À la rencontre d’une
belle, et forte âme : Mère Yvonne-Aimée de
Malestroit ( 1 )
Yvonne Beauvais, fille d’Alfred
Beauvais, propriétaire de 90 hectares de fermes
à Cossé-en-Champagne, au Sudest de la Mayenne, et de Lucie Beauvais,
est née le 16 Juillet 1901, en la fête de
Notre-Dame du Mont -Carmel dans la
vieille demeure des Beauvais .
Elle était souriante, ouverte,
spontanée, drôle. Yvonne dit d’elle-même : «Je suis née avec une quantité de défauts
mais je crois
que, de tous, la colère était le dominant.
Pour un rien,
je trépignais et me roulais à terre.
A 16 mois, je
promettais «de donner du fil à retordre».
Yvonne et Suzanne, sa soeur aînée, sont
inséparables.
Son père mourut le 17 octobre 1904,
il laissa une veuve ruinée de 29 ans et
deux fillettes. Mme Alfred Beauvais,
laissant Yvonne à la garde des
grandsparents,
partit pour Boulogne-sur-Mer, où
l’attendait un poste d’adjointe dans un
pensionnat libre. Elle emmenait avec elle Suzanne, sa fille aînée. La jeune veuve, de quasi châtelaine, devenait salariée à
l’essai pour vingt francs par mois.
C’est alors que Dieu donna à Yvonne
une compagne douce et voilée : la souffrance
! L’éloignement de sa chère
maman était son plus grand chagrin.
Chaque soir, elle la réclamait et sa
bonne grand-mère avait beaucoup de mal à la consoler de son absence.
● Yvonne affronte ses défauts
Yvonne n’arrêtait pas de poser des
questions et était coquette et orgueilleuse.
«J’étais aussi très gourmande.
Lorsque ma grand-mère ou mes tantes
me donnaient de l’argent, je leur demandais
combien cela représentait de choux à
la crème... J’avais en moi le germe d’à peu près tous les
défauts et je voulais devenir une sainte !
Il n’y avait pas de temps à
perdre... Quel travail pour y parvenir ! »
Ces tendances mauvaises, «ces
suites du péché originel», Yvonne les
combattait dès son plus jeune âge. Elle
avait compris, sans connaître le mot, la nécessité d’une ascèse, afin que
la charité, qui est l’amour de Dieu et du prochain, pénétrât tout en elle.
● Départ pour
Argentan
Depuis deux ans, Mme Beauvais
enseignait à Boulogne-sur-Mer. En 1907 ;
elle put prendre ses deux filles avec elle.
C’est là que les grandes souffrances
d’Yvonne allaient commencer : discipline rigide du pensionnat et devoirs
au-dessus de son âge qui la feront passer pour paresseuse...!
Cependant, Argentan demeurait
pour Yvonne le lieu d’une grande grâce.
C’est là qu’elle reçut pour la première fois, selon l’expression qu’elle
emploiera plus
tard, « le magnifique sacrement de
Pénitence qui pourrait faire de nous, si nous le voulions, des saints !... »
Elle l’avait voulu. Préparée
avec foi par une
jeune religieuse, c’est le
16 Juillet 1908, pour ses
sept ans, qu’elle se
confessa à l’abbé Moîteaux.
Elle franchit, ce jour-là, une nouvelle
étape : «Je fis beaucoup plus d’efforts sur moi-même.
Je me privais souvent d’une friandise et je me contenais lorsque j’avais envie
de pleurer ou de me mettre en colère, je tâchais aussi d’accepter toutes les observations
et de m’excuser. J’étais sujette aux engelures et, pour les soigner,
Grand-mère m’avait envoyé une crème
quelconque qui calmait bien la douleur.
Pour souffrir un peu, je ne mettais pas de crème mais les
engelures s’enflammèrent, crevèrent et il se forma des abcès.
Tout d’abord, je voulais les supporter sans rien dire
mais la souffrance devint trop forte et maman me les fit soigner. Si je n’ai pas
plus de courage, me disais-je, je ne deviendrai jamais une sainte...»
Yvonne va saisir que la meilleure
ascèse est d’observer le grand commandement
de l’amour de Dieu et du prochain
! « Pendant les vacances, je faisais
attention à ne pas me disputer avec ma
soeur ; j’avais du mal à lui céder car j’étais très
volontaire ; je parvins cependant, petit à petit, à être plus douce envers ma
grande soeur qui m’aimait bien et qui était gentille
pour moi. »
● Le petit mouton
blanc
- A Villaines-la-Juhel, il y avait la tante Doitteau qui avait, en dehors
de Villaines, un grand jardin rempli
de bosquets faits de
jolis arbustes.
Tout
poussait là : fleurs de
toutes sortes, arbres
d’essences
variées,
et il y avait aussi un
petit étang où nous
pêchions poissons et grenouilles.
Un jour que je m’étais éloignée du
groupe de famille pour partir à la découverte,
j’entrai dans un rond-point de lilas.
Je me sentais infiniment heureuse et,
dans ma solitude embaumée, je parlais à Dieu. Je Le remerciais d’avoir fait
d’aussi belles choses pour nous. Je ne sais trop ce que je lui disais mais ce
devait être des tendresses. Un bruit léger dans les hautes herbes me fit me
retourner : un petit mouton
blanc, très blanc, s’approchait de moi.
Je n’avais jamais vu de près un mouton et je trouvais celui-ci si joli ! Il
se coucha près de moi, je lui caressais la tête qu’il avait posée sur mes
genoux. Il me léchait la
main, puis bondissait pour s’approcher de
ma figure. Les yeux avaient une expression
douce et câline.
Je m’entendis appeler. On s’inquiétait
de mon absence : «Yvonne, où es-tu ?
Vonnette ! Vonnette ! » Je me levais aussitôt
et répondis : « Ici, je suis là ! - Où ? -
Dans les lilas » Un ah ! de
soulagement
me répondit. Je voulus donner une dernière
caresse au mouton : il était parti... On
m’avait cru tombée dans l’étang. Ma tante et maman me demandèrent ce que
j’avais fait et si, pendant tout ce temps, je ne m’étais pas ennuyée :
- Oh non, j’ai joué avec un joli petit mouton.
Il n’y a pas de mouton ici et pas dans
les environs. D’ailleurs, il n’aurait pu entrer
puisque la propriété est fermée de partout.
Poliment, je n’insistai pas mais je savais
que le petit mouton si joli et si blanc était
réellement venu près de moi et je fis
quelques pas pour le retrouver. Hélas, le petit mouton blanc avait disparu
et mon coeur se serra.
Un autre fait : sur cette route de
Villaines-la-Juhel, à Courcité, Yvonne
cueillait des fleurs de coucous pour faire une balle, mais elle n'avait
personne à qui la lancer. Soudain, un petit garçon, de huit ans environ, d’une
beauté admirable, se
trouva là et joua longtemps avec elle. Puis il disparut, la laissant
paisible et heureuse.
Peut-être faut-il voir là une anticipation
mystérieuse des dons préternaturels
dont un jour elle sera comblée ?
● Départ pour
Toul
Le 26 juillet 1909, s’était achevée la
deuxième année scolaire de l’institution Jeanne-d’Arc. A l’automne suivant,
Yvonne,
accompagnant sa mère et sa soeur, se
rendit à Toul (pour quatre ans). Elle
emportait dans son coeur le désir, plus fort que jamais, de devenir une
sainte.
Yvonne prit l’habitude de se confesser
régulièrement. Son confesseur fut
frappé de l’attitude attentive et recueillie de sa petite pénitente, de sa
volonté résolue, de son bon regard loyal. Dès le début,
il remarqua qu’elle avait une âme très bien préparée.
● Première
communion
Pendant les vacances de l’été 1910
que MmeBeauvais et ses filles passèrent au Mans, le pape Pie X jugea que la coutume de retarder la première communion, jusqu’à
l’âge de 11, 12 ou 14 ans, était abusive.
Alors, par le décret quam singulari, il convia les enfants à communier précocement, dès qu’ils sauraient, par la foi, distinguer
le pain consacré du pain ordinaire.
Le Père Questel, qui prêcha une
retraite, discerna tout de suite que la petite Yvonne Beauvais voulait se
donner sans réserve à Jésus-Christ. Alors, il lui proposa de faire une promesse
: « Chaque jour
de sa vie, prier et offrir des sacrifices pour les
prêtres. »
Une telle intention, suggérée à une
enfant de 9 ans et demi, pouvait paraître inopportune et trop lourde. En
fait, le Père Questel venait d’imprimer dans le coeur
d’Yvonne un nouvel élan et de lui révéler l’un des plus hauts motifs de la
charité.
● Une double
promesse
Le Père Questel fit à Yvonne une
recommandation plus concrète encore :
- Demandez aussi à Jésus d’attacher
spécialement à votre âme, le
jour de votre première communion, une âme d’enfant appelé à devenir prêtre,
sans désirer savoir ici-bas comment il se nomme et quel pays il habite. Chaque
jour, vous prierez et vous vous sacrifierez pour sa vocation et son
sacerdoce. Une fois de
plus, le Père Questel
avait touché juste.
Yvonne, dont l’instinct
maternel se sublimait
de plus en plus par la
foi, fit «à Jésus» cette
double promesse.
«Alors, le 30 décembre
1910, dans la chapelle
des Auxiliatrices, où
pénétrait à peine la rumeur de Paris et du monde, le
grand jour arriva, mon coeur battait avec violence, j’étais toute émue, mais si
complètement heureuse.»«Petit Jésus, saints Innocents, ne permettez pas que je
commette un seul péché mortel : faites-moi plutôt mourir.
Je veux rester blanche et pure, je veux être une sainte. »
● J’ai cru en
mourir
Après avoir reçu Jésus-Hostie, mon
bonheur fut si grand que j’ai cru en mourir.
Je ne pouvais plus parler, je ne savais que dire à l’hôte de mon coeur : « Je T’aime à en mourir, je T’aime avec toutes mes forces,
toute mon âme. Je T’appartiens totalement. » J’ai senti qu’Il me prenait tout entière.
Lors d’une autre eucharistie, je lui dis
que je voulais être, comme la petite Thérèse, une martyre d’amour et sauver
beaucoup d’âmes. Jésus me parla beaucoup pendant mon action de grâces : « Il me fit comprendre que tous mes défauts provenaient
de ce que j’étais trop contente de
moi : coquetterie, mauvaise humeur, désobéissance, vanité,
etc. Tout cela provenait de ce que je trouvais bien tout ce que je faisais et
que je tenais à n’en faire qu’à ma tête ? Je préférais ma
volonté à celle des autres,
même à celle de maman, de
mes maîtresses. J’étais
mécontente lorsqu’on m’obligeait
à faire quelque chose,
alors que j’avais décidé d’en
faire une autre. Je me croyais
capable de me diriger moimême.
Quel orgueil ! »
●Le pacte
d’amour
Le premier janvier 1911, c’était jour
de vacances pour Yvonne ; elle s’isola et devant son grand crucifix, mue
par l’Esprit-Saint, elle écrivit avec son sang un pacte d’amour. Ce texte, qui
est d’une ferme concision, révèle la vie intérieure, profonde et déjà ancienne,
l’incessant dialogue avec Jésus-Christ. Et il confirme la précoce maturité
spirituelle. Cette petite, sans le savoir, avec 10
lignes de papier écolier, en utilisant 6 fois la formule : «je
veux», en donne ces équivalents si profonds
: «Je veux = je veux aimer = je veux souffrir = je veux Ta volonté »
“ Ô mon Petit Jésus, je me donne à Toi
entièrement et pour toujours. Je voudrai toujours ce que Tu voudras. Je ferai
tout ce
que Tu me diras de faire. Je ne vivrai que
pour Toi, je travaillerai en silence et, si Tu le veux, je souffrirai beaucoup
en silence.
Je Te supplie de me faire devenir sainte,
une très grande sainte, une martyre. Fais-moi être fidèle toujours.
Je veux sauver beaucoup d’âmes et T’aimer
plus que tout le monde mais je veux aussi être toute petite afin de Te donner
plus de
gloire. Je veux Te posséder, mon petit
Jésus, et Te rayonner. Je veux n’être qu’à Toi mais je veux surtout Ta Volonté.
Ta petite Yvonne 1er janvier 1911 ”
● A la cathédrale
de Toul
Dieu va creuser en Yvonne la capacité
de croire et d’aimer. De 11 à 19 ans,
sevrée de grâces sensibles, elle va traverser
dans la foi pure, un désert spirituel fait de mauvaise santé, d’échecs
scolaires, d’incompréhensions, de délaissements.
Ces épreuves sont les signes d’une prédestination à une grande sainteté. Yvonne, cependant, garde son sourire
espiègle.
A partir de 1912, c’est-à-dire de la
troisième année passée à Toul, les notes, petit
à petit, devinrent moins bonnes.
« On m’accusa de paresse, je voulais
bien le croire. Mais voici au juste ce qu’il en était. Je
souffrais souvent dans la tête et le côté droit mais je ne voulais pas me plaindre,
je voulais souffrir pour mon Jésus.Quand j’avais
trop mal, je le disais à maman. On me mettait au lit, et comme le
lendemain tout allait bien, on crut que
j’étais douillette et que j’aimais mon lit plus que le
travail.
A l’étude, je m’appliquais beaucoup
et au bout d’une heure, ma tête devenait lourde et
douloureuse, je ne pouvais plus étudier. Mais je ne voulais pas me plaindre ;
le résultat ne pouvait être brillant.
Un jour, j’entendis maman dire à une
dame venue en visite : “Ma Vonnette n’est pas
travailleuse mais j’espère que cela passera, elle est aussi moins douée que sa
soeur. Je crois
que nous n’arriverons jamais à lui faire passer un examen quelconque.”
En entendant cela, je me mis à pleurer.
Je voulais bien croire que je n’étais pas douée mais la
pensée que l’on me trouvait paresseuse alors qu’au contraire, je faisais tous
mes efforts et que mes maux de tête étaient l’unique raison du mauvais résultat
de mes études, tout cela me fit de
la peine... »
●Souffrante et
ignorante
Elle fut instruite, intérieurement, de
l’attitude qu’elle devait prendre : «Jésus me fit comprendre qu’Il aimait mieux que je souffre
en silence, qu’un bon résultat dans les études ne me donnerait que de l’amour-propre
et de la trop grande satisfaction
et qu’Il préférait que je reste ignorante
pour Lui que de devenir savante
pour le monde. Je continuai donc ma vie toute pareille,
pleine de luttes.
Je voyais que mes maîtresses se
désintéressaient de moi ; plusieurs fois, je les entendais
dire entre elles que je ne serais qu’une bonne à rien ! Et j’en entendais bien
d’autres. Mais si ces réflexions,d’un certain côté, me faisaient souffrir, je me
consolais à la pensée que Jésus ne se désintéressait pas de moi, qu’Il lisait
dans
mon coeur et qu’Il y voyait tout... surtout mon désir de
disparaître, de me faire petite et sotte même pour Lui plaire. »
● La lutte contre
ses défauts
En même temps, sans relâche, la
lutte contre ses défauts continuait. Depuis la prime enfance au Mans,
l’habitude d’une ascèse incessante, pour laisser place à l’amour de Jésus, se
poursuivait :
« J’essayais de Lui être fidèle dans toutes les petites
occasions qu’Il mettait sur mon chemin et je travaillais sérieusement à me vaincre
et à me corriger de mes défauts.
Jésus, d’ailleurs, multipliait les occasions.
J’avais pris la résolution de me lever au
premier signal du réveil matinal ; cela
m’était très pénible, mais je crois que,
volontairement, je n y ai jamais manqué. »
● Sa première
prophétie
Un soir de 1912, on vint à parler à
table des grands Ordres religieux. Les
jeunes maîtresses s’amusaient à dire leur préférence pour tel ou tel de
ceux-là. MlleRodi, chargée du jardin d’enfants, n’avait encore rien manifesté.
Tout à coup, la petite
Yvonne, assise à cette même table,
déclara d’un air assuré :
- Mademoiselle Rodi sera carmélite !
L’intéressée sursauta :
- Qu’en savez-vous ? dit-elle.
Et Mme Beauvais d’ajouter :
- Pourquoi penses-tu cela, Yvonne ?
Mais sans s’expliquer, la petite fille répéta comme quelqu’un qui est sûr
et certain de ce qu’il affirme :
- Oui, Mlle Rodi sera carmélite.
Mlle Rodi hésitait alors entre les Clarisses et les Visitandines et n’avait
jamais révélé quoi que ce soit à ce sujet. Elle demeura interdite.
En effet, elle entra, en 1915, au Carmel de Domrémy, devint, en 1927, la
première Prieure du Carmel français de Rome et résida ensuite au Carmel de Nice
et a celui de Lyon-Fourvière.
- Ma petite Vonnette fera une bonne
mère de famille.
Ce soir-là, où la conversation roulait
sur le mariage, les jeunes maîtresses donnaient leur point de vue. Mme
Beauvais demanda : - Et toi,Yvonne ?
Sous entendu : «Voudrais-tu te
marier, et avec qui ? » L’enfant répondit doucement : «Avec Jésus. »
● Le désert
spirituel
Dès la fin de 1911, Yvonne fut sevrée
des consolations et des grâces sensibles
qui jusque-là soutenaient son courage et sa foi. Une nouvelle étape
intérieure commençait.
Yvonne aurait sans doute frémi et
défailli si elle avait pu savoir que cette nuit
de l’âme allait se prolonger, de plus en plus épaisse, pendant au moins
huit ans : «J’ai toujours eu confiance en
Lui... même lorsque je ne le sentais pas (de 11 à 19 ans). A chaque peine et à
chaque souffrance, je me rendais à l’église pour qu’Il me console. Je ne
voulais que Lui.
Rien ne paraissait au-dehors de ce
combat spirituel : «La plus gaie, la plus charitable,
la plus mignonne... la plus vive... »
A 12 ans, elle avait beaucoup grandi
mais demeurait mince, le teint pâle, le sourire doux, la voix cristalline,
les gestes souples et harmonieux, les yeux parfois cernés. Le regard était
limpide, droit, profond « avec quelque chose
d’extraordinaire » qui frappait les élèves de ce temps-là à la «Miséricorde ».
L’atmosphère de la «Miséricorde» de
Toul était bien propre à l’épanouissement
surnaturel des élèves. C’était la discipline du milieu officier et en même
temps la régularité d’un monastère. Mme Beauvais
dirigeait avec une fermeté pleine de tact, un sens du devoir qui ne se
relâchait jamais. En tout, elle donnait l’exemple. Il était impossible de
trouver une supérieure
plus parfaite que cette jeune veuve, mère de famille, femme du monde...
● La Communion
solennelle et la Confirmation (1913)
En 1912-1913, ce fut le chanoine
Aubry, archiprêtre de la cathédrale, qui, avec
beaucoup de soin, fit le catéchisme de communion solennelle
et prêcha la retraite préparatoire.
Le dimanche de la Pentecôte, 11 mai
1913, les cloches majestueuses de la
cathédrale Saint-Etienne annoncèrent cette fête de la Communion solennelle et de la rénovation des promesses
du Baptême. L’enfant avait franchi
une étape ; elle était déjà entrée profondément dans le domaine
de la foi pure, dégagée du sensible et
dans un jeu mystérieux, dont Dieu est le seul Maître. L’action divine en
elle était d’une intensité si aveuglante qu’elle produisait cette «nuit», une
«nuit» qui lui éclairait les profondeurs de l’âme.
Le 18 mai, fête de la Sainte-Trinité,
Yvonne, à nouveau vêtue de blanc reçut, en la cathédrale, le sacrement de
Confirmation.
Un prélat missionnaire remplaçait
l’évêque de Nancy-Toul, malade. Tandis que
retentissait le Veni Creator, Yvonne présenta son front à l’onction du Saint Chrême et à l’effusion
nouvelle des dons
de l’Esprit-Saint (si cet archevêque avait pu lire dans l’avenir, sa main,
sans doute, aurait tremblé, tandis qu’il disait : «Yvonne,
je te marque du signe de la croix ! »)
La Première Communion et la Confirmation ont été deux temps forts de la grâce,
que laissent entrevoir le pacte d’amour et l’entrée dans la foi pure.
En somme, à l’ombre de la vieille
cathédrale de Lorraine, pour Yvonne,
avant l’âge de douze ans, « tout s’est joué. »
● Le départ de
Toul
Le 5 septembre 1913, au collège Sainte-Marie de Neuilly-sur-
Seine, Yvonne devint
pensionnaire et prit place
en classe de cinquième.
Sa soeur Suzanne, également
pensionnaire, était admise en
troisième ; quant à Mme
Beauvais, elle prit le poste d’économe de l’établissement.
« Mes études n’allaient pas mieux qu’à
Toul, relate-t-elle. J’avais presque
constamment mal à la tête et j’avais mal au coeur après
tous les repas. Lorsque parfois je me plaignais, on me disait que c’était de la
paresse. Je sentais que ma petite maman elle-même ne me comprenait pas, elle
m’aimait tendrement, mais
j’aurais voulu autre chose. »
Les mauvaises notes, les dernières
places, les retenues pleuvaient. Mme
Beauvais, fidèle à ses principes, ne voulait pas user de son influence pour
adoucir ces sanctions.
Le 18 juillet 1914 (personne, en
France, ne se doutait de l’imminence de la guerre), Mme Beauvais, au lieu
d’emmener Yvonne en vacances dans la Sarthe, l’envoya, séance tenante, en
Angleterre.
Peut-être était-ce pour éviter les lamentations des deux grand-mères du
Mans qui s’y seraient opposées. Suzanne fut chargée de conduire sa jeune soeur
au pensionnat
d’Abbey-Wood, près de Londres,
sans donner d’explication au départ : « Je ne sus
cette décision que sur le bateau.J’étais triste mais ne voulais pas le paraître
; ce qui me faisait le plus de peine, c’était que ce voyage était une sorte de punition.»
Pourtant, Yvonne était soulagée de
quitter Neuilly : « Neuilly m’a désespérée, » dira-t-elle plus tard.
● Abbey-Wood :
1914-1916, l’éducation britannique, oasis spirituelle
En 1904, les Filles de Jésus de Kermaria, dépouillées par la loi
contre les Congrégations et exilées du Morbihan, avaient trouvé refuge à
Abbey-Wood dans la banlieue de Londres. Elles y
ouvrirent
une High School qui conquit la faveur des familles anglaises, protestantes et catholiques.
A l’appel de la cloche, les jeunes
élèves regagnaient leur classe sans se
mettre, comme c’était alors la coutume dans toute la France, «en rang et en
silence ». Les cours, plus brefs, étaient coupés de gymnastique, de danses
rythmiques et de sport. On prenait ensemble le thé... Les
Filles de Jésus, sous leur grande
coiffe
bretonne, s’étaient vite adaptées à la
façon de vivre des schools.
Yvonne reçut, à Abbey-Wood, un
accueil qui la mit tout de suite en confiance.
Elle s’attacha aux religieuses. L’une
d’elles, Mère Saint-Ignace, diplômée
d’Oxford, fut encourageante.
Yvonne parut d’abord une élève ordinaire, elle se portait encore mal et ne
saisissait pas - à cause de la langue anglaise - la teneur complète des cours.
Mais, de jour en jour, elle vit sa santé s’affermir au grand air. Le régime
britannique lui convenait
à merveille. Elle grandissait, s’épanouissait, pouvait enfin travailler. Au
bout de trois mois, elle parvint à s’exprimer couramment
et correctement. Et de bonnes
places vinrent la récompenser.
Pendant sa seconde année, passée
en Angleterre, Yvonne, en réponse à ses prières, entendit l’appel divin,
prit
conscience formelle de sa vocation religieuse et s’en ouvrit aux bonnes
Mères qui s’en réjouirent et y crurent :
Yvonne pourrait sans tarder entrer au
juvénat des Filles de Jésus. Dès lors, elle prit
l’habitude d’aller
réciter, avec les religieuses, vêpres et
complies, et souvent matines et laudes.
Tandis qu’en France se poursuivait la
bataille de Verdun, Yvonne achevait sa seconde année en Angleterre. Mme Beauvais rappela sa fille. C’est avec regret que celle-ci dut quitter
sa High School car c’est à Abbey-Wood qu’elle avait compris le sacrifice
et le don de soi.
● 1916-1917 : Le
Mans
A la rentrée d’octobre 1916, tandis
que Mme Beauvais et Suzanne rejoignaient le collège Sainte-Marie de
Neuilly, Yvonne, sur le désir de ses grand-mères,
resta au Mans, comme pensionnaire à l’institution Lair-Lamotte, où, dix ans plus
tôt, elle avait
appris à lire. En ce milieu fermé, Yvonne fit sensation parce qu’elle
débarquait de Londres et parlait couramment l’anglais.
● 1917-1919 à
Neuilly
Suzanne et Yvonne furent ravies de
retrouver un foyer familial après douze années passées de pension en
pension.
A la rentrée d’octobre, Mme Beauvais
reprit son poste d’économe chez Mme
Daniélou et Suzanne y prépara une licence ès lettres. Avec l’approbation du
Père Trégard, Yvonne entra en première, à l’école
Sainte-Geneviève de Neuilly (aujourd’hui, Saint-Dominique). «Ces études-là me plurent beaucoup.
J’étais en retard sur les autres qui avaient déjà plusieurs
années d’études secondaires,
aussi me fallait-il travailler ferme pour être dans les
premières de ma classe. »
Yvonne continue d’avancer dans la
nuit : « Je me disais que je devais manquer
de recueillement et qu’en faisant plus de silence en moi, j’entendrais mieux
les paroles divines de Jésus. Pourtant, je faisais
tous mes efforts pour garder mon
âme dans le silence et dans la paix. Je
regardais l’Hostie et je me disais : “Elle est vivante et
Elle se tait”, je dois lui ressembler.
» «C’est pendant ces deux années de
Neuilly (1917-1919) et les deux suivantes que je me mis
sérieusement à aimer le Bon Dieu et à travailler vraiment par amour pour
lui...»
● Après les
études, les pauvres
A partir de 1918, Yvonne arrête ses
études et se consacre secrètement aux
pauvres.
«Grand-mère Beauvais me venait
heureusement souvent en aide pour “mes charités,” mais
tout cela ne suffit bientôt plus. C’est alors que je résolus de travailler et
gagner de l’argent, mais je n’étais bonne qu’à faire des ménages et j’en fis.
Je décidai maman à ne plus prendre de
bonne, disant que nous nous en passerions bien. Il fut
convenu qu’elle me donnerait le prix qui lui aurait été donné. Et en dehors de
cela, je trouvais d’autres moyens de gagner un peu d’argent supplémentaire.
Ma grande chance : maman
ne s’intéressait jamais à mes activités ni à mes sorties
! »
Pendant deux ans, de 1921 à 1922,
elle occupa son emploi de cuisinière et de femme de ménage à la maison. Dans les heures libres, elle partait pour la zone ou s’en allait faire des
heures de ménage dans Paris, au profit de ses pauvres.
● 1921 : Yvonne
doit se marier...
C’était vraiment une conspiration :
mère, tantes, cousines, amies : toutes
s’occupaient de marier Yvonne. Le Père Trégard approuvait ! « Elle était faite, disait-on,
pour être mère de famille ! »
Yvonne, insinuait, mais en vain, que
l’idée de se marier ne l’avait jamais emballée...
Le 15 décembre, épuisée par ses
activités à la maison et dans les bidonvilles, elle contracta une maladie infectieuse, qualifiée de paratyphoïde sans hémoculture
de contrôle. La fièvre était persistante et les
maux de tête intenses. Elle eut une syncope, suivie d’une heure de céphalée
très vive, avec des poussées de fièvre qui laissaient un état permanent de
fièvre.
Etait-ce la cause de son combat intérieur ? En cette période
1920-1921, où elle avait reçu des grâces importantes, la lutte s’intensifiait dans son coeur, entre deux amours grandissants et
authentiques,
celui de Robert, son ami d’enfance et celui de Jésus-Christ.
Le médecin parisien prescrit à Yvonne
un changement d’air, un séjour prolongé dans une clinique à la campagne.
Mais où aller ?
« Yvonne, allez donc dans mon pays
natal, à Malestroit, au fond de la Bretagne,suggéra Mlle Bato. C’est dans le Morbihan.Il y a là un petit monastère
d’Augustines...
Elles ont une clinique... Vous y serez très bien... au
calme... dans le silence. Vous pourrez respirer l’air de bois de pins. Et puis,
vous serez bien accueillie par ma soeur, Mère Madeleine du Sacré-Coeur, qui est
l’une des religieuses... »
● Malestroit
1 800 âmes. Ruelles sombres à gros
pavés, jardins clos, logis anciens de granit ou de bois sculpté, halles
médiévales à grosses poutres et grand toit. La plupart des jeunes filles,
portaient la légère coiffe renaissance. Point de langue bretonne mais un
patois. C’était ici la terre des chevaliers de la Table ronde, le pays gallo, avec
son rude parler, ses traditions et ses fidélités, il relevait de l’évêché de
Vannes.
Le canal de Nantes à Brest, bordé de peupliers, traversait la petite ville.
Des
péniches, halées par des chevaux, glissaient silencieusement entre-deux
arrêts aux écluses. Au loin, les landes et les collines
boisées. Et au centre, l’église, le couvent, la clinique et l’hospice. Au
sortir de Paris, quel calme saisissant !
Extras din Revista/Buletinul Bulletin ETOILE NOTRE DAME N°232 - JUILLET AOÛT 2014 - mensuel 2€ - 53104
Mayenne, France, www.etoilenotredame.org
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