corps.
Joachim et Anne, couple trčs chaste ! En observant la chasteté, cette loi de la nature, vous avez mérité ce qui dépasse la nature : vous avez engendré pour le monde celle qui sera, sans connaître d'époux, la Mčre de Dieu. En menant une vie pieuse et sainte dans la nature humaine, vous avez engendré une fille supérieure aux anges, qui est maintenant la Souveraine des anges.
Enfant trčs gracieuse et trčs douce ! Fille d'Adam et Mčre de Dieu ! Heureux ton pčre et ta mčre ! Heureux les bras qui t'ont portée ! Heureuses les lčvres qui, seules, ont reçu tes chastes baisers pour que tu demeures toujours parfaitement vierge.
Acclamez Dieu, terre entičre, sonnez, dansez, jouez. Élevez la voix, élevez-la, ne craignez pas !
HOMÉLIE SUR L’ANNONCIATION
Ŕ LA TRČS SAINTE MČRE DE DIEU
ET TOUJOURS VIERGE MARIE (extraits)
Ŕ LA TRČS SAINTE MČRE DE DIEU
ET TOUJOURS VIERGE MARIE (extraits)
Saint Nicolas Cabasilas
S’il fallut jamais que
l’homme se réjouît et dansât et chantât de joie, s’il y eut un instant que l’on
doive célébrer avec grandeur et éclat, s’il faut pour cela demander la hauteur
de l’esprit, la beauté du discours et l’élan des paroles, je n’en connais pas
d’autre que ce jour oů un ange vint du ciel annoncer tout bien ŕ la terre.
Maintenant le ciel est en fęte, maintenant resplendit la terre, maintenant la
création tout entičre se réjouit et celui-lŕ męme qui tient les cieux en sa
main n’est pas absent de la fęte – car ce qui a lieu aujourd’hui est bien une
panégyrie, une célébration universelle. Tous s’y rassemblent en une figure
unique, en une męme joie, dans ce męme bonheur qui survient pour tous : et pour
le Créateur, et pour toutes ses créatures et pour la mčre elle-męme du
Créateur, celle qui a fait de lui un participant de notre nature, de nos
assemblées et de nos fętes. […]La Vierge s’offrit d’elle-męme et fut l’ouvričre de ce qui attira l’artisan vers la terre et mit en mouvement sa main créatrice. Qu’est-ce donc ? Ce furent sa vie toute-pure, le renoncement ŕ tout péché, l’exercice de toute vertu, l’âme plus pure que la lumičre, le corps en tout spirituel, plus lumineux que le soleil, plus pur que le ciel, plus saint que le trône des chérubins ; un envol de l’esprit ne craignant aucune hauteur, surpassant męme les ailes des anges ; un désir de Dieu anéantissant tout emportement de l’âme ; une prise de possession par Dieu, une intimité avec Dieu excluant toute pensée créée. Ayant orné son âme et son corps de tant de beauté, elle attira le regard de Dieu et révéla la beauté de notre commune nature par sa propre beauté ; elle a ainsi attiré l’impassible, et celui que l’homme avait rebuté par le péché est devenu Homme par la Vierge. […]
Lorsque vint le moment oů parut celui qui apportait l’annonce, elle crut, fit confiance et accepta le service. Car c’est cela qui était nécessaire, et il le fallait en tout cas pour notre salut. Si en effet elle n’en avait pas été capable, la Bienheureuse n’aurait pu voir la bienveillance de Dieu pour l’homme, car il n’aurait pas désiré descendre sans qu’il y eűt quelqu’un pour le recevoir, quelqu’un qui fűt capable de servir l’économie du salut – et la volonté de Dieu sur nous n’aurait pas pu passer en acte si la Vierge n’avait pas cru et acquiescé. Et la preuve en est que Gabriel s’est réjoui lorsque, s’adressant ŕ elle et l’appelant pleine de grâce, il lui expliqua tout le mystčre (Lc 1,26-33). Mais Dieu ne descendit pas sans que la Vierge eűt demandé ŕ savoir de quelle maničre elle enfanterait. Dčs qu’il l’eut persuadée, dčs qu’elle eut accepté la requęte, tout l’oeuvre se réalisa aussitôt : Dieu revętit l’homme et la Vierge devint Mčre de son Créateur.
Si la Toute-Pure a observé devant Dieu tout ce qu’il faut observer, si elle s’est montrée aussi sainte comme homme sans rien omettre de ce qui se doit, comment n’eűt-elle pas convenu ŕ Dieu ? Et si rien n’a échappé ŕ la Vierge de ce qui pouvait la désigner comme Mčre de Dieu, si elle en a conçu un ardent amour pour lui, encore plus Dieu devait-il observer le juste retour et devenir son Fils. lui qui donne aux princes méchants selon leur cœur, comment n’aurait-il pas pris comme mčre celle qui s’était montrée en tout selon son désir ? C’est ainsi que ce don fut approprié et convenable en tout pour la Bienheureuse. C’est pourquoi, pour lui annoncer clairement qu’elle allait enfanter Dieu, Gabriel lui dit : Il régnera pour les sičcles sur la maison de Jacob et son rčgne n’aura pas de fin (Lc 1,33). Comme si ce qu’elle venait d’apprendre n’était ni étrange ni inhabituel, elle reçut cette annonce avec joie. Et d’une voix bienheureuse, l’âme exempte de trouble et dans le calme des pensées, elle répond : Voici la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ! (Lc 1,38).
Tels furent ses mots, et la réalité suivit : Et le Verbe est devenu chair, et il a fait son habitation en nous (Jn 1,14). Ayant donné sa réponse ŕ Dieu, elle en reçut l’Esprit, artisan de cette chair consubstantielle ŕ Dieu. Sa voix fut une voix puissante, comme le dit David (cf. Ps 67,34), et le Verbe du Pčre fut formé par le verbe d’une mčre, le Créateur par la voix d’une créature. Et de męme que Dieu dit : Que la lumičre soit !, et aussitôt la lumičre fut (Gn 1,3), de męme la vraie lumičre se leva ŕ la voix de la Vierge, et Il s’unit ŕ la chair et fut enfanté, Celui qui illumine tout homme venant en ce monde (Jn 1, 9).
Ô voix sainte ! Ô majesté de tes paroles puissantes ! Ô bouche bienheureuse rassemblant de l’exil l’univers entier ! Ô trésor de ce cœur qui déverse en quelques mots sur nous l’abondance de ses biens ! Ces mots ont transformé la terre en ciel et vidé l’enfer de ses prisonniers, ils ont fait du ciel l’habitation des hommes, des anges leurs compagnons, ils ont fondu en un seul chœur la race des cieux et celle de la terre.
Quelle action de grâce t’adresserons-nous pour ces paroles ? Oh, que peut-on te dire, toi dont rien n’est digne parmi les hommes ? Nos paroles viennent de ce qui est, mais toi tu excčdes tout ce qui surpasse le monde. S’il faut te présenter des mots, ce doit ętre oeuvre des anges, oeuvre de l’intellect chérubique, oeuvre de langues de feu. Aussi pour parler dignement de ta puissance, ayant commémoré par la bénédiction ce qui est de toi, t’ayant chanté comme notre salut autant qu’il nous est possible, nous voudrions encore emprunter la voix des anges, et nous terminerons notre discours en t’honorant par ces mots de la salutation de Gabriel : Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi !
Nicolas Cabasilas, La
Mčre de Dieu :
Homélies sur la Nativité, sur l'Annonciation
et sur la Dormition de la Trčs-Sainte Mčre de Dieu,
trad. Jean-Louis Palierne, Éd. L'Âge d'homme, 1992.
Homélies sur la Nativité, sur l'Annonciation
et sur la Dormition de la Trčs-Sainte Mčre de Dieu,
trad. Jean-Louis Palierne, Éd. L'Âge d'homme, 1992.
LA DORMITION DE LA MČRE DE DIEU
par Vladimir Lossky
La fęte de la Dormition de la
Mčre de Dieu, connue en Occident sous le nom de l’Assomption, comprend deux
moments distincts mais inséparables pour la foi de l’Église : la mort et
l’ensevelissement de la Mčre de Dieu ; et sa résurrection et son ascension
. L’Orient orthodoxe a su respecter le caractčre mystérieux de cet événement
qui, contrairement ŕ la résurrection du Christ, n’a pas fait l’objet de la
prédication apostolique. En effet, il s’agit d’un mystčre qui n’est pas destiné
aux oreilles de " ceux de l’extérieur ", mais se révčle ŕ la
conscience intérieure de l’Église. Pour ceux qui sont affermis dans la foi en
la résurrection et l’ascension du Seigneur, il est évident que, si le Fils de
Dieu avait assumé sa nature humaine dans le sein de la Vierge, celle qui a
servi ŕ l’Incarnation devait ŕ son tour ętre assumée dans la gloire de son Fils
ressuscité et monté au ciel. Ressuscite,
Seigneur, en ton repos, toi et l’Arche de ta sainteté (Ps 131, 8, qui revient ŕ maintes
reprises dans l’office de la Dormition). " Le cercueil et la
mort " n’ont pas pu retenir " la Mčre de la vie "
car son Fils l’a transférée dans la vie du sičcle futur (kondakion).
La glorification de la Mčre est une conséquence directe de l’humiliation
volontaire du Fils : le Fils de Dieu s’incarne de la Vierge Marie et se fait
" Fils de l’homme ", capable de mourir, tandis que Marie,
en devenant Mčre de Dieu, reçoit la " gloire qui convient ŕ
Dieu " (vępres, ton 1) et participe, la premičre parmi les ętres
humains, ŕ la déification finale de la créature. " Dieu se fit homme,
pour que l’homme soit déifié " (S. Irénée, S. Athanase, S. Grégoire
de Nazianze, S. Grégoire de Nysse [PG 7, 1120 ; 25, 192 ; 37, 465 ; 45, 65] et d’autres Pčres de
l’Église). La portée de l’incarnation du Verbe apparaît ainsi dans la fin de la
vie terrestre de Marie. " La Sagesse est justifiée par ses
enfants " : la gloire du sičcle ŕ venir, la fin derničre de
l’homme est déjŕ réalisée, non seulement dans une hypostase divine incarnée,
mais aussi dans une personne humaine déifiée. Ce passage de la mort ŕ la vie,
du temps ŕ l’éternité, de la condition terrestre ŕ la béatitude céleste,
établit la Mčre de Dieu au-delŕ de la résurrection générale et du jugement
dernier, au-delŕ de la parousie qui mettra fin ŕ l’histoire du monde. La fęte
du 15 aoűt est une seconde Pâque mystérieuse, puisque l’Église y célčbre, avant
la fin des temps, les prémices secrčtes de sa consommation eschatologique. Ceci
explique la sobriété des textes liturgiques qui laissent entrevoir, dans
l’office de la Dormition, la gloire ineffable de l’Assomption de la Mčre de
Dieu (l’office de " l’Ensevelissement de la Mčre de Dieu ",
17 aoűt, d’origine trčs tardive, est au contraire trop explicite : il est
calqué sur les matines du Samedi saint (" Ensevelissement du
Christ ").
La fęte de la Dormition est probablement d’origine hiérosolymitaine.
Cependant, ŕ la fin du IVesičcle, Éthérie ne la connaît pas encore.
On peut supposer néanmoins que cette solennité n’a pas tardé ŕ apparaître,
puisque au VIe sičcle,
elle est déjŕ répandue partout : S.
Grégoire de Tours est le premier témoin de la fęte de l’Assomption en Occident
(De gloria martyrum,Miracula I, 4 et 9 - PL 71, 708 et 713), oů
elle était célébrée primitivement en janvier. de missel de Bobbio et le
sacramentaire gallican indiquent la date du 18 janvier.) Sous l’empereur
Maurice (582-602) la date de la fęte est définitivement fixée au 15 aoűt
(Nicéphore Calliste,Hist. Eccles., 1.XVII, c. 28 - PG, 147, 292).
Parmi les premiers monuments iconographiques de l’Assomption, il faut
signaler le sarcophage de Santa Engracia ŕ Saragosse (début du IVe sičcle) avec une scčne qui est trčs
probablement celle de l’Assomption (Dom Cabrol, Dict. d’archéol. chrét., I,
2990-94) et un relief du VIesičcle, dans la basilique de
Bolnis-Kapanakéi, en Georgie, qui représente l’Ascension de la Mčre de Dieu et
fait pendant au relief avec l’Ascension du Christ (S. Amiranaschwili, Histoire de l’art géorgien (en russe, Moscou, 1950), p. 128 ). Le
récit apocryphe qui circulait sous le nom de S. Méliton (IIe sičcle), n’est pas antérieur au
commencement du V sičcle (PG, 5, 1231-1240). Il abonde en détails légendaires
sur la mort, la résurrection et l’ascension de la Mčre de Dieu, informations
douteuses que l’Église prendra soin d’écarter. Ainsi, S. Modeste de Jérusalem
(+634), dans son " Éloge ŕ la Dormition " - (Encomium,
PG 86, 3277-3312), est
trčs sobre dans les détails qu’il donne : il signale la présence des
Apôtres " amenés de loin, par une inspiration d’en haut ",
l’apparition du Christ, venu pour recevoir l’âme de sa Mčre, enfin, le retour ŕ
la vie de la Mčre de Dieu, " afin de participer corporellement ŕ
l’incorruption éternelle de celui qui l’a fait sortir du tombeau et qui l’a
attirée ŕ lui, de la maničre que lui seul connaît ". (Patrologia
Orientalis, XIX, 375-438.) L’homélie de S. Jean de Thessalonique (+vers
630) ainsi que d’autres homélies plus récentes – de S. André de Crčte, de S.
Germain de Constantinople, de S. Jean Damascčne (PG 97, 1045-1109 ; 98,
340-372 ; 96, 700-761) – sont plus riches en détails qui entreront aussi
bien dans la liturgie que dans l’iconographie de la Dormition de la Mčre de
Dieu.
Le type classique de la Dormition dans l’iconographie orthodoxe se borne,
habituellement, ŕ représenter la Mčre de Dieu couchée sur son lit de mort, au
milieu des Apôtres, et le Christ en gloire recevant dans ses bras l’âme de sa
Mčre. Cependant, quelquefois, on a voulu signaler également le moment de
l’assomption corporelle : on y voit alors, en haut de l’icône, au-dessus
de la scčne de Dormition, la Mčre de Dieu assise sur un trône dans la mandorle,
que les anges portent vers les cieux.
Sur notre icône (Paris, XXe sičcle),
le Christ glorieux entouré de mandorle regarde le corps de sa Mčre étendu sur
un lit de parade. Il tient sur son bras gauche une figurine enfantine revętue
de blanc et couronnée de nimbe : c’est " l’âme toute
lumineuse " (vępres, stichčre du ton 5) qu’il vient de recueillir.
Les douze Apôtres " se tenant autour du lit, assistent avec
effroi " (vępres, stichčre du ton 6) au trépas de la Mčre de Dieu. On
reconnaît facilement, au premier plan, S. Pierre et S. Paul, des deux côtés du
lit. Sur quelques icônes, on représente en haut, dans le ciel, le moment de
l’arrivée miraculeuse des Apôtres, rassemblés " des confins de la
terre sur les nues " (kondakion, ton 2). La multitude d’anges
présents ŕ la Dormition forme parfois une bordure extérieure autour de la
mandorle du Christ. Sur notre icône, les vertus célestes qui accompagnent le
Christ sont signalées par un séraphin ŕ six ailes. Trois évęques nimbés se
tiennent derričre les Apôtres. Ce sont S. Jacques, " le frčre du
Seigneur ", premier évęque de Jérusalem, et deux disciples des
Apôtres : Hiérothée et Denys l’Aréopagite, venus avec S. Paul (kondakion,
ton 2 ; voir le passage des Noms
divins du Pseudo-Denys sur la
Dormition : III, 2 PG, 3, 681). Au dernier plan, deux groupes de femmes
représentent les fidčles de Jérusalem qui, avec les 633 évęques et les Apôtres,
forment le cercle intérieur de l’Église oů s’accomplit le mystčre de la
Dormition de la Mčre de Dieu.
L’épisode d’Athonius, un Juif fanatique qui eut les deux mains coupées par
le glaive angélique, pour avoir osé toucher ŕ la couche funčbre de la Mčre de
Dieu, figure sur la plupart des icônes de la Dormition. La présence de ce
détail apocryphe dans la liturgie (tropaire de l’ode 3) et l’iconographie de la
fęte doit rappeler que la fin de la vie terrestre de la Mčre de Dieu est un
mystčre intime de l’Église qui ne doit pas ętre exposé ŕ la profanation :
inaccessible aux regards de ceux de l’extérieur, la gloire de la Dormition de
Marie ne peut ętre contemplée que dans la lumičre intérieure de la Tradition.
Article paru dans Le
Messager de l’Exarcat
du Patriarcat russe en Europe occidentale,
n° 27, juillet-septembre 1957.
du Patriarcat russe en Europe occidentale,
n° 27, juillet-septembre 1957.
LE DOGME DE L'IMMACULÉE CONCEPTION
par Vladimir Lossky
La Vierge royale,
revętue de vrai titres de gloire et de dignités,
na pas besoin dune fausse gloire.
Bernard
de Clairvaux
Certaines personnes, se laissant tromper par une ressemblance dexpressions
verbales ou par une fausse association didées, sont portées ŕ confondre
lenseignement de lÉglise romaine sur lImmaculée Conception de Marie avec le
dogme de la conception virginale de notre Seigneur Jésus Christ. Le premier de
ces enseignements, représentant une innovation du catholicisme romain, se
rapporte ŕ la naissance de la Vierge elle-męme, tandis que le second, trésor
commun de la foi chrétienne, concerne la Nativité de notre Seigneur Jésus
Christ, Ť Qui, pour nous hommes et pour notre salut est descendu des cieux
et sest incarné de lEsprit Saint et de Marie la Vierge, et sest fait
homme ť (Symbole de Foi de Nicée-Constantinople).
La doctrine de lImmaculée Conception prend son origine dans la dévotion
particuličre que certains milieux spirituels de lOccident séparé vouaient ŕ la
Vierge depuis la fin du XIIIe sičcle.
Elle fut proclamée Ť vérité révélée ť le 8 décembre 1854, par le pape
Pie IX motu proprio(sans
convocation de concile). Ce nouveau dogme fut promulgué dans lintention de
glorifier la Sainte Vierge, qui, en tant quinstrument de lIncarnation de
notre Seigneur, devient Coopératrice de notre rédemption. Daprčs cette
doctrine, elle jouirait dun privilčge particulier, celui dętre exemptée du
péché originel dčs le moment de sa conception par ses parents Joachim et Anne. Cette
grâce spéciale qui la ferait, pour ainsi dire, rachetée avant loeuvre de la
Rédemption, lui aurait été accordée en prévision du mérite futur de son Fils.
Pour sincarner et devenir Ť Homme parfait ť, le Verbe divin avait
besoin dune nature humaine, non contaminée par le péché : il fallait donc
que le vase dans lequel il assumait son humanité fűt pur de toute souillure,
purifié davance. De lŕ, selon les théologiens romains, la nécessité de pręter
ŕ la Vierge, bien que conçue naturellement et comme toute créature humaine, un
privilčge spécial, la plaçant en dehors de la postérité dAdam et la libérant
de la faute originelle commune au genre humain. En effet, daprčs le nouveau
dogme romain, la Sainte Vierge aurait participé, dčs le sein de sa mčre, ŕ létat
du premier homme avant le péché.
LÉglise orthodoxe qui a toujours rendu un culte particulier ŕ la Mčre de
Dieu, exaltée au-dessus des esprits célestes, Ť plus vénérable que les
chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins ť (hymne du
rite byzantin), na jamais admis du moins dans le sens que lui pręte lÉglise
de Rome le dogme de lImmaculée Conception. La définition :
Ť privilčge accordé ŕ la Vierge en vue du mérite futur de son Fils ť
répugne ŕ lesprit de lorthodoxie chrétienne ; elle ne peut accepter ce
juridisme outrancier qui efface le caractčre réel de loeuvre de notre
Rédemption, ne voyant en elle quun mérite abstrait du Christ, imputable ŕ une
personne humaine avant la Passion et la Résurrection, avant męme lIncarnation
du Christ et ceci par décret spécial de Dieu. Si la Sainte Vierge pouvait jouir
des effets de la Rédemption avant loeuvre rédemptrice du Christ, on ne voit
pas pourquoi ce privilčge naurait pu ętre étendu ŕ dautres personnes, ŕ tout
le lignage du Christ, par exemple, ŕ toute cette postérité dAdam, qui
contribua de génération en génération ŕ préparer la nature humaine assumée par
le Verbe dans le sein de Marie. En effet, cela eűt été logique et conforme ŕ
lidée que nous avons de la bonté de Dieu, et pourtant labsurdité dune telle
conjecture est éclatante une humanité jouissant dun Ť non-lieu ť
malgré sa chute, sauvée davance et attendant, néanmoins loeuvre de son salut
par le Christ ! Ce qui semble absurde, appliqué â toute lhumanité
antérieure au Christ, ne lest pas moins lorsquil sagit dun seul ętre
humain. Le contresens napparaît que plus manifeste : afin que loeuvre de
la Rédemption pűt saccomplir pour toute lhumanité, il fallait quelle
saccomplit, au préalable, pour lun de ses membres. Autrement dit, pour que la
Rédemption eűt lieu, il fallait quelle existât déjŕ, que quelquun jouît
davance de ses fruits.
On nous répondra sans doute que ceci est légitime lorsquil sagit dun
ętre aussi exceptionnel que la Sainte Vierge, prédestinée ŕ servir dinstrument
ŕ lIncarnation et, par cela męme, ŕ la Rédemption. Dans une certaine mesure
ceci est vrai : la Vierge qui enfanta sans tache le Verbe, vrai Dieu et
vrai homme, ne fut pas un ętre ordinaire. Mais peut-on la séparer dune maničre
aussi absolue, dčs le moment de sa conception par Joachim et Anne, du reste de
la postérité dAdam ? En lisolant ainsi ne court-on pas le risque de
déprécier toute lhistoire de lhumanité avant le Christ, dabolir le sens męme
de lAncien Testament, qui fut une attente messianique, une préparation
progressive de lhumanité ŕ lIncarnation du Verbe ? En effet, si lIncarnation
nétait conditionnée que par le privilčge accordée ŕ la Vierge Ť en vue du
mérite de son Fils ť, la venue du Messie dans le monde pouvait saccomplir
ŕ nimporte quel autre moment de son histoire ; ŕ nimporte quel moment
Dieu pouvait, par un décret spécial qui naurait dépendu que de larbitraire
divin, créer linstrument immaculé de son Incarnation, sans tenir compte de la liberté
humaine dans les destinées du monde déchu ? Pourtant, lhistoire de
lAncien Testament nous apprend autre chose : le sacrifice volontaire
dAbraham, les souffrances de Job, loeuvre des prophčtes, toute lhistoire
enfin du peuple élu avec ses ascensions et ses chutes, nest pas seulement un
assemblage de préfigurations du Christ, mais aussi une épreuve incessante de la
liberté humaine répondant ŕ lappel divin, fournissant ŕ Dieu, dans cet
acheminement lent et laborieux, les conditions humaines nécessaires ŕ
laccomplissement de sa promesse.
Toute lhistoire biblique se découvre ainsi comme une préparation de
lhumanité ŕ lIncarnation, ŕ cette Ť plénitude des temps ť, lorsque
lange fut envoyé pour saluer Marie et recueillir de ses lčvres les paroles de
consentement de lhumanité ŕ ce que le Verbe se fît chair : Voici la servante de Dieu, quil me
soit fait selon ta parole (Lc
1, 38).
Nicolas Cabasilas, un théologien byzantin du XIVe sičcle, disait dans son homélie
sur lAnnonciation : Ť LIncarnation fut non seulement loeuvre du
Pčre, de sa Vertu et de son Esprit, mais aussi loeuvre de la volonté et de la
foi de la Vierge. Sans le consentement de lImmaculée, sans le concours de la
foi, ce dessein était aussi irréalisable que sans lintervention des trois
Personnes divines elles-męmes. Ce nest quaprčs lavoir instruite et
persuadée, que Dieu la prend pour Mčre, et lui emprunte la chair quelle veut
bien lui pręter. De męme quil incarnait volontairement, de męme voulait-il que
sa Mčre lenfantât librement et de son plein gré (édition Jugie, Patrologia orientalis, XIX, 2).
Si la Sainte Vierge avait été isolée du reste de lhumanité par un
privilčge de Dieu lui conférant davance létat de lhomme avant le péché,
alors son consentement libre ŕ la volonté divine, sa réponse ŕ larchange
Gabriel, perdraient le lien de solidarité historique avec les autres actes qui
contribučrent ŕ préparer, au long des sičcles, lavčnement du Messie ;
alors serait rompue la continuité avec la sainteté de lAncien Testament qui
s’accumulait de génération en génération pour s’achever enfin en la personne de
Marie, Vierge toute pure dont l’humble obéissance devait franchir le dernier
pas qui, du côté humain, rendait possible l’oeuvre de notre salut. Le dogme de
l’Immaculée Conception, tel quil est formulé par lÉglise romaine, déchire
cette sainte continuité des justes ancętres de Dieu qui trouve son terme final
dans le Ecce ancila Domini.Lhistoire
dIsraël perd son sens intrinsčque, la liberté humaine est privée de toute sa
valeur et la venue męme du Christ qui seffectuerait en vertu dun décret
arbitraire de Dieu, reçoit le caractčre dune apparition de deus ex machina, faisant irruption dans lhistoire
humaine. Tels sont les fruits dune doctrine artificielle et abstraite qui, en
voulant glorifier la Vierge, la prive de son lien intime, profond, avec
lhumanité et, en lui conférant le privilčge dętre exemptée du péché originel
dčs le moment de sa conception, diminue singuličrement la valeur de son
obéissance au message divin le jour de lAnnonciation.
LÉglise orthodoxe rejette linterprétation catholique romaine de
lImmaculée Conception. Pourtant, elle honore la Sainte Vierge par les
appellations dŤ immaculée ť, Ť sans tache ť, Ť toute
pure ť. Saint Éphrem le Syrien (IVe sičcle) dit męme : Ť Toi,
Seigneur, ainsi que ta Mčre, vous ętes seuls parfaitement saints, car tu nas
aucune tâche, Seigneur, et ta Mčre na aucun péché ť (Carp. Nisib.
27,8). Comment cela est-il possible en dehors des cadres juridiques (privilčge
dexemption) du dogme de lImmaculée Conception ?
Dabord, il faut distinguer entre le péché originel, en tant que faute
commise envers Dieu et commune ŕ toute lhumanité depuis Adam, et le męme
péché, force du mal opérant dans la nature de lhumanité déchue ; de męme,
il faut distinguer entre la nature commune â toute lhumanité et la personne
propre ŕ chacun en particulier. Personnellement, la Vierge fut étrangčre ŕ
toute tache, ŕ tout péché, mais, en vertu de sa nature, elle portait avec tous
les descendants dAdam la responsabilité de la faute originelle. Ceci suppose
que le péché en tant que force du mal était inagissant dans la nature de la
Vierge élue progressivement purifiée dans les générations de ses justes
ancętres et protégée en elle par la grâce dčs le moment de sa conception.
La Sainte Vierge fut protégée de toute souillure mais non pas exemptée de
la responsabilité de la faute dAdam, faute qui ne pouvait pas ętre abolie dans
lhumanité déchue que par la Personne divine du Verbe.
LÉcriture nous fournit dautres exemples dassistance divine et de
sanctification dčs le sein de la mčre : David, Jérémie (Avant de te
former dans le sein de ta mčre, je te connaissais et, avant que tu sortisses de
ses flancs, je tai consacré (Jr
1,5), enfin Jean Baptiste (Lc 1,41). Cest dans ce sens que lÉglise orthodoxe
fęte depuis lantiquité le jour de la Conception de la Sainte Vierge (8
décembre), comme elle fęte aussi la Conception de saint Jean Baptiste (24
septembre). Il faut noter, ŕ ce sujet, que le dogme romain établit, en ce qui
concerne la conception de la Vierge par Joachim et Anne, une distinction entre
Ť conception active ť et Ť conception passive ť, celle-lŕ
étant oeuvre naturelle de la chair, lacte des parents qui engendrent, celle-ci
ne concernant que leffet de lunion conjugale ; le caractčre
dŤ Immaculée Conception ť ne sapplique quŕ laspect passif de la
conception de la Vierge.
LÉglise orthodoxe, étrangčre ŕ cette aversion devant ce qui se rapporte ŕ
la nature charnelle, ne connaît pas de distinction artificielle entre
Ť conception active ť et conception passive ť. En célébrant la
conception de la nativité de la Sainte Vierge et de saint Jean Baptiste, elle
rend témoignage au caractčre miraculeux de ces naissances, elle vénčre la chaste
union des parents en męme temps que la sainteté de leurs fruits. Pour la Vierge
comme pour Jean Baptiste, cette sainteté ne réside pas dans un privilčge
abstrait de non-culpabilité, mais dans un changement réel de la nature humaine
progressivement purifiée et rehaussée par la grâce dans les générations
précédentes. Cette ascension incessante de notre nature, destinée ŕ devenir
celle du Fils de Dieu incarné, se poursuit dans la vie de Marie ; par la
fęte de sa Présentation au Temple (21 novembre) la Tradition témoigne de cette
sanctification continue, de cette protection exercée par la grâce divine contre
toute souillure du péché. La sanctification de la Vierge est consommée au
moment de lAnnonciation lorsque lEsprit Saint la rendit apte ŕ une Conception
immaculée, dans la valeur pléničre de ce mot : la Conception virginale du
Fils de Dieu devenu Fils de lhomme.
Note conjointe ŕ la
publication de larticle - Du dogme de lImmaculée Conception
Écrite il y a plus de douze ans [c. 1942], cette mise au point sur le dogme
catholique romain de lImmaculée Conception aurait dű ętre entičrement refondue
et considérablement développée. Espérant le faire un jour, nous nous
contenterons pour le moment, afin de ne point retarder sa parution cette année,
de compléter le texte de ce bref aperçu par deux remarques qui doivent écarter
certains malentendus.
1°Quelques orthodoxes, animés dun zčle trčs compréhensible pour la vérité,
se croient obligés de nier lauthenticité de lapparition de la Mčre de Dieu ŕ
Bernadette et refusent de reconnaître les manifestations de la grâce ŕ Lourdes,
sous prétexte que ces phénomčnes spirituels servent ŕ confirmer le dogme
mariologique étranger ŕ la tradition chrétienne. Cette attitude, croyons-nous,
na pas de justification, car elle provient dun manque de discernement entre
un fait dordre religieux et son utilisation doctrinale par lÉglise romaine.
Avant de porter un jugement négatif sur lapparition de Notre Dame ŕ Lourdes,
en courant le risque de commettre un péché contre la grâce illimitée de l’Esprit
Saint, il aurait été plus prudent (et plus juste) d’examiner avec la sobriété
d’esprit et l’attention religieuse les paroles entendues par la jeune
Bernadette et les circonstances dans lesquelles ces paroles lui ont été
adressées. Pendant toute la période de ses quinze apparitions ŕ Lourdes, la
Sainte Vierge a parlé une seule fois pour se nommer. Elle dit : Ť Je
suis lImmaculée Conception ť. Or, ces paroles ont été prononcées le 25
mars 1858, ŕ la fęte de lAnnonciation. Leur sens direct reste clair ŕ ceux qui
ne sont pas obligés de les interpréter en dépit de la saine théologie et des
rčgles de la grammaire : la Conception immaculée du Fils de Dieu est le
supręme titre de gloire de la Vierge sans tache.
2° Les auteurs catholiques romains insistent souvent sur le fait que la
doctrine de lImmaculée Conception de la Sainte Vierge a été reconnue,
explicitement ou implicitement, par plusieurs théologiens orthodoxes, surtout
aux XVIIe et XVIIIe sičcles. Les listes impressionnantes
des manuels de théologie rédigés ŕ cette époque, pour la plupart dans la Russie
du sud, témoignent en effet jusquŕ quel point lenseignement théologique ŕ
lAcadémie de Kiev et dans dautres écoles dUkraine, de Galicie, de Lituanie
ou de BiéloRussie a été affecté par les thčmes doctrinaux et dévotionnels
propres ŕ lÉglise de Rome. Tout en défendant héroďquement leur foi, les
orthodoxes de ces régions limitrophes subissaient inévitablement linfluence de
leurs adversaires catholiques romains, car ils appartenaient au męme monde de
civilisation baroque, avec ses formes particuličres de piété.
On sait que la théologie Ť latinisée ť des Ukrainiens a provoqué
un scandale dogmatique ŕ Moscou vers la fin du XVIIe sičcle au sujet de lépiclčse. Le
thčme de lImmaculée Conception était dautant plus assimilable quil
sexprimait dans la dévotion plutôt que dans une doctrine théologique définie.
Cest sous cette forme dévotionnelle quon trouve quelques traces de mariologie
romaine dans les écrits de saint Dimitri de Rostov, prélat russe dorigine et
déducation ukrainienne. Cest le seul nom important parmi les
Ť autorités ť théologiques que lon cite habituellement pour montrer
que le dogme de limmaculée Conception de Marie est acceptable pour les
orthodoxes. Nous nallons pas dresser, ŕ notre tour, une liste (combien plus
imposante !) de théologiens de lÉglise de Rome, dont la pensée
mariologique soppose résolument ŕ la doctrine transformée en article de la
foi, il y a un sičcle. Il suffira de citer un seul nom, celui de saint Thomas dAquin,
pour constater que le dogme de 1854 va ŕ lencontre de tout ce quil y a de
plus sain dans la tradition théologique de lOccident séparé. Que lon relise
les passages du Commentaire
aux Sentences (I, 111, 3, I,
art. 1 et 2 ; 4, I) et de la Somme
théologique (IIIa, 27), ainsi
que dautres écrits oů le Docteur angélique traite la question de lImmaculée
Conception de la Vierge : on y trouvera lexemple dun jugement
théologique sobre et précis, dune pensée clairvoyante, sachant utiliser les
textes des Pčres occidentaux (saint Augustin) et orientaux (saint Jean
Damascčne) pour montrer le vrai titre de gloire de la trčs Sainte Vierge et
Mčre de notre Dieu. Depuis cent ans, ces pages mariologiques de saint Thomas
dAquin sont scellées pour les théologiens catholiques romains, obligés de se
conformer ŕ la Ť ligne générale ť mais elles ne cesseront pas dętre
un témoignage de la tradition commune pour ceux des orthodoxes qui savent
apprécier le trésor théologique de leurs frčres séparés.
Vladimir
LOSSKY
En la fęte de la Conception
de la trčs Sainte Vierge Marie
En la fęte de la Conception
de la trčs Sainte Vierge Marie
Article paru dans
Le Messager de lExarcat du Patriarcat russe
en Europe occidentale n° 20, décembre 1954.
Le Messager de lExarcat du Patriarcat russe
en Europe occidentale n° 20, décembre 1954.
LICÔNE DE LA MČRE DE DIEU
par Mgr Antoine (Bloom),
Métropolite de Souroge
Métropolite de Souroge
Il existe deux types dicônes de la Mčre de Dieu. Le type le plus connu est
celui quon trouve en Orient et en Occident : la Vierge tenant lEnfant. Cette
image est plus quune représentation ou un portrait de la Mčre de Dieu. Elle
est une image de lIncarnation, une affirmation de lIncarnation et de sa
réalité. Elle est une affirmation de la réalité et de la vérité de la maternité
de la Vierge. Si lon considčre licône avec attention, on constate que la Mčre
de Dieu qui tient lEnfant ne regarde jamais celui-ci. Dans toutes ces icônes,
elle ne fixe ni ceux qui la regardent ni le lointain : ses yeux grands ouverts
regardent au-dedans delle-męme. Elle est plongée dans une contemplation
intense. Elle ne regarde pas les objets extérieurs. Sa tendresse est exprimée
par la timidité de ses mains : elle tient lEnfant sans le serrer contre elle.
Elle le tient comme on tiendrait quelque chose de sacré présenté en offrande et
toute la tendresse, tout lamour humain sont exprimés par lEnfant et non par
sa Mčre. Celle-ci demeure la Mčre de Dieu ; elle traite lEnfant non comme le Ť
petit Jésus ť mais comme le Fils de Dieu incarné, devenu fils de la Vierge et
cest lui qui, vrai homme et vrai Dieu, manifeste tout lamour et toute la
tendresse dun homme et dun Dieu ŕ celle qui est ŕ la fois sa Mčre et sa
créature.
Une autre image, trčs rare celle-lŕ, est limage de la Mčre de Dieu, seule,
cette fois, sans la présence visible du Christ. Je pense en particulier ŕ
certaine icône russe du XVIIe sičcle. On se trouve en présence dune paysanne
russe, sans voile, dont les bandeaux encadrent un visage plutôt carré. Elle a
de grands yeux qui fixent, non ce qui soffre ŕ son regard, mais linfini ou
des profondeurs insondables. En regardant plus attentivement, on aperçoit deux
mains, deux mains dont la place singuličre est un défi ŕ lanatomie ; elles
sont lŕ non comme les éléments dune uvre réaliste, mais pour traduire ce que
ni le visage, ni les mains, ni les yeux ne pourraient exprimer sans cesser
dexprimer quelque chose de plus important. Ce sont les mains de langoisse.
Enfin, dans le coin de licône, presque invisibles, se détachant en jaune pâle
sur un fond jaune pâle, une colline et une croix nue. Cette Vierge est la Mčre
contemplant le crucifiement et la mort de son fils unique.
Lorsque nous nous tournons dans la pričre vers la Mčre de Dieu, nous
devrions ętre conscients, plus souvent que nous ne le sommes, que toute pričre
ŕ la Mčre de Dieu signifie : Ť Mčre, jai tué ton Fils ! Si tu me pardonnes, je
puis ętre pardonné. Si tu retiens ton pardon, rien ne peut me sauver de la
damnation. ť Et il est vraiment surprenant que la Mčre de Dieu, dans tout ce
que lÉvangile nous révčle, nous ait fait comprendre, en nous donnant laudace
de lui adresser cette pričre, que nous ne pouvons rien lui dire dautre.
Elle est pour nous la Mčre de Dieu. Elle est celle qui a introduit Dieu
lui-męme sur notre terre. Cest en ce sens que nous insistons sur lexpression
Ť Mčre de Dieu ť. Cest par elle que Dieu sest fait homme. Cest par elle
quil est né dans notre condition humaine. Et elle nest pas seulement pour
nous linstrument de lIncarnation. Elle est celle dont labandon personnel ŕ
Dieu, lamour pour Dieu, la disponibilité ŕ tout ce que Dieu voulut delle,
lhumilité au sens exposé plus haut furent tels que Dieu put naître delle.
Un de nos grands saints et théologiens remarque ŕ son sujet : Ť
LIncarnation eűt été tout aussi impossible sans le voici la servante du
Seigneur de la Vierge que sans la volonté du Pčre. ť On découvre dans ce mystčre
une coopération totale entre elle et Dieu. Dans son roman All Hallows Eve,
lécrivain anglais Charles Williams exprime admirablement, me semble-t-il, ce
que je voudrais souligner ŕ propos de lIncarnation et de lattitude de la
Vierge. Il dit que le caractčre unique de lIncarnation vient de ce qu Ť un
jour, une vierge dIsraël fut capable de prononcer le nom sacré de tout son
cur, de tout son esprit, de tout son ętre, de tout son corps, de telle sorte
quen elle le Verbe se fit chair ť. Ces lignes constituent un excellent énoncé
théologique qui montre bien la place de la Vierge dans lIncarnation.
Nous aimons la Vierge Marie : peut-ętre voyons-nous en elle, de façon toute
particuličre, le Verbe de Dieu dire, comme lexprime Paul : Ť Cest dans la faiblesse
que ma puissance se trouve manifestée. ť Nous voyons cette fręle vierge
dIsraël, cette fręle jeune fille vaincre le péché, vaincre lenfer, triompher
de tous les obstacles par la puissance de Dieu qui est en elle. Cest pourquoi,
dans les périodes de persécution, par exemple, lorsque la puissance de Dieu ne
se manifeste que dans la faiblesse, la bienheureuse Vierge Marie se dresse
devant nos yeux, si miraculeusement et avec une telle puissance. Sil lui a été
possible de vaincre la terre et lenfer, elle est donc pour nous un bastion,
celle qui peut intercéder pour nous et nous sauver ; et nous soulignons le fait
quelle est totalement accordée ŕ la volonté de Dieu, quelle se trouve en
totale harmonie avec le vouloir divin, en lui adressant cette invocation
réservée uniquement ŕ Dieu et ŕ elle : Ť Sauve-nous ! ť Nous ne disons pas : Ť
Prie pour nous ! ť
Extrait de LÉcole
de la pričre, Seuil, 1972.
par le pčre Michel Quenot
Mčre des vivants
Adam nomme sa compagne " Čve ", ce qui signifie
" vie ", " parce qu’elle fut la mčre de tous les
vivants " (Ex 3, 20). Promue mčre des croyants ŕ la suite d’Abraham
qui en assure la paternité, la Vierge Marie a aussi cru en l’accomplissement de
la promesse du Seigneur (Lc 1, 45), devenant ainsi la bienheureuse Mčre des
vrais vivants. Son importance dans l’histoire du salut et dans la vie de chaque
homme puise ici sa source. Ŕ l’instar de la premičre Čve, dont la chute
concerne l’humanité entičre, son " oui " ŕ l’accueil en
elle du Sauveur a uni le divin ŕ l’humain.
D’Čve la mčre des
vivants, Mčre de Dieu, tu fus le relčvement,
car tu as mis au monde l’Auteur de la vie.
En la Pâque hivernale de la Nativité, elle nous a donné la
" Pâque " qu’est le Christ. Imaginons un instant sa douleur
quand elle assiste, impuissante au pied de la Croix, ŕ la déchéance de son Fils
moribond ? Premičre créature humaine dans l’ordre de la sainteté, elle
nous représente malgré notre lâcheté. Avant de mourir, Jésus ne confie pas sa
Mčre ŕ la parenté, mais ŕ l’apôtre Jean, surnommé le théologien pour avoir
accordé un accent particulier ŕ la parole du Maître dans son évangile, avant de
devenir lui-męme parole. Cette maternité trouve son plein épanouissement au
Calvaire qui la fait accéder ŕ une maternité universelle envers le peuple de
Dieu.
Dans son amour profond pour la Mčre des vivants, saint Silouane l’Athonite
écrit : " Lorsque l’âme est toute pénétrée par l’amour de Dieu,
oh ! comme tout est bon alors, comme tout est rempli de douceur et de
joie ! Mais, męme alors, on n’échappe pas aux afflictions, et plus grand
est l’amour, plus grandes sont les afflictions. La Mčre de Dieu n’a jamais
péché, męme par une seule pensée, et elle n’a jamais perdu la grâce, mais, elle
aussi, eut ŕ endurer de grandes afflictions. Quand elle se tenait au pied de la
Croix, sa peine était vaste comme l’océan. Les douleurs de son âme étaient
incomparablement plus grandes que celles d’Adam lorsqu’il fut chassé du
Paradis, parce que son amour était, lui aussi, incomparablement plus grand que
celui d’Adam. Et si elle resta en vie, c’est uniquement parce que la force du
Seigneur la soutenait, car le Seigneur voulait qu’elle voie sa Résurrection, et
qu’aprčs son Ascension elle reste sur terre pour consoler et réjouir les
Apôtres et le nouveau peuple chrétien. "
Un voile de silence entoure la fin terrestre de la Mčre de Jésus. Ni le
Nouveau Testament, ni les Pčres de l’Église ne la mentionnent. Entre le Ve et la premičre moitié du VIe sičcle, de nombreux textes syriaques,
puis coptes, ont fleuri sur ses derniers instants. Le récit imagé et
semi-légendaire de sa Dormition précčde celui de son enlčvement au ciel. En
gros, certains textes insistent sur son élévation au ciel, sans mort et sans
ensevelissement préalables, d’autres, sur une élévation consécutive ŕ son
endormissement, laissant le corps incorruptible. La vérité nous amčne ŕ dire
que le corps de la Vierge Marie n’a laissé aucune trace ici-bas.
En préférant le terme de
Dormition ŕ celui d’Assomption, l’Église orthodoxe suit la Tradition de
l’Église indivise des sept grands Conciles œcuméniques dans sa croyance que la
Vierge Marie est passée par la mort, comme son divin Fils, avant d’ętre élevée
au ciel. Héritičre du péché originel, elle devait mourir mais son union totale
ŕ son Fils, le Dieu-homme, l’a fait échapper ŕ la corruptibilité et triompher
de la mort en participant tout de suite ŕ sa Résurrection, entraînant ŕ travers
sa personne une partie de la création dans sa propre transfiguration.
Célébrée dčs le concile d’Éphčse, et bien fixée vers la fin du VIIe sičcle, la fęte de sa Dormition jouit
d’une faveur particuličre. Elle est en outre précédée d’un jeűne de quinze
jours. Rappel puissant de notre destinée, la scčne de la Dormition figure
souvent, en alternance avec le Jugement dernier, sur le mur surplombant la
porte de sortie des églises. Sa main pointée vers le ciel fait écho aux paroles
de l’Ange dans l’icône de l’Ascension : " Celui qui vous a été
enlevé, ce męme Jésus, viendra comme cela, de la męme maničre dont vous l’avez
vu s’en aller vers le ciel " (Ac 1, 11).
Dans l’icône, les
apôtres font cercle autour de sa couche mortuaire. Leur disposition correspond
ŕ celle de fils autour d’une mčre, qui, privilčge unique, est en outre Mčre de
la Vie. Quand le Christ l’enlčve vers le ciel, " les anges et les
apôtres en chœur regardent comment passe de la vie ŕ la vie celle qui enfanta
le Prince de la vie ". " Les anges dans le ciel étaient
frappés d’étonnement, voyant que dans Sion leur propre Seigneur tenait une âme
dans ses mains ; car ŕ la Femme qui trčs purement l’avait mis au monde il
s’adressa filialement et déclara : Viens partager la gloire de ton Fils
ton Dieu ".Mčre des vivants, elle est aussi Mčre des morts en attente de la résurrection finale. Premičre ŕ passer de la vie ŕ la Vie, elle nous précčde, nous soutient et nous guide. Mčre du Dieu-homme, elle est ŕ la fois Mčre de Dieu et Mčre des hommes, leur soutien et leur protectrice. Modčle durant notre vie, elle pointe par sa mort vers le sens de notre mort. L’icône de sa Dormition esquisse l’image de la mort de chaque disciple fidčle que le Christ accueillera dans son Royaume. Ayant mené le bon combat en renonçant volontairement aux passions, elle repose sur sa couche mortuaire entourée du monde terrestre et céleste.
Dans sa bienveillance maternelle, elle nous éveille ŕ la vie en Christ qu’elle contribue ŕ former en nous. Aprčs avoir permis la naissance charnelle de Dieu sur terre, elle continue ainsi de l’enfanter dans le cœur humain qui accčde par elle au Fils, dans la grâce de l’Esprit Saint. Ŕ l’encontre d’une mčre possessive, elle veille aux besoins profonds de chaque personne.
En décalage avec l’enseignement catholique, les fidčles orthodoxes ne la considčrent pas comme la Mčre de l’Église, mais comme leur Mčre au sein de l’Église. L’Orante, figurant souvent dans l’abside des églises, suffit ŕ le rappeler.
Ô Vierge qui as enfanté l’inaccessible clarté,
de ton éclat resplendissant
illumine les ténčbres de mon cœur
et donne-moi la main
pour conduire ma vie sur les chemins du salut.
La femme accomplie
Au sein de notre société oů l’affrontement des sexes prend des tournures subtiles, la femme occupe une position en point de mire ŕ travers une sérieuse remise en question de son rôle et de sa place par rapport au passé. Toute recherche de fusion relčve de l’illusion et nivelle les charismes propres ŕ chacun.
Dans une vision du monde rivée ŕ la terre, l’homme tend ŕ tout organiser selon des schémas logiques, sans référence ŕ la personne. La vie cčde alors la place aux lois, et l’homme – surtout dans sa dimension masculine, dimension parfois désavantageusement convoitée par la femme – risque ŕ tout moment de succomber ŕ la tentation du pouvoir, de la force et de la violence. Ontologiquement distincts, l’homme et la femme fondent leur union dans l’amour, et non dans l’égalité, comme on tend ŕ nous le faire croire. La femme enfante et entretient par sa nature une relation privilégiée avec la vie. Sa vraie vocation ne se situe pas dans l’imitation de l’homme souvent en lutte pour le pouvoir ŕ tous les niveaux de la société, y compris dans l’Église, mais dans le dépassement de la vision figée mâle qui consiste ŕ réduire la vie ŕ des schémas stériles. Il lui incombe la tâche de souligner l’unicité et la plénitude de la vie, de montrer que l’authenticité de la vie réside dans l’amour et non dans le sexe.
Pour Jean Vanier, qui jouit d’une grande expérience humaine glanée ŕ travers les continents et dans ses communautés de l’Arche :
…le danger de l’homme est de fuir la vulnérabilité de son propre cœur et ses puissances de tendresse. Parfois, il réclame une femme-mčre, puis trčs vite, comme un petit garçon, il la refuse, voulant sa propre liberté. Il se jette alors dans le monde de l’efficacité et de l’organisation, niant la tendresse et la véritable réciprocité. Mais par le fait męme, il se mutile et se sépare de ce qui en lui est essentiel. Tantôt il idéalise la femme – elle est la vierge toute pure – tantôt il la plonge dans la déchéance – elle est la grande séductrice, l’instrument du diable, la prostituée, ou encore il se sert d’elle comme d’une servante. Dans tous les cas, il ne fait rien d’autre que rejeter sa propre sexualité, qu’il considčre comme mauvaise, ou la nie. De toute façon, il refuse toute relation vraie avec la femme comme personne et ne la voit plus que comme symbole de péché ou de pureté, ou comme un ętre inférieur.
Toute la croissance de l’homme est dans la maturation de ses rapports avec la femme. Tant qu’il demeure au stade des rapports mčre–enfant, ou au stade de la femme séduction–répulsion, il ne peut vraiment grandir, męme spirituellement.
[…] De la męme façon, la femme, elle aussi, doit trouver son équilibre. Elle ne doit pas, par refus de sa féminité, chercher le męme pouvoir que l’homme ni loucher jalousement sur ses capacités d’organisation, mais elle doit découvrir les richesses de sa propre féminité, le pouvoir qui peut ętre caché dans sa faiblesse męme, la lumičre et la sagesse propres de son intelligence, et les capacités de guérison et de compassion qui sont en elle. Lorsqu’elle est dépourvue de tout pouvoir, il arrive qu’elle ait une intuition d’autant plus limpide et plus vraie, moins męlée aux passions d’orgueil et de puissance qui colorent souvent l’intelligence de l’homme.
Si tout n’est pas aussi tranché dans la réalité, quant aux qualités réciproques, il reste néanmoins vrai que l’homme (" Yang ", selon la sagesse chinoise) tend ŕ ętre davantage orienté vers l’action et l’extériorité que la femme (" Yin "), plus intériorisée et plus relationnelle de par sa capacité de maternité.
Face ŕ la tentation prométhéenne de la femme moderne qui consiste ŕ brader sa féminité au profit d’une masculinité en qui elle croit trouver sa force et sa grandeur, la Vierge Marie offre l’exemple d’un ętre ayant harmonieusement intégré le masculin et le féminin vers un dépassement du genre. Elle oppose ŕ l’orgueil une humilité remplie de vigueur spirituelle, au paraître l’ętre, au masque le visage, ŕ l’impudeur la pure beauté, ŕ la quęte frénétique du changement le repos dans l’Esprit, ŕ la haine l’amour de ce Dieu d’amour qu’elle a enfanté. Sa violence pacifique est celle des Béatitudes, sa gloire le Christ. Femme accomplie et personnification de la femme dans un monde dominé par l’homme, elle arbore la virilité du Royaume.
L’histoire humaine montre que le plus grand péché conduit souvent ŕ la prostitution chez la femme et ŕ l’hérésie chez l’homme. La pureté revęt ainsi une dimension d’autant plus grande chez la femme. La Toute-pure est en effet la Toute-sainte, celle qui n’a pas connu le péché.
Pour l’homme, la confession de la foi juste prend une dimension particuličre. Il risque en effet ŕ tout moment de donner la priorité aux choses secondaires. On sait, par exemple, que les femmes ont joué un rôle de premier plan dans la sauvegarde de la foi en Russie durant la période communiste. Cette approche dualiste, entre d’un côté le péché de la chair et de l’autre le péché de l’esprit, nous amčne aussi ŕ dire que la prostitution n’est pas l’apanage de la femme, loin s’en faut. Elle nous rend simplement attentifs ŕ deux péchés qui ont trait ŕ la séduction de la chair et ŕ celle de l’esprit.
La " femme forte, qui la trouvera ? " (Pr 31, 10), s’exclame Salomon dans les Proverbes. N’est-il pas surprenant que la femme la plus forte, la " pleine de grâces ", selon les propres termes de l’archange Gabriel, soit en męme temps la plus humble, la servante du Seigneur ? Gloire des humains, premičre de cordée et premičre créature déifiée, fierté et modčle des femmes, la Mčre de Dieu a parfaitement réalisé en elle l’union du masculin et du féminin, de la terre et du ciel, du divin et de l’humain. Ayant atteint la perfection de l’humain ŕ l’image du Dieu-homme, elle transcende le dualisme homme – femme, propre ŕ la condition corrompue. […]
Résumant en sa personne les qualités de la femme par excellence que sont l’intériorité, la douceur et l’amour miséricordieux d’une mčre, la Vierge Marie démontre en sa personne comment la féminité trouve son accomplissement plénier dans la sainteté. Si la premičre créature humaine est une femme, son œuvre majeure fut d’accueillir l’Esprit, but de la vie chrétienne selon Séraphim de Sarov. Qui ajoute : cette acquisition contribuera au salut de beaucoup d’hommes ainsi côtoyés. Il n’est donc nullement demandé de parcourir les océans et de soulever les montagnes.
L’humilité, ŕ l’exemple de la Vierge Marie, constitue le meilleur antidote ŕ la tentation de pouvoir qui empoisonne les relations humaines et crée de nombreuses distorsions dans la solution des problčmes au sein de l’Église et de la société civile. Oů trouver un meilleur modčle pour la femme d’aujourd’hui en quęte de sa place dans la société et dans l’Église ?
Ayant adhéré ŕ l’Incarnation de tout son cœur, de tout son esprit et de toutes ses forces, elle est le modčle pour la femme qui enfante, invitation ŕ transmettre la vie de l’esprit avec la vie biologique. Bien plus, elle incarne l’humanité restaurée en Christ.
Modčle de foi, elle a cru en cet Enfant apparemment pareil aux autres, et cela malgré l’incrédulité ambiante et les rejets répétés. Dans la lignée d’Abraham qui a cru : " Bienheureuse, toi qui a cru " (Lc 1, 45), son épreuve de la foi a dépassé celle de ce dernier, stoppé par un ange au moment fatidique. Elle est allée jusqu’au sacrifice supręme de la Croix et de l’ensevelissement de son Fils.
Ŕ la déception des apôtres manifestée dans un premier temps, puis signifiée lors de la rencontre d’Emmaüs : " Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait délivrer Israël, mais avec tout cela, voilŕ le troisičme jour depuis que ces choses sont arrivées ! " (Lc 24, 21), elle a opposé une constance inouďe, celle de la Mčre d’un Fils qu’elle a reconnu imperturbablement comme son Seigneur et son Dieu.
Plus que toute créature, elle a gardé en son cœur la Parole de Dieu et l’a mise en pratique jusqu’ŕ devenir elle-męme parole. Elle a fait sienne la parole de son Fils ŕ l’apôtre Paul : " Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse " (2 Co 12, 9). L’homme accčde en effet ŕ la sainteté quand il se déleste de ce qui fait sa force aux yeux du monde.
Son profil spirituel, fait d’humble disponibilité, apparaît le mieux dans sa déclaration : " Je suis la servante du Seigneur ". Elle se tait et s’efface : silence et humilité. L’évangéliste Luc ajoute qu’" elle conservait toutes ces choses avec soin, les méditant en son cœur " (Lc 2, 19). […]
Par son don du Dieu-Homme au monde, elle constitue le prototype de l’Église dont la mission consiste ŕ transmettre le Christ aux hommes. Elle est aussi le prototype de chaque chrétien appelé, selon Ignace d’Antioche, ŕ devenir " porteur de Dieu ".
Durant l’office des matines, le prętre quitte l’autel, peu avant la neuvičme ode, et sort avec l’encensoir en main pour se placer devant l’icône de la Theotokos, ŕ gauche des Portes Royales. Il invite alors l’assemblée : " Magnifions par des hymnes la Mčre de Dieu, Mčre de la Lumičre ", puis encense l’église et les fidčles pendant le chant du Magnificat. L’Église rappelle ainsi ŕ chacun que cette Lumičre nous est parvenue ŕ travers une femme et que nous avons tous, comme elle, par l’accueil de l’Esprit Saint, ŕ devenir des porteurs de Lumičre et ŕ rendre le Sauveur présent au milieu des hommes pour qu’il les délivre de la mort du péché.
" Bénie entre toutes les femmes ", elle l’est assurément en tant que Mčre de Dieu, mais particuličrement aussi par la tension de tout son ętre – corps, âme, esprit – vers Dieu. Le Christ dit en effet clairement que sa mčre et ses frčres sont ceux qui font la volonté de son Pčre. Ŕ l’image du Christ s’offrant au Pčre, chaque disciple a pour vocation de s’offrir et d’offrir avec lui le monde en retour : " Ce qui est ŕ toi, le tenant de toi, nous te l’offrons en tout et pour tout ". Ce sacerdoce royal, auquel nous sommes conviés, a trouvé sa plus belle expression en celle qui est devenue ŕ la fois Christophore (porteur du Christ) et Pneumatophore (porteur de l’Esprit). Au chapitre douze du livre de l’Apocalypse, la femme couronnée d’étoiles symbolise l’Église et la Vierge Marie qui en manifeste l’accomplissement par sa christification totale. […]
Dans un monde aux esprits et aux cœurs pollués, elle donne un exemple de pureté. Ébloui par sa beauté, saint Grégoire Palamas écrit : " Voulant créer une image de la beauté absolue et manifester clairement aux anges et aux hommes la puissance de son art, Dieu a fait véritablement Marie toute belle. Il a réuni en elle les beautés partielles qu’il a distribuées aux autres créatures et l’a constituée le commun ornement de tous les ętres visibles et invisibles ; ou plutôt, il a fait d’elle comme un mélange de toutes les perfections divines, angéliques et humaines, une beauté sublime embellissant les deux mondes, s’élevant de terre jusqu’au ciel et dépassant męme ce dernier ".
Sa présence au milieu des apôtres nous interpelle. Proche de l’évangéliste Luc, qui en fournit le portrait spirituel le plus imagé, elle est aux côtés de l’évangéliste Jean au pied de la Croix. Aprčs l’Ascension, elle participe ŕ la pričre des apôtres dans la Chambre haute (Ac 1, 14) et reçoit l’Esprit le jour de la Pentecôte. […]
De l’amour de Dieu ŕ l’amour des hommes
Ŕ maintes reprises, le Christ rappelle ŕ ses disciples cette réalité : " Je suis au milieu de vous comme celui qui sert " (Lc 22, 27) ; " Le serviteur n’est pas plus grand que son maître " (Jn 15, 20) ; " Si quelqu’un me sert, qu’il me suive " (Jn 12, 26) et " mon Pčre l’honorera " (Jn 12, 26) ; " Le plus grand parmi vous sera votre serviteur " (Mt 23, 11) ; " Il sera le dernier de tous et le serviteur de tous " (Mc 9, 35). Et l’apôtre Paul, qui se présente comme " serviteur de Dieu, apôtre de Jésus-Christ " (Tt 1,1), lance aux Romains, plongés dans un milieu paďen : " Qu’on nous regarde donc comme les serviteurs du Christ " (Rm 4, 1).
Servante du Seigneur accordée ŕ sa parole, la Vierge Marie s’est vidée d’elle-męme pour accueillir l’autre, le Tout-Autre. Avant l’heure, elle a actualisé la parole de son Fils : " Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime " (Jn 15, 13). Et donner sa vie implique de donner en premier tout ce que l’on aime ; c’est accepter de mourir inlassablement ŕ son moi. Servante du Seigneur, elle est aussi la Mčre du Serviteur supręme qui " n’est pas venu pour ętre servi, mais pour servir " (Mt 20, 28).
Jésus semble rudoyer sa mčre en disant : " qui est ma mčre et qui sont mes frčres ? " (Mt 12, 48), lorsque celle-ci et ses cousins cherchent ŕ lui parler. Mais il ajoute aussitôt : " Ma mčre et mes frčres sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique " (Lc 8, 21). Si cette réponse abrupte contribue ŕ éloigner les cousins, sans doute enclins ŕ profiter de la situation, la Vierge Marie mérite doublement son titre de Mčre, puisqu’elle se met au diapason de la volonté divine. Et face ŕ la femme qui lui crie un jour du milieu de la foule : " Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés ", Jésus rétorque : " Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent ! " (Lc 11, 27-28).
Loin de minimiser l’importance de sa Mčre qu’il nous donne comme modčle humain, ces paroles lui conviennent parfaitement. Qui mieux qu’elle en effet a gardé en son cœur la parole de Dieu ? Jésus sait que sa mčre, devenue parole, le comprend. Mais elle souffre incontestablement de porter seule le mystčre de son union au Verbe.
Dans l’esprit du disciple bien-aimé de Jésus, " il n’y a pas de crainte dans l’amour ; au contraire, le parfait amour bannit la crainte… " (1 Jn 4, 18). Et Jean Vanier de préciser : " Sartre a tort : l’autre n’est pas l’enfer ; il est le ciel. Il ne devient l’enfer que si déjŕ j’y suis, c’est-ŕ-dire si je suis enfermé dans mes ténčbres et mes égoďsmes. Pour qu’il devienne ciel, il me faut faire lentement ce passage de l’égoďsme ŕ l’amour. Mes yeux et mon cœur doivent changer ". Et Alexandre Schmemann ajoute : " Le contraire de l’amour n’est pas la haine mais la peur. C’est profond et vrai ŕ la fois. La peur est avant tout l’absence d’amour ou plutôt ce qui se développe comme des mauvaises herbes lŕ oů il n’y a pas d’amour, provoquant peur et angoisse que les diverses thérapies s’efforcent de résorber mais qui vont de pair avec ce monde, en constituent les excroissances. La chute du monde se manifeste dans cette aliénation de Dieu qui est amour, de lŕ les ténčbres et les ombres de la mort. "
Lors de la Présentation de Jésus au Temple, le vieillard Syméon prophétise ŕ Marie : " Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relčvement d’un grand nombre en Israël ; il doit ętre un signe en but ŕ la contradiction, et toi-męme, une épée te transpercera l’âme ! " (Lc 2, 35-36). La voilŕ trčs tôt informée de ce qui attend son Fils et du fait qu’elle aura part ŕ sa souffrance. Elle a en effet partagé la compassion de son divin Fils qui s’est livré lui-męme ŕ la mort pour les hommes et un glaive a transpercé son cœur.
Jusqu’ŕ la fin des temps, elle communie quotidiennement ŕ la tragédie humaine assumée par son Fils sur la Croix, réalisant pleinement la parole : " Si quelqu’un veut venir ŕ ma suite, qu’il se renie lui-męme, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive " (Lc 9, 23). Tout " oui, oui ", selon l’injonction de l’apôtre Jacques (Jc 5, 12), elle n’a pas connu le péché et rien en elle ne s’est opposé ŕ l’amour.
Silouane l’Athonite est clair : " Nous ne parvenons pas ŕ la plénitude de l’amour de la Mčre de Dieu, et c’est pourquoi nous ne pouvons pas non plus pleinement comprendre sa douleur. Son amour était parfait. Elle aimait immensément son Dieu et son Fils, mais elle aimait aussi d’un grand amour les hommes. Et que n’a-t-elle pas enduré lorsque ces hommes, qu’elle aimait tant et pour lesquels jusqu’ŕ la fin elle voulait le salut, crucifičrent son Fils bien-aimé ? " Il ajoute plus loin que męme si les détails de sa vie nous échappent, nous savons pourtant que " son amour embrasse le monde entier, que, dans l’Esprit Saint, elle voit tous les peuples de la terre et que, tout comme son Fils, elle a de la compassion pour tous les hommes ".
Sa maternité divino-humaine l’a fait entrer dans une relation privilégiée avec la Sainte Trinité. Modčle pour tout chrétien, elle l’est par excellence pour ceux qui exercent une activité dans l’Église et dont la tâche primordiale revient ŕ l’intercession.
Pour saint Siméon le Nouveau Théologien, chacun de nous est invité, comme la Mčre de Dieu, ŕ mettre mystiquement le Christ au monde, ŕ devenir Theotokos, c’est-ŕ-dire porteur de Dieu. Accueillir le Christ en nous, le laisser s’incarner dans notre ętre, corps – âme – esprit, c’est manifester aujourd’hui son incarnation dans le monde.
Extrait du livre du pčre Michel Quenot,
La Mčre de Dieu, Joyau terrestre, Icône de l’humanité
nouvelle, Éd. Saint-Augustin, Saint-Maurice CH, 2006.
Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.
La Mčre de Dieu, Joyau terrestre, Icône de l’humanité
nouvelle, Éd. Saint-Augustin, Saint-Maurice CH, 2006.
Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.
Source:
http://www.pagesorthodoxes.net/mere-de-dieu/md-homelies.htm
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