MÉDITATION SUR LA FĘTE DE LA TRANSFIGURATION DU CHRIST
AVEC LE PČRE LEV GILLET (pagesorthodoxes.net/fetes/transfiguration)
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La deuxičme des grandes fętes d’été est la Transfiguration de Notre Seigneur
Jésus-Christ, que nous célébrons le 6 aoűt [1].
Les textes de l’Ancien Testament que nous entendons au cours des vępres, le
soir du 5 aoűt, nous préparent ŕ comprendre le mystčre de la Transfiguration.
Nous entendons tout d’abord (Ex 24, 12-18) le récit du séjour de Moďse sur le
Sinaď, lorsqu’il y passa quarante jours et quarante nuits. Les raisons du choix
de ce texte sont trčs compréhensibles. Moďse est un des personnages de
l’Ancienne Alliance qui sont présents auprčs de Jésus transfiguré, d’aprčs le récit
évangélique. Puis il y a le thčme de la montagne : " Monte vers
moi sur la montagne et demeures-y ". C’est aussi sur une montagne que
Jésus sera transfiguré. Il y a le parallélisme – et le contraste – entre les
deux modes de révélation reçue sur la montagne : dans le premier cas, Dieu
donne ŕ Moďse une loi écrite sur des tables de pierre ; dans le deuxičme
cas, Dieu manifeste le personne vivante de son Fils unique. Enfin, la lumičre
ou la nuée de la présence divine, cette " gloire " qui pour
les Hébreux avait une signification physique – " … La nuée couvrit la
montagne, et la gloire du Seigneur s’établit sur le mont Sinaď… Cette gloire du
Seigneur revętait… l’aspect d’une flamme dévorante couronnant la
montagne… " – annonce déjŕ la lumičre de la Transfiguration. Nous
lisons ensuite (Ex 33, 11-23 – 34, 4-6, 8) un épisode dont chaque parole peut
merveilleusement s’appliquer ŕ notre propre vie spirituelle. Dieu dit ŕ
Moďse : " J’irai moi-męme, et je te donnerai le
repos ". Moďse demande ŕ Dieu : " Fais-moi, de grâce,
voir ta gloire ". Dieu répond : " Je ferai passer
devant toi toute ma splendeur… mais tu ne peux pas voir ma face ".
Moďse vient au rendez-vous fixé par Dieu ; il se tient debout sur le
Sinaď, ayant dans ses mains les tables de la loi. " Le Seigneur
descendit en forme de nuée… Seigneur passa devant lui et cria : Seigneur,
Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent ŕ la colčre, riche en grâce et
fidélité… ". Dieu nous parle intérieurement comme il parlait ŕ Moďse,
" face ŕ face, comme un homme converse avec un ami ". Comme
devant Moďse, il fait passer sa bonté plutôt que sa gloire. Mais, plus heureux
que Moďse, nous savons que la face de Dieu peut-ętre contemplée par nous dans
la personne du Fils. Enfin nous lisons (dans les textes traduits des Septante,
3 R 19, 3-16) deux épisodes de la vie du prophčte Élie. C’est d’abord sa
retraite de quarante jours sur le mont Horeb, oů un ange lui apporte du pain et
de l’eau ; puis c’est la révélation de la présence divine, non dans le
feu, le vent et le tremblement de terre, mais dans " le bruit d’une
brise légčre ".
Ces trois lectures de l’Ancien Testament associent les personnes de Moďse
et d’Élie, parce que tous deux seront témoins de la Transfiguration de Notre
Seigneur.
Aux matines, nous entendons le récit de la Transfiguration dans l’évangile
selon Saint Luc (9, 28-36). Ŕ la liturgie, nous entendons ce męme récit dans
l’évangile selon Saint Matthieu (17, 1-9). L’épître lue ŕ la liturgie est la
deuxičme écrite par Pierre (1, 10-19) : celui-ci était, avec Jacques et
Jean, un des trois témoins oculaires de la Transfiguration. Aussi
trouverons-nous particuličrement émouvant le rappel qu’il fait de ce
mystčre : " … nous fűmes témoins oculaires de sa majesté…
Lorsque la gloire pleine de majesté lui transmit cette parole : Celui-ci
est mon Fils bien-aimé… Cette voix, nous, nous l’avons entendue ; elle
venait du ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte… ".
Pierre compare ces paroles ŕ celle des prophčtes, qui sont encore " plus
ferme " (soit parce que les lecteurs de Pierre n’ont pas eu la męme
expérience que lui ; soit que lui-męme, par humilité, mette l’Écriture
au-dessus de sa propre expérience ; soit qu’il veuille souligner
l’autorité divine de l’ensemble des prophéties). La parole prophétique, semblable
ŕ la lumičre de la Transfiguration, " brille dans un lieu
obscur ", dit Pierre, " jusqu’ŕ ce que le jour commence ŕ
poindre et que l’astre du matin se lčve dans vos cœurs ".
Essayons maintenant de considérer quelques aspects du récit évangélique de
la Transfiguration. Jésus prend avec lui ses trois plus intimes disciples. Dieu
se manifeste parfois aux pécheurs d’une maničre extraordinaire. Mais, en
général, le privilčge de contempler Dieu et d’entrer dans la joie de la
Transfiguration est réservé ŕ ceux qui ont suivi longtemps et fidčlement le
Maître.
Jésus conduit ses disciples sur une haute montagne [2]. Avant d’atteindre ŕ
la lumičre de la Transfiguration, les ascensions pénibles de l’ascčse sont
nécessaires.
L’aspect habituel de Jésus est changé. Sa face resplendit " comme
le soleil ". Son vętement devient " d’une blancheur
fulgurante ". C’est en ceci que consiste la Transfiguration. Ce Jésus
que les disciples connaissaient bien et dont l’aspect, dans la vie quotidienne,
ne différait pas de celui des autres leur apparaît soudain sous une forme
nouvelle et glorieuse. Une expérience semblable peut se produire, dans notre
vie intérieure, de trois maničres. Parfois notre image intérieure de Jésus
devient (aux yeux de notre âme) si lumineuse, si resplendissante, qu’il nous
semble vraiment voir la gloire de Dieu sur sa face : la beauté divine du
Christ devient en quelque sorte pour nous un objet d’expérience. Parfois aussi
nous éprouvons d’une façon intense que la lumičre intérieure, cette lumičre donnée
ŕ tout homme venant en ce monde pour guider sa pensée et son action,
s’identifie ŕ la personne de Jésus-Christ : la puissance de la loi morale
se fond avec la personne du Fils, l’attrait du sacrifice nous fait entrevoir le
Sauveur sacrifié et entendre son appel. Parfois enfin nous devenons conscients
de la présence de Jésus dans tel homme ou dans telle femme que Dieu a mis sur
notre route, surtout quand il nous est donné de nous pencher avec compassion
sur leurs souffrances : cet homme ou cette femme se transfigure en
Jésus-Christ, sous les yeux de la foi. On pourrait, de ce dernier fait, dégager
une méthode précise de spiritualité, une méthode de transfiguration applicable
ŕ tous, partout et toujours.
Auprčs de Jésus apparaissent Moďse et Élie. Moďse représente la loi. Élie
représente les prophčtes. Jésus est l’accomplissement de toute loi et de toute
prophétie. Il est le terme final de toute l’Ancienne Alliance. Il est la
plénitude de toute la révélation divine.
Moďse et Élie s’entretiennent avec Jésus de sa Passion prochaine. Cet
aspect de la Transfiguration n’est, en général, pas assez remarqué. On ne peut
pas, dans la vie de Jésus, séparer les mystčres glorieux des mystčres
douloureux. C’est au moment oů Jésus se prépare ŕ sa Passion qu’il est
transfiguré. Nous n’entrerons dans la joie de la Transfiguration que si, dans
notre propre vie, nous acceptons la croix.
Pierre voudrait se fixer dans la béatitude de la Transfiguration. Il
suggčre ŕ Jésus la construction de trois tentes. Ainsi un fidčle, au début de sa
vie spirituelle, désire prolonger les " consolations ", les
moments de douceur intime. Jésus laisse sans réponse la suggestion de Pierre.
Ni aux premiers disciples ni ŕ nous-męmes il n’est permis de se soustraire aux
durs travaux de la plaine et de s’établir dčs maintenant dans une paix qui
n’appartient qu’ŕ la vie future.
La nuée lumineuse de la Présence divine couvre le sommet de la montagne. Du
milieu de la nuée, une voix se fait entendre : " Celui-ci est
mon Fils bien-aimé, mon Élu, écoutez-le ". Les męmes paroles, ou
presque, avaient déjŕ été prononcées par la męme voix, lors du baptęme de
Jésus. Elles donnent ŕ la scčne de la Transfiguration tout son sens. Pourquoi
Jésus change-t-il d’aspect ? Pourquoi s’enveloppe-t-il de lumičre ?
Ce n’est pas pour offrir aux apôtres un spectacle impressionnant et
réconfortant. C’est pour traduire ŕ l’extérieur le témoignage solennel que le
Pčre rend ŕ son Fils. Et le Pčre lui-męme donne une conclusion pratique ŕ la
vision : " Écoutez-le ". Une grâce extraordinaire ne
produit son effet que si elle nous rend plus attentifs et plus obéissants ŕ la
Parole divine.
Les disciples sont terrassés d’effroi. Jésus les touche et les rassure.
" Et, eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus,
seul (Mt 17,8) ". Nous pouvons trouver ŕ cette phrase des sens
divers, également vrais. D’une part, la condition normale du disciple de Jésus,
en ce monde, est de s’attacher ŕ la personne de Jésus sans que celle-ci revęte
les attributs extérieurs de la gloire divine ; le disciple doit voir
" Jésus, seul ", Jésus dans son humilité ; si, ŕ de
rares moments, son image nous semble enveloppée de lumičre, et si nous croyons
entendre la voix du Pčre désignant le Fils ŕ notre affection, ces éclairs ne
durent pas ; et nous devons aussitôt retrouver Jésus lŕ oů il se trouve
habituellement, au milieu de nos humbles et parfois difficiles devoirs
quotidiens. Voir " Jésus, seul ", cela signifie
encore : concentrer sur Jésus seul notre attention et notre regard, ne
point nous laisser distraire par les choses du monde ni par les hommes et les
femmes que nous rencontrons, bref, rendre Jésus supręme et unique dans notre
vie. Est-ce ŕ dire qu’il faille fermer les yeux au monde qui nous entoure et
qui souvent a besoin de nous ? Quelques-uns sont appelés ŕ rester
absolument seuls avec le Maître : qu’ils soient fidčles ŕ cette vocation.
Mais la plupart des disciples de Jésus, vivant au milieu du monde, peuvent
donner aux mots " Jésus, seul " encore une autre
interprétation. Sans renoncer ŕ un contact reconnaissant avec les choses
créées, ŕ un contact aimant et dévoué avec les hommes, ils peuvent atteindre un
degré de foi et de charité oů Jésus deviendra transparent ŕ travers les hommes
et les choses ; toute beauté naturelle, toute beauté humaine deviendront
la frange de la beauté męme du Christ ; nous verrons son reflet dans tout
ce qui, en d’autres, attire et mérite notre sympathie ; bref, nous aurons
" transfiguré " le monde, et, dans tous ceux sur lesquels
nous ouvrirons les yeux, nous trouverons " Jésus seul ".
Le mystčre de la Transfiguration a encore un autre aspect que les textes
scripturaires de la fęte n’indiquent pas clairement, mais que les chants
liturgiques soulignent. " Pour montrer la transformation de la nature
humaine… lors de ton Second et redoutable Avčnement… Sauveur… tu t’es
transfiguré… ô toi qui as sanctifié tout l’univers par ta lumičre… ".
Ces paroles, que nous chantons ŕ matines , font allusion au caractčre cosmique
et eschatologique de la Transfiguration. La nature entičre – qui maintenant
subit les conséquences du péché, cause du mal physique – sera affranchie, renouvelée,
lorsque le Christ reviendra glorieusement, ŕ la fin des temps. Cette
transformation du monde est proposée ŕ notre croyance, ŕ notre espoir, ŕ notre
attente. Il faut se garder toutefois d’exagérer cet aspect de la
Transfiguration au détriment des autres [3]. Les évangiles nous montrent que le sens
premier, fondamental, de la Transfiguration concerne la personne męme de Notre
Seigneur, que son Pčre glorifie avant de le laisser aller ŕ la Passion. Les
effusions envers le mystčre de la transfiguration de la " terre "
ne doivent pas voiler cette vérité : ŕ savoir que la Transfiguration est
d’abord, avant tout, la Transfiguration du Fils bien-aimé.
Enfin la Transfiguration est aussi une révélation du Pčre et de l’Esprit.
Elle soulčve le voile qui recouvre pour nous, en cette vie terrestre, la vie
intime des trois personnes divines. Disons avec toute l’Église, dans la
neuvičme ode des matines : " Tenons-nous spirituellement dans la
cité du Dieu vivant et considérons avec admiration la divinité immatérielle du
Pčre et de l’Esprit resplendissant dans le Fils unique ".
[1] La fęte de la Transfiguration a commencé ŕ ętre célébré au IVe sičcle, en Asie, probablement chez les
Arméniens. Ceux-ci la célčbrent d’une maničre particuličrement
solennelle : ils s’y préparent par un jeűne de six jours et la font durer
trois jours. Comme plusieurs autres fętes chrétiennes, la Transfiguration
semble avoir remplacé une fęte paďenne, une " fęte de la
nature " : la bénédiction des fruits nouveaux, le jour de la
Transfiguration, est peut ętre un vestige de cette origine. Trčs tôt adoptée
dans l’Église grecque, cette fęte ne s’est introduite qu’au IXesičcle
dans l’Église latine ; et encore n’est-ce qu’au XVe sičcle qu’elle a été généralement
adoptée en Occident.
[2] Les évangiles ne nomment pas cette montagne. Les textes liturgiques
parlent du Thabor. On a fait remarquer que l’Hermon correspondrait mieux aux
données évangéliques. Néanmoins la tradition relative au Thabor avait cours en
Palestine dčs le IVe sičcle.
[3] Une certaine école contemporaine de pensée orthodoxe voudrait mettre la
Transfiguration au centre de tout le mystčre chrétien et insiste avec outrance
sur la transformation du cosmos. Le caractčre essentiellement christologique de
la Transfiguration et son lien avec les souffrances messianiques est ainsi
méconnu. D’autre part, quelques mystiques byzantins du moyen âge ont attribué ŕ
la " lumičre du Thabor " une place que ni les Écritures ni
les Pčres de l’Église ne lui donnent. L’Orthodoxie ne se réduit pas ŕ la
Transfiguration et ŕ la nuit de Pâques, comme certains de ses apologčtes
tendraient ŕ le faire croire. Il faut admirer la sagesse avec laquelle
l’Église, dans son cycle liturgique, met chaque chose ŕ sa place et dans ses
vraies proportions, s’efforçant de maintenir un équilibre harmonieux entre les
divers aspects de l’unique mystčre.
Extrait du livre L'An de grâce du Seigneur,signé Ť Un moine de l'Église d'Orient ť,
Éditions AN-NOUR (Liban) ;
Éditions du Cerf, 1988.
Anastase
le Sinaďte (7e-8e sičcles), Homélie sur la Transfiguration. Dans Roselyne
de Feraudy, L'icône de la Transfiguration. Abbaye de Bellefontaine, 1978.
Pages 125-145.
Andronikof,
C., Le sens des fętes. Cerf, 1970. Pages 225-273.
Catéchčse
orthodoxe : Dieu est vivant. Cerf, 1991. Pages 85-113.
Catéchčse
orthodoxe : Les fętes et la vie de Jésus-Christ II. La Résurrection.Cerf, 1989.
Pages 29-46.
Coune,
Michel, Grâce de la Transfiguration d'aprčs les Pčres d'Occident.
Bellefontaine, 1990.
Coune,
Michel, Joie de la Transfiguration d'aprčs les Pčres d'Orient.
Bellefontaine, 1985.
Dabrowski,
Eugčne, La Transfiguration de Jésus. Institut Biblique Pontifical: Rome , 1939.
de
Feraudy, Roselyne, L'icône de la Transfiguration. Abbaye de Bellefontaine,
1978.
Jean
Damascčne (8e sičcle), Homélie sur la Transfiguration du Seigneur.Dans
Roselyne de Feraudy, L'icône de la Transfiguration. Abbaye de
Bellefontaine, 1978. Pages 147-184.
Habra,
Georges, La Transfiguration selon les Pčres grecs. Éditions SOS, 1973.
Un
Moine de l'Église d'Orient, L'an de grâce du Seigneur. Cerf, 1988. Pages
277-282.
Rousseau,
Daniel, L'icône, splendeur de ton visage. Saint-Paul, 1994. Pages 181-187.
Source:
http://www.pagesorthodoxes.net/fetes/transfiguration1.htm
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