À la rencontre d’une
belle, et forte âme :
Mère Yvonne-Aimée de
Malestroit ( 2 )
Depuis la mort du Père Trégard,
Yvonne recherchait un directeur spirituel.
Par l’intermédiaire de Mère Madeleine, elle consulta le Père Crété,
confesseur du monastère. Le Père Théodore Crété, 56 ans,
était recteur du collège Saint-François-Xavier de Vannes. C’était un Breton
de souche paysanne. Grand de taille,
réceptif, intuitif, homme cultivé, il exerçait, de surcroît, un ministère
de prédication.
Yvonne dut lui exposer l’angoisse
qu’elle éprouvait au sujet de son choix de vie. Le Père Crété la revit plus
tard. Il fut bien impressionné, décela qu’elle n’était pas une névropathe, eut
tôt fait de découvrir dans cette âme l’habitude de la prière, la capacité de
renoncement et de dévouement,
l’amour de Dieu. Alors catégoriquement,
il déclara : « Le Seigneur Jésus vous
veut toute à Lui ! »
Une telle réponse libéra Yvonne, la fit
exulter, confirma ce qu’elle pressentait, mais quelle
souffrance en pensant qu’il lui faudrait abandonner Robert et plonger celui-ci dans le désespoir, briser la tendresse
qu’elle avait acclimatée dans son
coeur de fiancée.
Et ce n’était pas tout : de son côté,
Mme Beauvais, nullement arrêtée par ses échecs précédents, voulait
présenter à Yvonne de nouveaux partis.
● Le printemps
mystique
Le 12 juin 1922, dimanche de la Trinité, dans la
chapelle du Monastère : «Je ne sais comment cela s’est fait,
écrit Yvonne au Père Crété, ce matin, à la Messe, Jésus m’a prise tout à
coup. Je ne sentais plus que Lui, je ne me rendais plus compte où j’étais.
Heureusement, je me suis levée, agenouillée quand il a fallu,
mais je chancelais, je n’y étais plus, j’ai été obligée
de m’asseoir aussitôt revenue à ma place après la communion, pour ne pas trahir
la violence de mon émotion,
contenir les battements de mon coeur. Oh ! Mon Jésus
comme je suis heureuse ! Comme je sais bien que c’est Vous qui êtes en moi...
Je renonce à être aimée... »
Le soir de ce même jour, Yvonne,
soulevée par une nouvelle grâce puissante, va franchir une nouvelle étape :
«A genoux, tenant mon crucifix dans
mes mains et le couvrant de mes baisers, j’ai commencé
les paroles de l’immolation : Seigneur dès ce moment, je renonce à être
aimée... Alors, il m’a semblé que quelque chose s’était brisé en moi à ce moment-là,
que la terre devenait tout à coup vide, froide, comme couverte de ténèbres. Mon
Dieu, quelle solitude, quel
silence, quelle nuit ! O mon Jésus, votre Amour me tient
lieu de tout. Pourvu que vous me restiez, je suis contente et c’est assez !
C’est le plus gros sacrifice que je pouvais vous faire.»
L’acte du renoncement était accompli dans la ligne et la tonalité du pacte d’amour de 1911. Ce n’était pas une conversion mais une nouvelle étape sur la même route,
toujours. Alors, jaillit un cri de liberté, de disponibilité, d’offrande
inconditionnée aux vouloirs divins quels qu’ils soient : « Je vous aime, mon
Dieu. Oh ! Je vous aime ! »
Mais, en retour, était-ce le contrecoup
de ces événements intérieurs et
l’emprise divine qui se faisait plus forte ?
Yvonne s’alita. Le thermomètre marquait 40°. Arriva le
spécialiste. C’était le professeur Charles Miraillé, titulaire de la chaire de neurologie et directeur de l’Ecole de médecine de
Nantes. Il examina la jeune
malade pendant une demi-heure et écarta l’hypothèse de méningite.
Sur le seuil de la chambre, en repartant, il dit, spontanément, à Mère
Madeleine
: « Cette jeune fille n’a rien de nerveux.
Elle est parfaitement équilibrée. Pourtant, il y a
quelque chose... mais ce n’est pas de mon ressort : ce doit être du vôtre... »
Yvonne se remit rapidement.
● La première
extase
Le mercredi 5 juillet 1922,
Yvonne se coucha de bonne heure,
contrairement à son habitude.
Mère Saint-Paul, qui était de garde,
frappa doucement à la porte d’Yvonne et n’entendant pas de réponse,
s’inquiéta et entra : la jeune fille était en prière,
à genoux sur son lit et ne tourna pas la tête.
Surprise, la religieuse s’en fut prévenir Mère Madeleine qui vint de suite
voir ce qui se passait...
Yvonne était encore à genoux sur
son lit, pâle, les yeux grands ouverts, sans un battement de paupière. Le
visage avait une expression impressionnante.
«Yvonne ! » dit Mère
Madeleine. Pas
de réponse. « Yvonne ! Yvonne ! » insista l’hospitalière.
La jeune fille ne bougea pas. Ses
yeux demeuraient fixés en face d’elle, à gauche de la cheminée, sur le mur
de couleur grise, unie.
Mère Madeleine s’approcha, toucha
légèrement l’épaule, prit les mains
d’Yvonne et lui demanda de se coucher.
Yvonne regarda comme une personne
qui revient d’ailleurs et se laissa tomber sur les oreillers. Elle avait dans la main une fleur de lys.
« Oh! Yvonne, ce n’est pas sain
d’avoir pris un lys avec vous. Je ne veux pas que vous le
gardiez dans votre
chambre, la nuit.
- Je ne l’ai pas cueilli, ma Mère... Ce
n’est pas moi qui... »
Mère Madeleine eut tout de
suite conscience de quelque
chose d’extraordinaire.
« - Qui vous l’a donné ?
- C’est quelqu’un qui
me l’a cueilli et qui me l’a
donné... Ne me l’enlevez pas ! »
Mère Madeleine, d’autorité,
prit la fleur et la posa sur le
rebord extérieur de la fenêtre.
Puis l’hospitalière s’en fut,
sans rien dire. Deux heures plus tard, elle revint. Il faisait nuit noire. Yvonne était brûlée par la fièvre. Le thermomètre marquait 40°.
Le lendemain, la température était
redevenue normale. Yvonne ne fit aucune allusion à ce qui s’était passé
d’étrange la veille au soir. Elle était d’une douceur teintée de gravité. Les
jours suivants, elle garda encore le silence et Mère Madeleine
n’osait point l’interroger.
● Une vie
extraordinaire
Dans ce petit pays perdu au fond des
landes de la Bretagne, Yvonne venait de franchir, plus avant et sans
retour, le seuil d’une vie extraordinaire.
« Le 5 juillet, j’étais au lit, depuis dix
minutes environ, quand j’entendis distinctement mon nom :
“Yvonne !” Je tournai la tête vers la cheminée, d’où la voix semblait venir. Il
n’y avait personne. Pensant
que je m’étais trompée, je me
recouchai et essayai de dormir.
Une seconde fois, j’entendis : “Yvonne
!” J’eus peur, très peur et je me mis
la tête sous les couvertures et
commençai à réciter le Notre Père
tout haut. Arrivée à ces paroles :
Pardonnez-nous nos offenses
comme nous pardonnons à ceux
qui nous ont offensé, la voix se fit de
nouveau entendre : “Yvonne !” Je me
mis à genoux sur mon lit, et, du côté
de la cheminée, je vis une lueur...
Puis une croix se dessina, pendant
que la voix d’une extrême douceur disait :
“Veux-tu la porter ?”
- Oh ! oui, Seigneur, répondis-je.
Je me sentis à ce moment-même
envahie d’un bonheur immense. La voix reprit : “Sois une
âme abandonnée.
Accepte les épreuves que je t’enverrai
comme la plus grande faveur donnée aux âmes que j’aime.
Accepte-les sans t’en plaindre, sans en examiner la nature ou la durée, sans
t’en prévaloir. Ne prête pas attention à ce qui te mortifiera ou t’humiliera.
Regarde-moi, je t’aime. Cela ne suffit-il
pas à ton coeur ?“
- Oh ! Oui, Seigneur, répondis-je, je
vous aime. Mais est-ce bien Vous qui daignez me parler et
Vous occuper de votre petite créature ? Dites, Seigneur, est-ce bien Vous ?
Alors, je vis une main s’avancer près
de la croix, cueillir une fleur de lys et me la donner.
A ce moment, j’éprouvai un transport
de joie et d’amour qui me fit presque
défaillir, mais cela me parut durer peu,
seulement mon âme était remplie de
paix ! »
● Mon idéal,
c’est Toi
Yvonne s’était préparée,
depuis bientôt quinze ans, à ce
mystère d’amour «Si tu le veux, je
souffrirai beaucoup en silence»
«Mon idéal, c’est Toi Crucifié.»
(1914)
Ces prières exaucées ont révélé
au cours du temps sa vie intérieure et
son dialogue incessant et secret avec
Jésus-Christ. Maintenant, c’est le Seigneur qui va au-devant de ses désirs
et lui propose de porter la Croix.
Le séjour d’Yvonne à la maison des
Augustines de Malestroit va se prolonger encore sept semaines jusqu’au 2 septembre 1922. Ce sera une époque de sa vie
qu’elle qualifiera, vingt ans plus tard,
de printemps mystique. Le lys en était l’annonce.
● Une nouvelle
étape
« J’ai vu mon Jésus, témoigne
Yvonne,
il a daigné répondre au désir que
j’avais exprimé l’autre jour : le voir, Lui, le Créateur,
le Roi du Ciel, de la Terre, descendre et se laisser voir dans toute sa Majesté,
sa Splendeur, à sa petite et toute misérable créature. L’amour divin était là, qui
me soutenait. Ses traits étaient illuminés.
Ses yeux profonds regardaient dans
mes yeux et Il me souriait. Il était habillé de blanc. Sa
robe toute droite était juste retenue à la taille par un cordonnet blanc. Il avait
les pieds nus. Ses yeux étaient assez
foncés, ils paraissaient bruns dorés et
cependant ils avaient des reflets verts et
bleus. Ses cheveux châtains, à reflets d’or, tombaient
ondulés sur ses épaules. J’ai vu sa
physionomie changer. Je l’ai vu prendre tour à tour une expression de bonheur,
de joie, puis de tristesse infinie. Il pensait, m’a-t-Il dit, à une âme qui l’avait offensé :
“Prie encore pour elle, ma bien-aimée !”
- Tout ce qu’il vous plaira, Seigneur !
Alors, Il m’a souri...
Jésus m’a fait comprendre beaucoup
de choses qui se passent actuellement et
qui se sont passées dans la communauté et ailleurs. Il
m’a fait voir des âmes, des coeurs, des consciences. Il m’a fait voir les luttes,
les tentations, les sécheresses. Il m’a fait voir les repentirs, les bonnes volontés
et Il ajouta : “Connais le monde et
fais-lui du bien. Je me servirai de toi pour semer
l’Amour dans les âmes, pour soulager ceux qui souffrent, pour consoler ceux qui
pleurent, pour que tu me les amènes tous ! Pour cela, je te ferai passer par
tous les états... Ne crains rien... Je serai avec toi.” »
Le 1er août 1922, Yvonne eut une
entrevue avec le Père Crété à
Vannes :« Ma fille, vous avez vu le Seigneur Jésus,
attendez-vous, en contrepartie, à voir le démon. »
Dans la nuit du 2 au 3 août, Jésus est
passé avec l’odeur de l’encens. Le 3 au
soir, j’étais couchée. Le démon est arrivé :
« J’avais devant moi un être hideux,
une bête humaine, rouge et noire qui me fixait avec des
yeux terrifiants et flamboyants.
Il revint à quatre reprises en faisant
un tapage épouvantable dans ma
chambre, heurtant les murs, bousculant, chaises, table,
meubles, puis commença à me battre, à m’écorcher le dos, la poitrine,
les mains, à me tirer hors de mon lit par
les cheveux.
- A travers les couvertures de mon lit,
ses doigts crochus me brûlaient. Mais mes
souffrances ne sont rien en comparaison de la frayeur que
j’ai éprouvé devant cette bête infernale. Il provoque en moi l’horreur
et l’épouvante... »
Yvonne écrivit au Père Crété : «Mon
Père, le démon s’est acharné sur moi cette nuit et, ce matin, j’ai été
incapable de me lever. J’ai plusieurs plaies dans le dos et sur la poitrine et
cela me fait très mal quand je bouge, mais je souffre encore plus dans mon âme.
Oh ! Mon Père, priez pour moi, je voudrais tant être comme tout
le monde. Aimer Jésus de tout mon coeur, de toute mon âme... mais sans tout
cela.
J’ai aussi maintenant des cauchemars... »
● Jésus Roi
d’amour
Le 14 août, Mlle Bato offrit des roses à
Yvonne «pour fleurir Jésus».
- Après le dîner, relate Yvonne, je
remarque sur la tige de l’une des roses, une
inscription... pas assez nette cependant pour être lue. Pendant que Mlle Bato, Mère Madeleine et moi nous étions à essayer de la
déchiffrer, nous voyions petit à petit les lettres se former distinctement
et apparaître une petite écriture d’un reflet
argenté : JESUS LE ROI
D’AMOUR.
A 8 heures le soir, Yvonne, en présence des deux religieuses,
entra dans un recueillement extatique.
Elle entendait le Seigneur Jésus lui parler :
«Ma petite bien-aimée,
beaucoup d’âmes
s’arrêtent sur le
chemin de l’amour car trop chancellent
dans la voie du sacrifice. Ne sois pas de
celles-là. Pour aimer
beaucoup, il faut
savoir se mortifier, mortifier son corps,
mais plus encore son esprit. Prie, mortifie-toi, sacrifie-toi
pour que l’observance de la Règle soit gardée partout et toujours dans les
Ordres religieux. Je ne fais aucune distinction
entre un coeur innocent et un coeur
coupable : c’est celui qui m’aime davantage qui m’est le
plus cher. »
● Ma tendre Mère
du Ciel
A onze heures, je commençai à faire
mon heure sainte, quand, tout près de moi, j’entendis une voix très douce :
«Ma fille bien-aimée»
Et je vis ma tendre Mère du Ciel, resplendissante de
beauté, me tendre les bras. Je la vis très distinctement.
Oh ! Qu’elle est belle ! Elle ressemble
au Seigneur Jésus. Mais ses yeux sont
bleus, un bleu assez sombre. Ses cheveux sont blonds très
soutenus, à reflets d’or. Ils étaient recouverts d’un voile d’une transparence
et d’une légèreté incomparables.
Elle avait une assez longue robe
Blanche et légèrement froncée au cou et à la taille.
«Tu es, me dit-elle,
à un titre nouveau,
mon enfant toute privilégiée.
Aie recours à Moi dans tous tes besoins, je viendrai à
ton secours».
Suzanne, qui passait quelques semaines de vacances à Malestroit, et n’étant
au courant de rien, était de plus en plus étonnée par les allées et
venues de Mère Madeleine chez Yvonne ;
elle craignait qu’une pression ne s’exerçât pour faire entrer sa jeune
soeur au Monastère des soeurs. Elle se promettait de la distraire à son retour
à Paris : «Je n’étais pas opposée systématiquement à une vocation religieuse
chez Yvonne, même je
n’aurais pas été fâchée qu’elle en eût
une. » MmeBeauvais, de
son côté, se désolait
de voir s’écrouler les projets de mariage qu’elle échafaudait pour Yvonne.
Une coïncidence, cependant, l’avait frappée : à chaque ouverture de
pourparlers, Yvonne était tombée malade et le devenait davantage
si le projet se précisait.
Yvonne, prenant son courage à deux
mains, dit, en riant et peut-être en jouant sur les mots : « Ecoute, ma
petite maman, je crois que c’est net. Après ma première «présentation», j’ai eu
la scarlatine ! Le monsieur était pressé : il s’est marié !
Après le dixième ou même le douzième,
j’ai eu ma paratyphoïde et le monsieur estparti... Si tu
continues à me faire des présentations, je te dis que la prochaine fois le Bon
Dieu me prendra ! » C’est Mlle Bato qui confirmera
définitivement à Mme Beauvais,
qu’Yvonne ne voulait pas se marier. Alors Mme Beauvais, supposant que cette
décision laissait présager une vocation, «en fut très contente».
Le 9 octobre 1922, Yvonne rentra à
Paris après sept mois d’absence. Que
d’événements s’étaient déroulés dans cet intervalle ! «Il y avait
désormais en Yvonne un je ne sais quoi de doux et de grave, avec plus
d’effacement et de silence...
C’était comme si elle avait effectué un
repli en profondeur. »
Quatre années et demie vont s’écouler
avant qu’elle puisse franchir le seuil
d’un noviciat. Et lorsqu’elle aura la certitude intérieure d’être appelée à celui de Malestroit,
les contradictions, les interdictions, toutes sortes d’obstacles se dresseront contre
son entrée.
Dans cette période de transition, elle
va, selon la devise qu’elle a choisie : «Tout au
service du Roi Jésus», retrouver les pauvres
de la zone, et en même temps, remplir à Paris, en province, ou même à l’étranger,
d’étonnantes, secrètes et parfois
périlleuses missions spirituelles.
Cependant, sous l’enchevêtrement
des occupations et des épreuves, elle est attirée au-dedans d’elle-même
extraordinairement réceptive à la grâce
du moment présent, livrée à la prière incessante, ouverte à la Parole de Dieu
dans l’Evangile
et, de plus en plus, unifiée par l’Amour.
En bref, c’est la contemplation – contemplation sur les chemins du monde –
qui dominera sa vie, de juillet 1922 à mars 1927.
● Les prédictions
Avec le recul du temps, ces « cauchemars » apparaîtront comme des
prédictions, dont il a été possible de constater la réalisation. Le texte que voici est de 1922 :
«Je voyais les démons s’acharner
sur l’Europe, puis des multitudes
d’hommes se battre, se tuer, se déchirer, des foules
immenses se sauvant devant des incendies, le feu descendant du ciel et courant sur la terre. Jésus, quelquefois, venait
me rassurer et me dire : souffre,
prie, c’est une expiation. Puis le globe, la mappemonde,
tournait devant mes yeux horrifiés. “Reste calme”, disait Jésus.
Mais à l’intérieur, mon coeur battait à se rompre.
J’avais des amis qui priaient,mais personne ne pouvait comprendre la douleur
que je portais, le poids sur mon âme.
Sur cette mappemonde il y avait un
gros 17. Sur la France, j ‘ai vu 39. La Sainte Vierge portait une
corbeille de roses.
J’avais l’impression que ce tableau durait 4 à 5 années,
puis d’un temps que je n’ai pu évaluer : après quoi, j’ai vu une France lumineuse
éclairant le monde.
Je voyais Malestroit comme une
oasis de calme au milieu de la tempête et cependant je
vis aussi qu’il serait mis à l’épreuve (le couvent) ».
Le 17 marquait les années avant la
guerre. Le 39 et les 4-5 années a été le
temps de la guerre.
● l’Aimée du Roi
d’amour
«Le 31 octobre 1922, pendant que je
faisais mon action de grâces, la voix de
Jésus si belle et si douce, si pleine
d’amour, m’a dit : “Les Anges
t’appellent l’Aimée du Roi d’amour.”
Ces simples mots ne suffisent-ils pas
à me combler de joie et de reconnaissance et à remonter
mon courage ? »Telle est l’origine de ce double
nom d’Yvonne-Aimée qui deviendra, peu à peu, le
sien.
● Le combat
spirituel
L’être occulte qu’Yvonne appelait
sans hésitation le Démon, lui parlait
maintenant : « Pourquoi lutter ?
Tu vois bien que Dieu s’est enfui, ta
vue lui était odieuse, tu n ‘es qu’une
lâche, une ingrate, une orgueilleuse,
une hypocrite... Tu n’as pas de ressort.
Tu vois, tu n’en peux plus, tu n
‘es qu’une loque... et je suis fort, je te
veux ! »
Il lui répétait sans cesse que le Père Crété l’abandonnerait.
Celui-ci comprit que le démon ferait
tout pour le séparer d’Yvonne et que ce combat était engagé.
Le 2 novembre 1922, le Père Crété
lui écrivit sans ambages : « A vrai dire,
mon enfant, j’aime autant voir le Méchant
s’acharner sur votre pauvre corps que de le savoir
tentant votre chère âme, vous décourageant, vous amollissant. Qui sait s’il ne
parviendrait pas à vous faire quelque mal, peut-être vous rendre une minute
moins agréable au Seigneur Jésus. Et cela, j’aurais peine à le supporter, et
vous aussi n’est-ce pas ? Soyons bien humbles, ma fille. »
● Malestroit, de
nouveau
Le 21 avril 1923, elle débarqua, heureuse -
pour se refaire - à Malesvtroit.
Double joie : Mère Madeleine
était toujours responsable
de la clinique et le Père Crété prêchait, alors, une retraite
aux Augustines.
Le 27, le religieux fut appelé
par Mère Madeleine au numéro 3 de
la clinique où, comme l’an dernier,
Yvonne résidait.
La jeune fille avait été labourée
par des griffes invisibles, son vêtement
était traversé par du sang, elle pleurait également du sang.
Le 29 suivant, dans la même
chambre, Mère Madeleine et le Père
Crété furent témoins d’une extase radieuse.
Mère Marie-Anne, infirmière du service de clinique (elle ne savait rien
d’Yvonne), dit au Père Crété : « Quelqu’un a dû beaucoup prier et souffrir
pour obtenir à la
Communauté la grâce d’une retraite aussi profonde ! Elle
avait l’intuition d’un quelque chose qui ne s’expliquait pas ».
Depuis sa scarlatine de 1918, Yvonne
éprouvait, de temps en temps, des
douleurs dans les reins. Celles-ci devinrent atroces à la fin de ce mois
d’avril 1923. Le 8 mai suivant, Mère Madeleine
vit sa petite fille se tordre dans son lit : elle faisait de l’albumine et de ’anurie.
Yvonne fut avertie intérieurement
que d’autres épreuves l’attendaient.
Le 5 juillet 1923, premier anniversaire
de l’appel à porter la Croix de Jésus-
Christ, elle était demeurée cinq heures de suite devant le Saint-Sacrement
exposé cette nuit-là. C’est alors qu’elle fut saisie par
une grâce sensible :
« Il me semblait que Jésus était près
de moi. J’étais religieuse, mais j’étais
quand même au n° 3 de la clinique en train de travailler.
Il me disait : “ Ma pauvre petite, je t’avertis de ne pas t’appuyer sur les amitiés
humaines, tu auras par elles de vraies joies mais de grandes douleurs et déceptions...
et ton coeur sera meurtri. Tu seras accusée de mensonge par ceux qui auront cru en toi. Un de ceux-là, un
religieux,
plus orgueilleux et cruel que les
autres, poussé aussi par le démon, te fera passer pour
une fausse mystique, une créature de péché. Sous le couvert de ma gloire à
défendre, il agira contre ma volonté et percera ton coeur d’un glaive.
Cependant tu auras des coeurs amis pour te défendre - mais bien des doutes
traverseront les esprits. Accepte cette épreuve dès maintenant. Le temps de
calamité, pendant lequel cette épreuve t’arrivera, aidera puissamment à sauver
le monde.
Tiens-toi bien unie à Moi et prie pour que, fidèle à la
grâce, celui qui te brisera redevienne un ami.” »
● La tentation
diabolique
«Père, j’ai peur de tout l’extraordinaire
de ma vie, je ne veux pas vous tromper
et, maintenant, je me crois fausse... Je ne vois en moi
que misère et péché. J’ai peur de vous mettre dans l’erreur en vous racontant
tout ce que je vois, tout ce que j’entends, tout ce que je crois comprendre.»
La tentation diabolique redoutable
avait pris appui sur ce besoin de vérité et le tournait en angoisse. Le
démon essayait de la persuader qu’elle n’était pas droite.
● La marguerite
simple
Le 20 août 1923, Yvonne retrouva au
Mans sa mère et sa soeur. C’est alors que dans l’enjouement d’une
conversation, Mme Beauvais observa une différence entre ses deux filles : «
Yvonne, c’est la marguerite simple ; Suzanne, la reine marguerite : cela saute
aux yeux ! »
La marguerite simple, en l’absence
de la cuisinière de la grand-mère se mit, pendant dix-huit jours, aux
fourneaux : il y eut parfois à table jusqu’à onze convives.
Elle ne se déroba pas à ces réceptions,
suivies d’interminables visites qui l’ennuyaient, car on y parlait
politique. Yvonne était à l’aise partout et se sentait bien, pourvu qu’elle
puisse être unie au divin Roi. Elle fut invitée avec sa mère et sa soeur à
séjourner à Varades, près de
Nantes, au château du Grand Paty, chez la tante Chaillou.
Et dans le train qui la ramenait au
Mans chez la grand-mère Brûlé elle s’endormit et eut un songe qui dut
paraître encore étonnant au Père Crété, auquel elle en fit part : «Je me voyais en religieuse
Mère Yvonne Aimée de Malestroit 21
et voyageant. J’étais en Augustine. (Or,
les Augustines ne voyagent pas) Et je
voyais des avions jeter des gros cylindres
sur les trains, sur les gares et détruire et
incendier tout ; je voyais des hommes
habillés de vert monter et descendre du
train, on aurait dit des costumes militaires,
mais cependant cela ne ressemble en rien à nos soldats.
J’avais le coeur serré et j’entendais une voix grave et douce
qui disait : “Ce sera
l’épreuve, la grande épreuve; prie, prie beaucoup, surtout
pour les prêtres, les prisonniers.”
Je me suis réveillée en sursaut, le train s’arrêtait.
(C’était, une nouvelle fois, l’annonce
de la guerre) »
A l’automne 1923, Yvonne rejoignit
sa mère et sa soeur, déjà installées au
«Foyer» d’Auteuil, où elle avait aussi sa chambre et prenait ses repas. Un
peu craintive devant la directrice, Mlle Villemont, elle découvrit assez vite
la bonté profonde que celle-ci cachait sous une autorité stricte et sévère.
Malgré la différence
d’âge, de tempérament et de situation,
une affinité spirituelle va se révéler
entre Yvonne et Mlle Villemont. De même, entre Yvonne et Mlle Jeanne
Boiszenou.
Mlle Boiszenou, 40 ans, enjouée,
perspicace, attentive aux pensionnaires du Foyer (si diverses, si blessées
par le chômage ou l’infortune), versait de l’huile
dans les rouages et mettait, dans ce milieu difficile, une note de
fantaisie et de joie : « C’est une âme de cristal, disait d’elle Yvonne.
»
De son côté, Mme Beauvais, plutôt
sobre de compliments, disait d’Yvonne :
« Ma fille cache tout ce qui pourrait la
mettre en relief, de sorte que sa vie paraît toute
ordinaire. »
Et Yvonne répondait : « Il ne faut pas
que Maman sache. Si elle savait les
grâces que Jésus me fait, elle m’aimerait trop, elle
m’entourerait de trop d’affection et puis elle aurait peut-être de la gloire
humaine : il ne faut rien de cela. »
Elle raconta au Père Labutte comment Jésus l’envoyait
la nuit chercher des hosties chez des profanateurs qui en cachaient chez
eux. C’est ainsi qu’elle est allée à Cologne, aller et retour, par quels moyens
? Elle ne saurait le dire. Si elle est couchée quand Jésus lui donne l’ordre de
partir, elle part immédiatement ! Jésus se charge de tout et l’envoie comme
dans une sorte d’extase jusqu’à la maison où elle doit entrer.
Quelquefois, elle a un certain chemin à parcourir avant d’y arriver. C’est
toujours la nuit, un peu avant minuit, avant qu’ils ne soient couchés. Quand
elle dit : « Je viens chercher l’hostie que
vous avez prise », ils sont stupéfaits, les uns pleurent, les
autres l’insultent, la frappent, mais toujours elle revient avec son
précieux trésor.
« Ma vie est pénible, écrivit Yvonne
au Père Crété. Je suis trop sensible sans doute, mais
je crois pouvoir dire comme la petite soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus : “Je
suis une petite balle criblée de coups.”
Bénissez-moi, mon Père et suppliez
Jésus de me donner du courage, je n’en
puis plus. »
Cependant, en famille, elle était
douce et joyeuse, égale d’humeur. Et pour ses pauvres, elle avait toujours
considéré ce service comme un échange où elle recevait plus qu’elle ne donnait
: « Si vous saviez comme cela me fait du bien de les visiter : ils me
donnent l’exemple. Près d’eux, j’apprends à être plus généreuse, à
gagner de l’énergie. Comme cela me fait
du bien de visiter mes pauvres. » (25 août 1923)
● Les stigmates
Chaque vendredi ou dans la nuit du
jeudi au vendredi, à Paris, Yvonne revivra des moments de la Passion, dans
son corps, son âme, son coeur. Les stigmates, ces blessures visibles, en
témoigneront.
Elle appellera cela son heure sainte, par référence à l’agonie de Jésus au
Jardin des Oliviers et à sa demande de veiller une heure avec Lui. (Mt
26,40)
Dans la vie courante, en dehors de
cette heure sainte, les stigmates disparaîtront ou, du moins, seront
invisibles pour l’entourage.
● Les attaques
sataniques
« Je ne désire pas vivre longtemps.
Cependant, pour sauver des âmes, je resterais bien sur
terre jusqu’à 80 ans. Les minutes d’enfer que j’ai vécues hier
étaient épouvantables, puisque je me suis crue abandonnée
de Dieu, damnée. Pourtant, si je devais sauver des âmes en ayant encore à les
revivre, j’en serais heureuse. »
Plus tard, pensive, elle dira, forte de
son expérience : « Dire qu’il y a des gens savants
qui nient l’existence personnelle et l’action du démon ! Je voudrais voir quelle
tête ils feraient s’ils le trouvaient sous une forme visible, au pied de leur
lit, en rentrant dans leur chambre, le soir ! »
La description détaillée de ces
attaques démoniaques serait horrible et insupportable.
Le 8 mars 1924, vers 21h30, Satan,
de nouveau sous forme humaine, apparut à Yvonne qui se trouvait, seule,
dans sa chambre, au Foyer. Il se fit séducteur ; si elle refuse de se livrer à
lui, il la lâchera du haut du balcon du second étage.
« Laisse-moi en paix ! » lui ordonna-telle.
Il la précipita violemment dans le
vide. Dans sa chute, elle heurta une
rampe avant de toucher le sol où portèrent surtout sa tête et son dos. Elle
eut de la peine à se relever et il lui restera jusqu’à la fin de sa vie, au bas
de la colonne vertébrale,
une séquelle qui l’obligera à
consentir un effort constant pour se
redresser et se tenir droite, sans quoi,
dira-t-elle, je m’écroulerais.
Cependant, à sa famille et au Foyer,
elle continuait de cacher ses souffrances et se montrait d’une
extraordinaire gaieté !
Le 19 mars, elle vit saint Joseph,
beau, et pas vieux comme on le représente.
Il m’a dit : «Je suis le gardien des
vierges et la terreur des démons. » La
Sainte Vierge est venue, elle s’est mise à sa droite et Jésus à sa gauche.
Le lundi de Pâques, 21 avril 1924,
Yvonne sortant de la messe matinale du Foyer, dit soudain à Mlle Villemont
: « On vient de jeter une hostie
par-dessus les palissades du parc en bordure de l’avenue de Versailles. » Yvonne, accompagnée de Mlle
Villemont, s’y rendit et rapporta l’hostie au prêtre : « Ce qui m’a le
plus bouleversé, ce fut de voir la jeune fille verser des
larmes de sang. Son visage était ravagé par une souffrance extrême. »
Le 3 janvier 1925, Yvonne, sur l’ordre
de sa mère, fut de nouveau hospitalisée à la clinique de Malestroit. Ce séjour, qui se
prolongera trois mois, sera justifié :
fatigue, néphrite, tuberculose rénale,
double pneumonie, avec des accalmies
ou la vitalité reprenait le dessus.
● Une vaste
clinique
A son arrivée, elle avait pu se rendre à
Vannes pour rencontrer M. le Vicaire
général Picaud. Elle était restée une
bonne heure avec lui.
«Mlle Beauvais, dit-il, m’est
arrivée un
soir et avec un but bien déterminé, non pas précisément d’entrer
immédiatement au couvent, mais avec celui d’obtenir de l’évêque de Vannes qu’on
permette à la communauté des Augustines de construire une vaste clinique. Ça
été le premier but de sa visite et, naturellement, je lui ai fait objection que
Malestroit était
un petit coin perdu et qu’une clinique, une grande
clinique, comme on en avait le projet, aurait peu de chances de réussir... que,
d’autre part, et par là même, les chirurgiens et les médecins n’iraient pas
s’enterrer dans ce petit coin de Bretagne.
Elle me dit avec assurance : “Il y aura
des médecins et des chirurgiens.” “Même à supposer qu’il
y ait chance d’avoir des médecins et des chirurgiens, vous n’avez pas de sous
pour construire la maison.” Je connaissais, en effet, la
situation financière de la maison qui était extrêmement précaire.
Et cette communauté, à l’heure où,
pour la première fois, je vis Mlle Beauvais, était une communauté très
restreinte, très peu fortunée.
Elle me dit : “L’argent viendra !”Et tout cela avec une assurance
qui dérivait d’une mission donnée, avec une assurance et une fermeté très
nettes presque audacieuses
et en me disant qu’elle agissait de
la part de Notre-Seigneur.
Je lui répondis alors : “Il faudra prouver, il faudra des signes pour
montrer que l’argent viendra, par exemple, que les médecins viendront.” “Ça
viendra !” Alors, naturellement, j’en fis part à mon évêque
qui écarta résolument l’autorisation de construire. »
● Autre
prédiction
Yvonne écrit au Père Crété, 29 mars
1925 : « Pendant mon heure sainte, jeudi soir,
le Seigneur Jésus et la Sainte Vierge, tous deux me disaient des choses tendres
mais aussi des choses graves : “ Ils m’ont parlé du couvent de Malestroit, de
son recrutement futur, de l’atmosphère de charité toute particulière qu’Ils désiraient
dans ce monastère et qui serait la bénédiction tant que cette charité demeurerait
sur le couvent tout entier.
Pour cela, tous les deux m’ont demandé
des souffrances et des sacrifices et m’ont fait accepter
humiliations, déceptions, défections, m’assurant cependant d’appuis et de
secours, ceux du Ciel toujours, ceux de la terre souvent, quelques amis et soeurs.”
“J’aurai des secours humains pour
réaliser les oeuvres humaines, des amis
dévoués qui récolteront en retour beaucoup de grâces et
de miséricorde, à cause du bien qu’ils auront aidé à réaliser, mais ils devront
rester petits et surnaturels pour bénéficier
d’une magnifique récompense céleste. Mais je serai calomniée. J’aurai des
prêtres un grand secours spirituel et par eux aussi des souffrances, j’aurai dans
mon couvent des Mères et soeurs fidèles et aussi parmi les Augustines des
autres Maisons.
- Jésus et la Vierge m’assurent aussi
qu’Ils béniront tout particulièrement une amitié très
grande sur laquelle je pourrai compter et m’appuyer aux heures de souffrances,
comme je serai pour celui-là un
secours permanent. Plus cette affection
se surnaturalisera, plus elle produira des fruits merveilleux par la
grâce de Dieu (celle du Père Labutte).” »
● A Rome pour
l’Année sainte
C’est avec enthousiasme qu’elle
accepta d’aller à Rome pour l’Année sainte.
Et assister à la canonisation de Thérèse de Lisieux. A la fin de la cérémonie, où elle avait beaucoup prié, elle se trouva soudain
à deux pas de la sedia qui s’était arrêtée par suite d’un ralentissement du cortège.
Le Pape regarda Yvonne, puis lui
sourit. C’était le signe qu’elle avait demandé à sainte Thérèse.
Le surlendemain, Yvonne,
toujours en robe et mantille
blanches, franchit la porte de
bronze pour monter à l’audience
générale.
Les pèlerinages, à cette époque, n’étaient ni fréquents ni nombreux. Pie XI
s’arrêta lentement devant chacun des pèlerins, faisant baiser son anneau,
adressant parfois
une brève parole. Comme l’avant-veille, il regarda profondément Yvonne, lui
sourit et d’un geste discret, il posa la main sur sa tête.
« Je l’ai prié pour la France. J’ai senti
alors que la France vaincra et deviendra belle comme elle
n’a jamais été, mais il lui faut beaucoup de souffrances encore. Il faut que
des vies se donnent tout entières pour cette noble cause. »
● Yvonne dans une
embuscade
Yvonne, tout en s’occupant de la cuisine et des marchés, circulait dans
Paris et la banlieue pour le service des pauvres et «le service du Roi Jésus». A plusieurs reprises, elle
avait été en danger et même risqué sa vie. Le 10 août 1925,
de passage à Boulogne-Billancourt, elle tomba dans
une embuscade, dressée par trois
hommes qui la frappèrent, la torturèrent, allant jusqu’à lui enfoncer dans
les seins de longues aiguilles à tricoter. L’un de ces
hommes à qui, naguère, elle avait apporté un avertissement du Seigneur, la
viola. (Il se repentira plus tard de son
crime et se convertira). Mais Yvonne, angoissée, pendant plusieurs mois, se crut enceinte.
Une abondante hémorragie en sera le
dénouement. Cette grande épreuve qui martyrisa sa
pureté la fit horriblement souffrir. Mais (dit-elle au Père Labutte par la
suite) j’ai obtenu, par là, le rachat de 32
âmes de prêtres en danger. D’autre part, en notre temps, pour des milliers
de victimes de viol chaque année en France, il peut être réconfortant de savoir
qu’Yvonne-Aimée a partagé et pris sur elle leur détresse.
● Mme Beauvais au
courant
Septembre 1925 : le Père Grizard
annonça à Mme Beauvais et à Suzanne qu’il avait l’autorisation d’Yvonne de
les mettre au courant des phénomènes mystiques, dont elle était comblée. Mme
Beauvais embrassa Yvonne et lui dit :
« Pourquoi ne m’avoir rien dit, ma
Vonnette ? - Tu serais morte de peur, ma petite maman, et
si tu avais su, cela m’aurait parfois gênée pour faire ce que le Seigneur Jésus
demandait. » Elles étaient sidérées et, très
émues, elles pleuraient.
● La fête du
Christ Roi
Le 11 décembre 1925, pour clôturer
le jubilé de l’Année sainte et la commémoration du 16e centenaire du
Concile de Nicée, Pie XI en vertu de son autorité apostolique
décréta l’institution solennelle
d’une fête du Christ Roi. «Nous pourvoirons ainsi, déclarait le Pape, aux besoins des temps actuels et nous opposerons un remède
souverain à la peste qui infecte la société humaine. Ce que nous appelons la
peste de notre temps, c’est le laïcisme... ses erreurs et ses tentatives
impies... Ce fléau n’a pas mûri en un jour ; depuis longtemps,
il couvait au plus profond des sociétés... Le laïcisme a
commencé par
rejeter l’autorité de l’Eglise, puis l’autorité du
Christ, puis l’autorité de Dieu. Il a frayé la route au libéralisme religieux,
au naturalisme, aux drames de l’humanisme athée.
La fête nouvelle affirmera au contraire
que Jésus, homme-Dieu, est le Roi des
intelligences, des volontés, des coeurs, le Roi des
nations, le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs. Tout a été créé par Lui et
pour Lui. Il est notre Paix. Tout pouvoir lui a été donné au ciel et sur terre.
Il jugera les vivants et les morts. »
Yvonne avait une grande compassion
pour la souffrance des âmes du purgatoire : elle priait, offrait des
Messes, s’imposait des renoncements pour obtenir la grâce de leur entrée au
paradis.
Yvonne avait aussi de grandes amitiés
dans le monde angélique, en particulier avec ses deux anges gardiens, dont elle connaissait le nom : Lumen et Laetare.
Quelquefois ceux-ci se manifestaient à
ses yeux sous une forme humaine. En
d’autres circonstances elle entendait leur voix. Le plus souvent, elle les priait dans la nuit de la foi. On peut assurer
qu’elle vivait dans leur intimité, appelant régulièrement
leur aide et protection.
● Servir les
pauvres
Depuis environ huit ans, Yvonne soutenait à bout de bras des familles
pauvres.
Son état de santé et ses stigmates
auraient fourni une excuse suffisante pour mettre fin à ce service
bénévole, mais elle ne voulait pas abandonner à leur misère ces amis de Jésus :
elle montait, souvent très essoufflée, les étages, posait les filets de
provisions sur la table de la cuisine et ne craignant pas d’endosser un tablier
si
la vaisselle n’était pas faite ou d’aller vider la boîte à ordures. Quand
elle remarquait qu’il n’y avait rien de préparé pour le repas, parce qu’il n’y
avait rien, alors, tout de suite, elle prenait de ce qu’elle avait apporté et
se mettait à faire à manger.
Quand tout était prêt et qu’elle avait
mis la table, elle les embrassait tous et
s’en allait aussi simplement qu’elle était arrivée.
Elle faisait des folies pour ses
pauvres, elle qui se contentait de si peu pour elle : la grande simplicité
de son habillement le prouvait, c’était bien, mais très sobre. Elle n’imposait
pas sa volonté, ni ses conditions pour donner, comme font certaines oeuvres.
Surtout, jamais de sermons,
jamais d’ordres à ses pauvres :
« Essayez, mes petites chéries », disait-elle.
Et encore, doucement : « Aimes-tu le
Bon Jésus ? Tu sais, Il t’aime tant, Lui ! » « Ces
petites mamans ! Vous avez le plus beau rôle ! », disait-elle à la maman. «N’ayez pas peur du lendemain. Dieu veille
toujours. Les petits oiseaux ne trouvent-ils pas chaque jour ce qu’il leur faut
?
Ayez confiance, surtout confiance. »
On le devine : Yvonne avait engagé
toutes ses ressources personnelles,
d’ailleurs modestes, dans le service des
pauvres, mais c’était loin d’être suffisant et il fallait se débrouiller. A
cet égard, elle n’était jamais à court d’idées.
Elle ne donnait pas l’impression
d’être débordée. Dans l’action, elle était pratique, rapide, décisive, tout
entière à ce qu’elle accomplissait. Au service des pauvres, s’ajoutaient des
courses pour sa mère et sa soeur, des démarches pour des amis de province, des
«missions» de la part du Seigneur.
Il lui arrivait souvent de ne dormir
qu’un quart d’heure par nuit : « Humainement, je ne devrais pas pouvoir
tenir, mais Jésus permet. Ça me suffit. C’est à peu près comme ça toutes
les nuits ! » Ces veilles lui permettaient de répondre à son
courrier, de peindre des images à vendre, d’écrire des romans, de faire un
peu de couture pour elle-même, à moins qu’elle ne soit livrée à la prière, à la
souffrance, aux attaques du démon, ou qu’elle reçoive
des visitations célestes, ou encore qu’elle soit envoyée, soudain, à la
recherche d’hosties profanées, parfois jusque dans des réunions secrètes, dont
elle avait eu révélation et dont elle revenait ayant été frappée et meurtrie.
● Les paroles
d’Yvonne
A une religieuse qui voulait quitter
son couvent : « Petite soeur, croyez-moi,c’est le démon qui vous
désespère. Il y a longtemps que Jésus a tout oublié. Il oublie si vite quand on
lui demande pardon.
Faites seulement, chaque jour, un
effort soutenu, c’est cela qui vous sauvera. Jésus fera
le reste. » A partir de cette visite, la
jeune religieuse lutta, fit des progrès.
Et deux mois après, elle demanda :
« Mais qui donc pouvait bien être cette
jeune fille que j’ai vu au parloir ? Son
regard et ses quelques paroles m’ont soudain pacifiée et
transformée. »
Il arriva, mais c’était tout de même
exceptionnel, qu’elle intervint soudain
auprès de passants inconnus : «Je me
rendais chez un avoué et voulais commencer les premières
démarches pour divorcer, écrit Mme de M..., lorsque je fus dépassée dans la rue
par une jeune fille ;
elle marchait devant moi d’un pas assez
rapide, puis s’immobilisa tout à coup :
“Madame, n’allez pas chez cet avoué (elle me le nomma).
Vous faites là une grosse bêtise.
D’ailleurs, vous avez plus de torts, moins apparents peut-être que votre mari, mais si vous aviez agi de telle façon en
telle et telle circonstance, (tout fut dit sans qu’elle omette un seul détail
intime), les choses n’en seraient pas là aujourd’hui.
Retournez chez vous. Agissez bien
comme je vais vous dire et d’ici six mois, vous serez la
plus heureuse des
femmes !”
Interdite, je baissai la tête quelques
secondes et lorsque je la relevai, cette
jeune fille était disparue. Pendant six
mois, j’ai cru que j’avais eu affaire à un ange. Je me
remis à mes pratiques religieuses, je suivis fidèlement les conseils donnés, mon
mari s’apaisa, je devins meilleure et je suis vraiment heureuse.
Et voici qu’un jour où j’assistais à la
messe à Notre-Dame des Victoires, je me trouvais placée
près d’une jeune fille à genoux. Son immobilité me fit la regarder.
Or, quel ne fut pas mon saisissement en
reconnaissant mon ange. Je n’osais la
quitter des yeux tant j’avais peur qu’elle m’échappe
cette fois encore, mais se retournant vers moi, elle me dit : “Je ne suis pas
un ange et je ne vous échapperai pas cette fois. Priez tranquillement, je vais remercier
la Sainte Vierge avec vous,nous causerons tout à l’heure.”
D’ordinaire, elle n’intervenait qu’une
seule fois auprès des âmes vers lesquelles
le Seigneur l’envoyait après ne l’avoir prévenue, le plus souvent, qu’au
dernier moment. Elle devait parfois aborder une âme sans connaître d’avance ce qu’elle
aurait à transmettre : le message ne se précisant que par étapes dans son
propre esprit. A ces âmes, elle demandait ensuite d’aller trouver un prêtre
qu’elle désignait ou un prêtre de leur choix. C’est donc rarement qu’elle
revoyait l’une ou l’autre.
A diverses reprises, en plus de son
aide permanente et discrète aux Augustines de Malestroit, elle délivra, à
leur insu, plusieurs prêtres « des filets de l’oiseleur » ; elle en avertit
d’autres, avec déférence,
« de la part du Seigneur », d’un
danger qui menaçait leur sacerdoce, et
dont elle avait eu révélation intérieure.
Dans d’autres cas, c’était un message de réconfort, d’encouragement ou de
lumière, une réponse à de secrètes prières, qu’elle avait à leur transmettre.
Elle avait aussi, c’est certain, le don
d’épanouir les âmes, de les pacifier. Elle disait des choses si belles sur
la Miséricorde.
Elle insistait sur la Miséricorde. La
Miséricorde, comme elle savait en parler !
Elle connaissait le coeur du Seigneur !
Très pratique, elle allait faire ses
courses aux Halles centrales et dans les grands magasins. Elle appréciait
le métro, les bus, les trains, le contact avec la foule, le spectacle alors
pittoresque qu’offrait la rue ; elle aimait Paris et le mystère des
âmes qui vivaient dans cette métropole.
En passant, elle s’arrêtait à Notre-Dame des
Victoires, à Notre-Dame d’Auteuil, à Saint-Sulpice, au Sacré-Coeur. Mais c’est au Foyer que, chaque matin, autant que possible,
à sept heures, elle était présente
à la Messe.
● D’une larme, un
diamant
Aucune coquetterie dans sa toilette,
quoique d’une mise de bon goût, sobre, souvent en bleu marine. Par
contraste, elle portait une alliance en or. Mme Beauvais avait approuvé le port
de ce bijou :
« Tu as raison, ma petite fille, cet anneau te fera
respecter dans les banlieues et dans les quartiers difficiles où tu
t’aventures.
» Yvonne s’était contentée de
sourire.
En fait, cet anneau était un cadeau du
Seigneur Jésus le 5 janvier 1923 à Anglet pour la remercier d’avoir
accompli, de sa part, une mission à Bordeaux. A partir du 3 avril 1924, elle
portait, parfois, un diamant,
un solitaire d’une belle eau. A sa soeur qui s’en
étonnait, elle avait répondu, évasivement
: « - C’est un Ami qui me l’a offert ! -
Eh bien, il ne s’est pas moqué de toi ! »
Ce bijou avait également une origine
secrète : « C’est le Seigneur Jésus qui, un jour, a changé, en ce
diamant, l’une de mes larmes. »
● L’Enfant Jésus
- Le 5 novembre 1926, Yvonne nota
dans son carnet : «J’étais à la chapelle du Foyer, lorsque tout à coup,
je vis
le Divin Enfant devant moi. II me
regardait avec tendresse en me tendant les bras. Je lui
tendis les miens et II vint s’y blottir. Nous ne nous sommes rien dit, nous
nous sommes regardés et je Lui ai promis de faire tout ce
qui Lui plairait. En sortant de mon extase, j’avais dans
les bras un petit Jésus de cire.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il est
ravissant, moi je le trouve bien joli aussi, mais après
l’avoir vu réellement je ne peux le trouver merveilleux. Et pourtant, II a encore
ce doux sourire et ce regard si tendre. Il garde sa pose d’abandon. Il a encore
l’air de nous dire : “Venez près de Moi et donnez-moi votre coeur.”
- Oh mon petit Jésus, que Tu es bon
d’avoir Toi-même remplacé ta délicieuse image. Jésus est
d’abord venu vivant dans mes bras et s’est ainsi transformé.
- J’aurais aimé un autre petit Jésus
pour Malestroit. Je lui dis : “Je te voudrais encore plus
beau, plus doux, plus captivant.
Il te serait si facile de te donner encore,
bien que je ne mérite aucune de tes
faveurs.”
C’est alors que, revenant de faire une
course, j’ai aperçu quelque chose remuer sur les
coussins. Je n’y pris pas garde d’abord, croyant que c’était mon chat qui était
venu s’installer là. Puis, me retournant que vis-je ?... Lui ! Mon petit Jésus me
souriait en se couvrant et s’enveloppant dans un petit bout d’étoffe soyeuse.
Je m’approchai et après quelques regards inoubliables et
quelques caresses, il s’immobilisa et j’eus dans les bras un autre petit Jésus
de cire, plus grand que le précédent
et peut-être encore plus beau. Je
ne savais comment contenir ma joie...
Merci petit Jésus ! »
Apprenant que son amie Mlle Boiszenou venait de perdre sa mère, Yvonne arriva le 22 janvier 1927 à la Brardière, dans l’Orne, près de l’Aigle. «Oh ! Si vous aviez
été là, Maman ne serait pas morte ! » lui dit d’entrée Mlle Boiszenou.
Yvonne répondit avec douceur :
« Cette fois-ci, je n’ai pas pu la retenir : sa couronne
était prête ! »
Le 24 janvier, dans l’église du village,
Yvonne participa à la messe de sépulture.
Elle eut au cimetière une brève extase, au moment même où l’on déposait le
corps dans la terre : « Il ne faut pas pleurer : votre maman est rendue au
ciel : elle vient dem’apparaître avec ma grand-mère Mme Brûlé : toutes les deux
étaient rayonnantes de gloire et de bonheur : leurs âmes se ressemblaient. »
Avant d’entrer au cloître, Yvonne-
Aimée avait découvert la beauté de la
terre et les souffrances des hommes.
Tant d’expériences diverses et tant
de tensions extrêmes auraient pu disloquer sa personnalité et faire d’elle
un roseau agité par le vent. Par bonheur, elle possédait une vitalité peu
ordinaire, un équilibre parfait et des nerfs d’acier. Et, sous l’enchevêtrement
des activités et
des épreuves, il y avait, en profondeur,
une ligne méthodique, continue et unifiante, celle d’un amour fou.
Plus que jamais, Jésus-Christ ressuscité était sa raison de vivre, son
Maître unique, Celui qu’elle aimait au-dessus de toute créature. Elle se
montrait à son égard très réceptive, pleinement disciple, épousant ses moindres
volontés, attendant
tout de sa Parole, de sa grâce et des
dons de son Esprit, répondant à ses
appels, s’appuyant sur sa force, s’abandonnant à son salut, s’ouvrant à sa
tendresse. La nuit, le jour, elle pensait à Lui, Le cherchant partout, dans
l’expérience mystique, certes, quand Il lui plaisait de l’accorder ; mais, le
plus souvent, à la haute lumière de la foi : dans la prière et
l’oraison, dans l’Eucharistie, dans l’Evangile et les psaumes, dans le
sacrement du pardon, dans la souffrance et le travail, dans les événements,
dans l’obéissance
à l’Eglise, dans le service des âmes, dans tous les êtres et d’abord sur le
visage des pauvres et des enfants. Voilà pourquoi son regard avait tant de
profondeur et brillait d’un tel éclat : c’était, dans la banlieue rouge, dans
le métro, en plein Paris, celui d’une contemplative.
● L’entrée au
Monastère et sa vie de religieuse et de supérieure.
Le vendredi 18 mars 1927, à 16
heures, la cloche du Monastère de Malestroit tinta trente coups. Mlle Bato, Mme Beauvais et Yvonne-Aimée, très émues, se dirigèrent vers
l’entrée de la clôture. La jeune fille embrassa tendrement sa mère et son amie
qui pleuraient, et, résolument,
frappa. La porte s’ouvrit, laissant apercevoir une partie de la Communauté
rassemblée,
le voile rabattu sur les yeux.
Yvonne-Aimée s’agenouilla sur le seuil. Alors, la Révérende Mère Madeleine
du Sacré-Coeur, supérieure des Augustines, procéda, selon le rite antique, à
l’admission de la postulante : « Que demandez-vous ? - Ma Révérende Mère, je
vous supplie très humblement de m’accorder l’entrée dans cette sainte Maison. »
En guise de réponse, la supérieure
tendit un crucifix à baiser. Yvonne-Aimée, se relevant, franchit le seuil
de la clôture.
La porte se referma et la nouvelle venue, précédée des religieuses qui
marchaient en silence sur deux files, fut conduite au milieu du choeur où elle
s’agenouilla de nouveau, toute seule, tandis que la Communauté
entonnait le Veni Creator.
Yvonne-Aimée connaissait presque
toutes les Mères et soeurs puisque, depuis cinq ans, elle venait souvent à
Malestroit, mais la plupart de celles-ci ignoraient le secret de sa vie et ne
voyaient en elle qu’une jeune parisienne discrète et charmante.
Elle-même était persuadée que la
porte du cloître étant franchie, elle ne
serait plus favorisée de grâces extraordinaires, qu’elle suivrait désormais
la voie commune. Or, vingt-quatre heures ne s’étaient pas écoulées que des
phénomènes reprenaient. Mère Ange Gardien nota sur son
agenda :
● 18 mars 1927 : le démon lui pique les jambes au réfectoire ;
● 19 mars : le soir, en ma présence, extase d’un quart d’heure environ ;
● 20 mars : le soir, le démon est venu lui faire huit entailles, dont trois
profondes. Sang abondant.
● 21 mars : le soir, odeur d’encens.
● Je bénirai la
Communauté
Trois soirs de suite, Yvonne-Aimée
entendit les mêmes paroles : « Dis à tes
Mères que tu ne seras jamais un sujet de trouble pour la
Communauté mais qu’à cause de toi, je la bénirai. »
Elle dira, plus tard, qu’une condition
fondamentale pour commencer une vie religieuse, c’est d’avoir une santé
suffisante.
Sans doute se souvenait-elle de
ses propres débuts : outre les souffrances inexplicables, elle eut des crises d’asthme, des crises hépatiques, des abcès dans les reins ; toujours souffrante d’un bout ou de l’autre, elle essayait de suivre toute
la Règle mais n’y parvenait pas ; elle sentait que ses supérieures étaient navrées
de la voir dans cet état, et elle redoutait, jusqu’à l’angoisse, d’être
renvoyée.
« Cette voie est crucifiante mais
je
l’aime, puisque c’est Lui qui me l’a choisie.»
Elle maigrit de 14 kilos et fit, en plus
des autres maladies aigües, trois jaunisses.
Après six mois de postulat, elle
n’était plus la même, se sentait un oiseau en cage, un pauvre oiseau très
malheureux : « Je ne ris plus, je ne chante plus, je ne parle plus. Lorsque
je risque un mot, j’ai peur, je regarde Mère Maîtresse pour savoir si j’ai bien
fait ou mal fait. Plus de spontanéité, plus personne à qui s’ouvrir sans
crainte. J’ai toujours peur de mal
faire. Ce qui fait ma force et me donne le courage de
rester ici, malgré tout, c’est la pensée que je donne à mon Jésus le maximum de
souffrance et que, finalement, je suis heureuse d’être malheureuse. »
Quelques mois plus tard, la supérieure
confiait à des religieuses amies : «Quelle grâce le Bon Dieu nous a
faite en nous envoyant un tel trésor... Avec quelle joie vous dirais-je les
merveilles d’amour dont nous sommes témoins et l’action pacifiante et
sanctifiante de cette enfant de bénédiction sur nos âmes...»
Le Conseil de la Communauté décida
à l’unanimité d’admettre à la vêture,
Yvonne-Aimée, malgré sa santé et en raison de sa vertu.
Le 10 septembre 1927, Yvonne-
Aimée, sortie de la clôture et vêtue d’une robe blanche de mariée et d’un
long voile de tulle, portant au doigt son diamant, fut conduite à la petite
chapelle du Monastère, au bras d’un cousin, officier en uniforme.
Mme Beauvais, heureuse, suivait avec
Suzanne, la proche famille et les invités.
Le visage d’Yvonne-Aimée respirait une douceur et une joie paisibles. A la
communion, elle posa sur l’hostie un regard droit et brillant. Après la messe,
Yvonne-Aimée sortant dans la rue, fut reconduite au bras
du commandant à la porte de la clôture et pénétra seule dans le Monastère,
tandis que les moniales, venaient en chantant à sa rencontre. Yvonne-Aimée
s’inclina devant l’évêque qui se tenait debout à la
grille du choeur :
«Monseigneur, quoique j’en sois très
indigne, je demande l’habit de la sainte
religion, la société des Mères et des
soeurs, la grâce d’être admise au nombre des servantes
des pauvres et des
malades de Jésus-Christ, vous suppliant
humblement de me l’accorder.
- Yvonne Beauvais, vous porterez
désormais en religion le nom de Soeur
Marie Yvonne-Aimée de Jésus. »
● Jésus me
consume
Le 30 novembre 1927, soeur Yvonne-
Aimée avait plus de 42° de
température :
« J’ai du feu dans les veines, murmura la malade. C’est
Jésus qui me consume ! »
Elle halètait. Les joues et les lèvres
étaient cyanosées, les yeux brillants et,
malgré la température, elle avait des
sueurs froides. « Jamais, je ne me suis
sentie ainsi, j’ai eu davantage mal parfois mais en un
point localisé. Aujourd’hui, tout me fait mal surtout le coeur. Jusqu’à
présent, quand j’étais malade, je sentais qu’il me restait suffisamment de
forces pour réagir. Cette fois, j’ai l’impression que tout
craque. »
Elle confia que Jésus l’appelait sans
cesse : « Viens avec Moi ! » Et elle demanda que l’on s’adressât
à la Très Sainte Vierge qui seule peut arracher à son Fils la faveur de la
guérison.
Le 1er décembre 1927, toute la Communauté se rassembla
autour du lit d’Yvonne-Aimée. Mgr Picaud, visiblement affecté, présidait.
Yvonne-Aimée prononça les voeux qui la plaçaient au rang des Vierges consacrées
dans l’Eglise : c’est la Profession solennelle in articulo mortis.
Le lendemain matin : cyanose encore
plus marquée, mains glacées, sueurs
abondantes qui traversaient les vêtements et la literie, ce fût la
cérémonie de l’Extrême-Onction en présence de Mme Beauvais qui avait voyagé
toute la nuit avec Mlle Villemont.
« Je sens la mort venir. Je vois toute
ma vie avec une précision surprenante.
Rien ne m’échappe depuis ma petite
enfance, mais je suis bien calme. Mgr
Picaud se souviendra : « Elle était couverte des
sueurs de l’agonie. J’ai vu de mes yeux cet état d’extrême limite. Elle était verdâtre.
C’était anifestement la mort à bref délai. »
« Viens vite ! » Elle semblait tenir une
conversation avec un interlocuteur invisible.
Un silence, et elle reprit à mi-voix :
« Comme tu voudras. Je ne choisis
pas. Ton amour sera mon Ciel sur la terre. Je ne veux que
Ta gloire. »
Alors, Mère Madeleine
interrogeat : « Vous n’allez
pas mourir, n’est-ce pas, ma
petite fille ?- Non...
Jésus
s’est laissé toucher. »
15 heures. Soeur Yvonne-
Aimée se recolora brusquement,
reprit vie, s’assit dans son lit, sourit, tendit les bras. Sortant du lit,
elle courut dans l’infirmerie, demanda
ses habits religieux, mais on dut chercher ceux-ci,
car Mère Ange Gardien, croyant la mort inéluctable, avait emporté et ramassé
ceux-ci hors de l’infirmerie. Et voilà qu’Yvonne-Aimée s’alimentait de bon
appétit et vint frapper à la porte de Mgr
Picaud qui constate qu’elle était maintenant rose, alerte, vivante, comme
il ne l’avait jamais vue.
Le 4 décembre elle écrivit au Père
Crété : « Mon Père, quelques lignes seulement pour vous dire ce que vous
savez déjà, l’éclatant miracle de la Très Sainte Vierge en ma faveur. Je dirai
plutôt en la faveur de ceux qui m’aiment et que j’aime.
J’ai entrevu le Ciel et c’est après avoir vu combien il
faisait bon là-haut que le Seigneur m’a demandé : - Veux-tu venir pour toujours
? J’ai bien pesé mon sacrifice et j’ai dit : - Comme tu voudras, Seigneur Jésus.
Je veux ta plus grande gloire.
Et la Très Sainte Vierge alors m’a dit
qu’ici-bas je pourrai encore Le faire aimer davantage.
C’est donc pour cette raison, mon Père, que vous possédez encore votre petite
fille. »
● Agrandir la
clinique
Mère Madeleine poursuivait son projet d’agrandir la clinique mais, tentée
de désespérer en face des obstacles, elle s’en ouvrait à soeur Yvonne-Aimée qui
lui répétait, doucement, ce qu’elle avait dit à
Mgr Picaud, en janvier 1925 : « Les fonds viendront ! » Elle
insistait.
La guérison de soeur Yvonne-Aimée
annulait la profession in extremis : elle
reprit rang parmi les novices. Après avoir travaillé à l’hospice, elle fut
envoyée à la cuisine. Sa mauvaise santé et ses souffrances extraordinaires
entravaient de
plus en plus son activité.
Le 19 janvier 1928, à 20 heures,
Mère Madeleine et Mère Ange Gardien, ouvrant la porte de la cellule de
soeur Yvonne-Aimée qui, très lasse, venait de se mettre au lit, trouvèrent
celle-ci étendue et plongée dans le sommeil, les bras croisés sur la poitrine.
La cellule était décorée à profusion de fleurs fraîches :
touffes de violettes, gerbes de roses,
oeillets de toutes teintes, pâquerettes et renoncules. Un parfum d’encens
flottait au-dessus de ces floralies.
Les deux supérieures furent tellement
saisies et émerveillées de ce fait
inexplicable qu’elles appelèrent M. l’aumônier,
les Novices et la communauté à venir contempler et rendre grâce pour la munificence
du Seigneur à l’égard d’une de ses créatures. C’était
l’anniversaire du
19 janvier 1919 ; ce jour-là, Yvonne, âgée de 18 ans, avait vendu des
fleurs dans des rues de Paris, pour remplacer
une pauvre petite bouquetière dont la mère était malade.
«Chaque année, en souvenir de ce
jour, confia plus tard Yvonne-Aimée,
le Seigneur m’envoie des fleurs. Je pensais qu’en cette année 1928, je n’en
aurai pas, car j’étais au couvent. Mais, le Seigneur a été fidèle à son
habitude.»
«Avant son entrée, raconte une novice,
le Noviciat était fervent mais serré : elle
nous dilata par sa seule présence et
devint l’âme de notre petit groupe de postulantes, de
novices et des jeunes professes.Elle faisait passer un courant de charité
fraternelle et de joie.»
Désormais, les vocations religieuses
étaient nombreuses. La nouvelle clinique, selon Mgr Picaud, offrait un
champ nouveau pour les sacrifices et aussi pour le développement des qualités d’initiative
qui sont, quelquefois, un peu comprimées
au couvent et qui, devant la nécessité,
éclosent et deviennent en rapport avec les besoins. L’évêque auxiliaire
priait pour que cette clinique soit, de plus en plus, une Maison-Dieu, que sa
gloire en reçoive un accroissement, que les âmes y trouvent, en même temps que les corps, la guérison.
Il estimait que sans soeur Yvonne-
Aimée, cette clinique moderne n’aurait jamais vu le jour.
● Yvonne-Aimée
cuisinière
L’été 1929, ce furent soeur Bernadette
et soeur Yvonne-Aimée qui allumèrent, pour la première fois, dans la fumée,
le fourneau à charbon de la nouvelle clinique.
Une femme du pays avait été engagée
en qualité de cuisinière mais il fallut
très tôt la remercier car son caractère était difficile. Devant l’embarras
de Mère Supérieure, Yvonne-Aimée, tout en demeurant sous-économe, s’offrît à
prendre la place.
● Charité et
présence
Sa charité dominait tout. On se
demandait comment elle s’y prenait pour remplir ses emplois et arriver
toujours à l’heure. Elle ne s’énervait pas et prenait le temps de bien faire
son ouvrage. Elle tenait à l’exactitude de l’heure : un jour, elle a demandé
aux docteurs, gentiment mais fermement, de ne pas faire leur visite
habituelle à l’heure du repas des malades.
On la dérangeait sans cesse, on la
demandait à la clinique, à la communauté, à l’économat, elle allait de la
cave au grenier. Non seulement, soeur Yvonne-Aimée devait assurer la formation
de Soeur Bernadette et de quelques autres, mais aussi organiser la partie
«hôtellerie» de la clinique. Elle avouait, en riant, que, pendant le temps
d’oraison silencieuse à
la chapelle, les menus lui dansaient dans la tête. Alors, plutôt que de
s’épuiser à lutter contre cette distraction, elle avait décidé
de composer les menus en compagnie
de Jésus, mais oui, honni soit qui mal y pense ! Cela formait le premier
point de son oraison.
Le 8 janvier 1930, à la suite d’une
secousse sismique, la partie ancienne du Monastère de Malestroit se
lézarda.
Une fois de plus, un groupe d’amis du
monastère finança les travaux. On mit à ciel ouvert l’ancienne bâtisse, on
ne garda que les murailles, on refit les étages, les cloisons, les charpentes
et les couvertures.
Ce fut une nouvelle période d’activité
intense. Sur l’ordre de sa supérieure,
Yvonne-Aimée esquissa le plan d’un nouveau réfectoire, vaste et lumineux.
Dans l’intervalle de son service à la cuisine et à l’économat, elle dessina un
parc anglais, dans une prairie voisine, à l’intention des convalescents de la
clinique. Là où le sol marécageux ne laissait pousser que des joncs, elle fit
creuser un étang, agrémenté
d’une petite île, choisit elle-même les
essences d’arbres à planter, ménagea
des allées, des massifs de fleurs. Et pour permettre à la Communauté, trop
à l’étroit, de respirer, elle convertit une autre prairie en jardin potager,
qu’elle fit entourer de
murs et d’espaliers. Enfin, elle fit planter une longue charmille et une
allée de noisetiers.
Devant la clinique, elle dessina un
jardin à la française, dont la pelouse formait une
croix de Lorraine. Tout fut rénové.
La petite ferme, qui fournissait à la clinique, à l’hospice et à la
communauté, lait, beurre et oeufs, était reconstruite, moderne.
Sous les hauts toits du monastère, on
aménagea des cellules en raison de l’accroissement du nombre des novices.
La chapelle datait du XVIIe siècle ;
décision fut prise de la restaurer ; on
l’agrandit même d’un transept pour les fidèles. Les parloirs, qui tombaient
en ruine, furent relevés.
Soeur Yvonne-Aimée demeurait
confiante pour l’avenir. A l’exemple
d’autres religieuses, elle sacrifia une partie de son patrimoine, négocia
des
emprunts, liquida des dettes, fit appel à des bienfaiteurs. Peu à peu,
l’avenir
s’éclaircissait : d’ailleurs, elle n’en avait jamais douté. « C’est le
Seigneur Jésus qui guide tout. La mesure de Sa libéralité sera sur la mesure de
ma confiance et de mon abandon. »
C’est le 27 avril 1931, à Malestroit,
que s’ouvrit le Chapitre général des
Augustines Hospitalières de la Miséricorde de Jésus. Trente-cinq
Supérieures des monastères de France, d’Angleterre et du Sud-Afrique étaient
présentes. C’était la
seconde fois, depuis trois siècles,
qu’avaient lieu de telles assises.
Les supérieures des autres monastères
furent assurément stupéfaites de
l’essor et des agrandissements de celui
de Malestroit, voué, disait-on, à une lente disparition. Que se passait-il
donc en ce lieu un peu perdu du coeur de la Bretagne ?
Au premier Chapitre général, celui de
1924, qui s’était tenu à Dieppe, Malestroit
n’avait joué qu’un rôle effacé. Aujourd’hui, en
1931, c’est lui qui donnait l’élan.
Mgr Picaud présida, en cette salle du
Chapitre, les réunions qui se prolongèrent sur une semaine. Soeur
Yvonne-Aimée fut élue secrétaire et, à ce titre, dut prendre place près de
l’évêque : sa connaissance
du dossier à débattre avait paru étonnamment évidente.
● L’Ange de
Malestroit
«Quand j’ai vu, pour la première fois,
soeur Yvonne -Aimée, dit par la suite Mère Michael -
déléguée du monastère britannique de Grange-over-Sands (Lancaster) - assise à
la droite de Mgr Picaud, j’ai été un peu étonnée. Je crois que, sans m’en rendre
compte, j’ai considéré soeur Yvonne-Aimée comme appartenant au Bon Dieu et non
à Malestroit. Tout le temps des
réunions, elle semblait pleine de vie et de joie, avec un
mot aimable pour toutes. Elle était l’âme et tout allait avec beaucoup d’entrain
quand elle était présente. Au réfectoire, quand il y avait Deo gratias, elle est
venue, deux ou trois fois, s’asseoir auprès de moi. Alors, elle me paraissait
très jeune, comme une enfant. Mais
quand elle était avec sa supérieure ou
avec d’autres, elle me paraissait, au
contraire, plus âgée qu’elles toutes, plus mûre, plus je
ne sais quoi. Quoiqu’étant très féminine de toute façon, à certains moments,
elle était si virile : il me semblait qu’il y avait, dans son caractère,
quelque chose de ce qu’il y a de meilleur chez l’homme. Un soir, pendant notre
séjour à Malestroit, les novices et les jeunes professes
ont joué une pièce pour récréer les
supérieures en visite. La pièce avait été
composée pour l’occasion. Je me rappelle très bien de
l’entrée de soeur Yvonne-Aimée. Ce soir-là, tout mon être fut saisi quand elle
est entrée en scène. Habillée de vert pâle, les cheveux en boucles sur les
épaules, les yeux baissés, les mains jointes et sa jolie petite voix d’enfant
chantait
: “Je suis l’Ange de Malestroit”. »
● Le voyage de
Rome
Le 19 octobre 1931, tandis que Mgr
Picaud faisait, en Normandie, son entrée solennelle dans sa ville
épiscopale de Bayeux, Mère Marie-Anne et soeur Yvonne-Aimée, déléguées du
Chapitre général
de l’Ordre, partirent à Rome, emportant les Constitutions révisées à faire
approuver par la Sacrée Congrégation des Religieux,
qui agit par délégation ordinaire du
Pape.
Sans perdre de temps, Mère Marie-
Anne et soeur Yvonne-Aimée se mirent en relation avec le Père Sauvage,
consulteur de la Congrégation des Religieux. Elles
espéraient une approbation rapide de
leurs Constitutions. On ne manquait pas de sourire de la naïveté de ces «
bonnes soeurs » qui débarquaient de leur campagne bretonne et qui ignoraient
que Rome « se hâte lentement » et ne précipite
jamais ses décisions.
Le 27 octobre, les Augustines eurent
la faveur d’une audience pontificale privée, qui fut brève, d’apparence
banale, mais paternelle. Soeur Yvonne-Aimée offrit au Saint-Père une enluminure
qu’elle avait peinte elle-même.
Le 28 octobre, elle fut victime d’une
agression satanique. Mère Marie-Anne et Mère
Marie-Stanislas, assistante des Ursulines, en furent les
témoins : elles virent la chair de soeur Yvonne-Aimée déchiquetée sous leurs yeux. Et le 29 : douze
plaies et extase avec des larmes de sang.
Le Père Sauvage s’occupait du dossier
des Constitutions des Augustines
Hospitalières. Le cardinal Lépicier dit à Mère Marie-Anne : « Cela ne
sera pas long. Dans quelques mois, vous aurez votre approbation. - Mais,
Eminence, nous l’attendons pour ces jours-ci ! »
Le Cardinal Préfet de la Congrégation
des Religieux hocha respectueusement
la tête. Néanmoins, le Père Sauvage
prenait sur ses nuits pour corriger ou
remanier tel ou tel paragraphe. Le lendemain, chez les Ursulines, soeur
Yvonne-Aimée remettait au net les amendements.
Il ne restait plus qu’à attendre le verdict de la Sacrée Congrégation des
Religieux.
Le 9 novembre 1931, dix-sept jours
après leur arrivée à Rome, Mère Marie-Anne et soeur
Yvonne-Aimée télégraphièrent à la Communauté de Malestroit :
« Constitutions approuvées ! »
C’était du jamais vu pour la rapidité
dans l’étude d’un tel dossier. Tout le
monde s’accorda à dire qu’Yvonne-Aimée en étroite collaboration avec sa
supérieure et le Père Sauvage, sans solliciter l’appui de hautes
recommandations, avait accompli, avec diligence, les démarches
ordinaires dans la Rome papale. Sa prière et ses souffrances avaient fait
le reste : c’était la source cachée de sa réussite.
● Chanoinesses
régulières
Tandis que Mère Marie-Anne regagnait Malestroit, Yvonne-Aimée prolongea son
séjour romain. Une idée lui trottait dans la tête : « Il faut que je me
débrouille pour être reconnue Chanoinesse (Régulière)
avant de quitter Rome. »
Dans les 24 heures, le Vatican répondit favorablement. C’était un nouveau record de rapidité. Yvonne-Aimée se dit « folle de
joie. »
Ce titre officiel de «Chanoinesses
régulières» n’était pas seulement un lien qui se renouait, officiellement,
avec un passé immémorial, mais il situait les Augustines dans « l’Ordre canonial
», qui, dans l’Eglise, a une double mission : la contemplation divine et le
service hospitalier
ou le service pastoral. Enfin, ajouta
soeur Yvonne-Aimée, ce titre de Chanoinesse nous vaudra beaucoup
d’avantages spirituels, donc beaucoup de grâces. C’était un retour aux sources
de la spiritualité admirable de saint Augustin.
● Maîtresse des
novices
L’afflux des vocations ne cessait
point. Le groupe des postulantes, novices et professes temporaires,
atteignait le chiffre de 35 : c’était une charge très belle mais trop lourde
pour la jeune Maîtresse
des novices, Mère Thérèse de l’Enfant-Jésus. Soeur Yvonne-Aimée fut
désignée pour préparer les professes temporaires à
prononcer leurs voeux perpétuels.
Cette responsabilité, Yvonne-Aimée
l’avait redoutée en raison de sa mauvaise santé : « Je fais ce que, sans
Sa grâce, je ne pourrais faire ; je dis, soit en conférence, soit en
récréation, des choses qui leur font du bien et leur font aimer le Bon Dieu davantage,
et cela ne vient pas de moi, car j’emploie souvent des idées neuves pour
moi, des expressions qui ne me sont pas
coutumières. »
● Les conseils de
Mère Aimée
«Mes novices... je lis dans leur âme !
Le Seigneur le permet. Vous savez, ça me rend bien
service ! »
D’un mot, jeté en passant, elle apaisait
une secrète inquiétude, signalait un
obstacle intérieur à la grâce, donnait aux unes et aux autres un
encouragement, ouvrait un horizon :
- Le Seigneur est content de vous.
- Vous êtes en progrès.
- Abandonnez-vous à Lui !
- Il est content que vous ayez répondu à son appel !
- Donnez-Lui tout.
- Soyez généreuse, ardente, livrée à
toutes ses volontés.
- Faites-vous petite : Il vous fera grandir !
- Soyez unies au Corps mystique, soyez vraie fille de l’Eglise.
- Que les choses de la terre ne fassent
qu’effleurer votre âme sans la tourmenter.
- La souffrance vous a détachée du
monde : en retour, le Seigneur vous donnera de très grandes joies.
- Il ne demande que votre bonne volonté et votre amour à son service.
- Vous avez beaucoup souffert dans le
monde avant d’entrer au monastère ! Eh bien ! Votre noviciat en est
facilité !
● Supérieure du
Monastère
Au mois de mai 1935, Mère Yvonne-
Aimée fut élue supérieure du Monastère, mais il fallait que Rome confirme
parce qu’elle était trop jeune et n’avait pas six ans de profession religieuse.
Le 6 mai 1935 un télégramme de Rome : « Election
confirmée ! »
Maintenant, à 33 ans et demi, Yvonne-
Aimée aborde sa mission de Mère et
de chef. Son élection à la tête du Monastère de
Malestroit marque le commencement de ses années de plénitude humaine et
chrétienne. Mère Saint-Paul a observé :
« On la voit partout où il y a un plaisir à faire, un
oubli d’elle-même à pratiquer... »
Mère Yvonne-Aimée, devenue supérieure, n’avait pas à changer de conduite.
Une parole intérieure vint l’encourager à continuer : « Rend-les
heureuses pour les rendre meilleures ». Ce sera son programme plus que
jamais.
● Les temps de la
guerre
Septembre 1939, la France est
entrée dans la guerre. Au mois d’août
1940, un colonel allemand voulut
réquisitionner la clinique de Malestroit pour ses seuls hommes. Mère
Yvonne-Aimée lui répondit : « Nous tasserons nos lits pour
recevoir vos militaires malades, mais
nous ne mettrons pas dehors nos
malades civils ! »
Le colonel tempêta, mais comme
Mère Yvonne-Aimée gardait son calme, il retira son ordre de réquisition : «
Vous, femme de coeur ! » dit-il.
Au sujet de la guerre, Yvonne-Aimée
a écrit : « La France expie son goût
trop fort du plaisir, ses erreurs, ses insouciances.
Puisse la France et chaque individu comprendre la pénible
leçon que Dieu nous inflige et revenir à des sentiments plus chrétiens plus
généreux. Le Bon Dieu est le Maître. Il a voulu nous le rappeler en laissant faire.
Dieu veut purifier la France avant de lui donner la victoire.»(20 juin 1940)
En février 1942, il neigeait sur la Bretagne.
L’isolement et le silence de Malestroit
n’en étaient que plus saisissants. La
clinique comptait beaucoup de malades.
De l’autre côté de la haute grille du choeur.
La psalmodie s’élevait toujours aussi
régulière et pure. A la Communauté, malgré l’absence
de chauffage et les nouvelles restrictions alimentaires, imposées par la présence, dans le pays, des troupes allemandes, la bonne humeur
régnait.
Mère Yvonne-Aimée, en dépit d’une angine herpétique avec douloureuses
complications rénales, donnait le ton.
Dans les grandes villes, surtout à
Paris, la plupart des habitants ne mangeaient plus à leur faim. A la
clinique de Malestroit, la soeur dépensière rassemblait des provisions,
confectionnait des colis de ravitaillement. Souvent, Mère
Yvonne-Aimée l’aidait prestement. Il en partait, chaque jour, dans toutes
les directions.
Et la plupart étaient offerts à titre
gracieux. C’était le partage fraternel.
Geste que la supérieure renouvellera des centaines de fois, pendant les
quatre années de l’occupation allemande.
● Le
ravitaillement providentiel
Cependant, le personnel, les
malades, les opérés, les religieuses
représentaient au minimum un effectif
quotidien de 250 personnes à nourrir. Les Allemands
avaient interdit tout abattage de bêtes dans les fermes ou clandestin dans les
boucheries. Or, sans ces derniers, il eût été impossible de ravitailler la maison
et d’expédier les colis.
Un jeune commis boucher de Malestroit, travaillant chez son père, apportait
de la viande à la cuisine de la clinique dont la porte restait ouverte après le couvrefeu.
Il devait faire un détour pour contourner les sentinelles de la Kommandantur.
Il ne disait pas à quelle heure il
venait : c’était quelquefois après minuit, par le
parc. Il déposait les quartiers de viande et il trouvait sur la table de la
cuisine des gâteaux et des fruits préparés à la demande de la supérieure. Plusieurs fois, à son
arrivée à la cuisine, Mère Yvonne-Aimée était là, comme par hasard, disant
son chapelet ou bien elle arrivait calme, souriante «Ah ! Se disait le
boucher, c’est une femme supérieure, elle garde bien sa maison,
même la nuit !»
● Janvier 1943.
La France bâillonnée respirait avec
peine. Les réseaux de la Résistance
travaillaient dans la nuit. Les occupants allemands multipliaient
les rafles policières.
Les prisons étaient pleines. L’aviation
anglo-américaine bombardait les ports. Le pays touchait au plus creux de
l’épreuve.
Au début de cette nouvelle année.
Mère Yvonne-Aimée renouvela la résolution de vivre, selon sa devise, « Tout droit au service du Roi
Jésus » « Faites-donc de moi ce que Vous voudrez. Employez-moi
à votre guise. Je ne souhaite rien d’extraordinaire mais
seulement un amour extraordinaire. »
Elle ressentait, avec intensité, l’horreur de la guerre. Elle estimait que
la force des armes et l’action politique ne suffiraient pas à ramener la paix ;
il faudrait aussi le secours de Dieu qui ne s’obtient que par la prière et le
sacrifice. « Mais il faut que nous soyons à genoux pour que Dieu nous prenne
en pitié. Il faut que ce
soit vraiment l’heure de Dieu.»
● L’arrestation
et la torture
« Je vais être arrêtée prochainement par la
Gestapo, » dit Mère
Yvonne-Aimée.
«Mais pourquoi, ne prenez-vous pas
immédiatement le large » dit le père
Labutte ?
« Non, reprit-elle, j’ai ordre du Seigneur de rester à
Paris pour ses affaires à Lui... Ce matin, dit-elle encore, j’ai senti que
j’étais filée. Deux hommes me suivaient.
J’ai ralenti. Ils ont ralenti. J’ai regardé
longuement une vitrine de magasin
tout en les observant dans le reflet de la
glace. Ils ont fait de même. J’ai repris mon trajet. Ils
ont suivi derrière moi. Je n’ai plus d’illusions. »
Yvonne-Aimée est angoissée
comme je ne l’ai jamais vue. Elle ne se
retient pas de trembler. L’après-midi du 17 février, je reçois une dépêche de soeur Saint-Vincent
Ferrier ainsi libellée : «Yves est en clinique avec tante Germaine depuis
midi.» C’était la
formule qui avait été convenue pour m’annoncer éventuellement
l’arrestation de Mère Yvonne-
Aimée par les Allemands.
● Présente en
deux endroits
« Vers 13 heures, dans le couloir du
métro qui accède au quai, je me retournai brusquement sans savoir pourquoi
et je me trouvai face à Mère Yvonne-Aimée, en habits civils, manteau, feutre
grenat relevé
sur le front, lunettes. Elle paraissait
pressée et inquiète.
- « Vous ! M’exclamai-je, » frappé de stupeur et cloué sur place.
- «Marche, marche, »me répondit-elle.
Le flot des voyageurs, un instant
contrarié par mon arrêt, nous poussa sur le quai. Une rame de métro entrait
en gare.
Elle stoppa. J’étais avec ma mère qui
n’avait pas vu ou pas reconnu Mère Yvonne-Aimée. C’était une heure de
pointe.
Les voyageurs assis ou debout étaient
entassés. Yvonne-Aimée se tenait debout à mes côtés. Je lui dis à voix
basse mais d’un air joyeux.
- « Vous êtes libérée ? »
La conversation était difficile à soutenir car j’étais en soutane et je
sentais que la plupart des voyageurs nous contemplaient en silence et
s’étonnaient de me voir ainsi parler à une femme.
- « Non, je ne suis pas libérée. Je suis en prison,
je subis la torture debout devant un mur, j’ai la tête dans une sorte d’étau. »
Elle avait murmuré dans un souffle ces étranges paroles. Alors je
compris dans un éclair qu’elle
se trouvait en état de bilocation,
qu’elle était présente, en ce moment même, simultanément, dans la prison et
dans le métro.
- « Vous êtes en deux endroits ? »
Pour toute réponse, elle inclina la
tête, puis leva lentement, silencieusement, vers moi qui étais d’une taille
plus élevée, un visage de douleur. Ses yeux m’apparurent agrandis et
extatiques, les paupières ne battaient pas. Puis, elle baissa
la tête. C’était bien elle. Je la voyais, je
l’entendais respirer et parler, je la touchais de mes mains. Je ne rêvais
pas éveillé.
A la station Denfert-Rochereau, le
métro stoppa. Yvonne-Aimée, sans me
demander où j’allais, sans me dire un mot d’au revoir, sans me regarder,
descendit, se détourna toutefois sur le quai pour me jeter un regard de
détresse et prit la file des voyageurs, mais devint
soudain invisible.
Je monte quelques marches de l’escalier de sortie. Brusquement, l’un des vantaux
de la porte qui se trouve à mi-chemin de cet escalier, est poussé par quelqu’un
qui descend précipitamment. C’est de nouveau Mère Yvonne-Aimée, toujours en
civil, et qui, l’air effrayé, me lance à mi-voix ces quelques mots :
- «Prie ! Prie ! Si tu ne pries pas assez... on
m’embarquera ce soir pour l’Allemagne...Ne le dis à personne ! »
Avant même que je puisse répondre,
elle était devenue, de nouveau, invisible.
Nous sortîmes, maman et moi, et traversâmes la place voisine. Je gardai le silence
sur Mère Yvonne-Aimée. J’étais bouleversé, non pas
tant de l’avoir revue que de savoir que sa déportation en Allemagne
dépendait de ma prière.
Je me réfugiai dans la chapelle de la
Médaille miraculeuse. Là, tout l’aprèsmidi, je priai : rosaire, bréviaire,
litanies, chemin de croix. Vers 19h30, ce même soir, je me rendis à l’Oasis
Notre-Dame de
Consolation où soeur Saint-Vincent Ferrier, tout en larmes, m’y accueillit
: « Où est-elle ce soir, notre Révérende Mère Yvonne-Aimée ? »
Je dînai au parloir, la mort dans
l’âme, tandis que soeur Saint-Vincent Ferrier, par crainte de la Gestapo,
visitait la maison pour s’assurer, me dit-elle, que les portes et les volets de
fer étaient bien fermés.
En me levant de table, je demandai
l’autorisation de monter au premier étage, dans le bureau de Mère
Yvonne-Aimée.
Je me mis à marcher de long en large
devant la cheminée, tout en m’efforçant
de réciter encore un chapelet. Tout à coup j’entendis derrière moi un bruit sourd,
semblable à celui d’un cavalier botté sautant de cheval et retombant à
pieds joints.
Me retournant, je me trouvai en présence de Mère Yvonne-Aimée, debout, près
de son bureau.
- « Vous ! »
Je bondis et la saisis par les deux poignets.
Elle portait les mêmes habits civils
et les mêmes bottes de caoutchouc que
dans le métro, mais elle n’avait plus ni chapeau de feutre ni lunettes.
Elle était tête nue, les cheveux en désordre et semblait avoir très peur, me
prenant - je le sus plus tard - pour le tortionnaire de la prison.
Je réussis progressivement à l’apaiser.
Elle murmura :
- « Où suis-je ?... Où suis-je donc ? »
Regardant à droite et à gauche, elle
s’étonna : «Mais, c’est mon bureau ! »
Enfin elle me reconnut et avec un
sourire maternel :
- « Mais c’est toi, Paulo. Mon Ange m’a délivrée.
- Ah ! Je sais maintenant, je comprends. C’est mon bon Ange qui m’a délivrée et
ramenée ici. Il m’a saisie dans la cour de la prison, juste au moment où l’on nous
mettait en groupe pour partir en Allemagne.
Il a profité du brouhaha et du
désordre qui se sont produits au moment du
rassemblement et aussi de l’obscurité, du black-out.
- Avez-vous beaucoup souffert ?
- Oh... oui, comme jamais. »
● De février 1943
à août 1944
L’hospitalité aux heures les plus
périlleuses de l’occupation allemande
Accueillir, camoufler, soigner les
maquisards et les blessés. Il fallait du courage et sang-froid à Mère
Yvonne-Aimée pendant les perquisitions de la Gestapo.
Tandis que le Père Crété descendait
dans la tombe, l’occupation allemande
manifestait, à Malestroit, comme dans
toute la France, des exigences accrues.
Le 25 mars 1943, à Malestroit, la Mai-
son des prêtres convalescents, qui formait l’aile nord-est de la clinique
et du Monastère, fut réquisitionnée pour loger des soldats allemands.
L’attitude de Mère Yvonne-Aimée
envers les occupants allemands était très digne, très réservée, ne
manifestant aucune haine ou hostilité, leur tenant tête quand il le fallait, et
de façon ferme, évitant
l’occupation de la clinique, cherchant à les écarter de locaux qu’à
certains moments ils auraient voulu prendre. En certaines occasions, elle s’est
montrée charitable.
Elle s’est toujours montrée confiante dans les destinées de notre patrie,
elle avait une foi absolue dans la libération.
● L’installation
des allemands
A l’arrivée des Allemands dans le
pavillon réservé aux prêtres convalescents, Mère Yvonne-Aimée, sans perdre une
minute, pour s’isoler, fit murer la porte intérieure qui donne sur le
monastère. En outre, elle écrivit à l’officier supérieur allemand
qui s’installait, cette lettre dont le
brouillon a été retrouvé :
« Commandant, vous voici installé
sous mon toit. Je confie ma maison à votre honneur et à
votre bonté. Elle abritait une oeuvre qui m’était chère. J’ignore quels sont
vos sentiments vis-à-vis de nous.
Pour moi, vous êtes l’officier qui fait son devoir : peu
importe votre nationalité, vous êtes un
homme en exil sur une terre étrangère
et je compatis à votre peine d’être
éloigné de votre patrie, et, sans doute,
d’êtres chers, surtout de votre mère si vous avez encore
le bonheur de la posséder.
J’espère, commandant, que nos cloches
ne vous gêneront pas ; elles me sont
nécessaires pour grouper mes soeurs,
ayez la bonté de les supporter. Par ailleurs, on ne fait
pas de bruit dans une maison comme la nôtre où nous pratiquons le silence. J’ai
été touchée de l’attention dont vos sous-officiers et vos hommes vous entourent,
c’est que vous êtes un bon chef.
Je vous en félicite, commandant. »
Le 17 juin, elle confia la clinique et le
Monastère de MaIestroit à la Reine du Ciel et lut, au choeur, un acte
solennel de donation.
En outre, il fut décidé à l’unanimité,
par une délibération du Chapitre, que
désormais, toutes les religieuses dudit
Monastère porteront (dans les actes officiels) - en plus - le nom de Marie,
présentement et à l’avenir.
● Malestroit en
danger
- Ce samedi 5 août, à 11 heures,
deuxième tentative de minage des ponts qui, au gré des Allemands, étaient
trop faiblement
endommagés, surtout le pont
Briand, le plus proche des Augustines. A nouveau, coup manqué.
- Les Allemands mirent la poudre et la
mèche, mais plusieurs fois la mèche s’éteignit, le pont ne sauta pas et,
pris de panique, les Allemands quittèrent Males-
[Monastère, image
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troit en hâte, laissant leur déjeuner...! En ce premier samedi du mois où nos Ave, sans interruption, partaient de la chapelle vers le Coeur très tendre de notre Mère du Ciel. Et le lendemain, le dimanche 6 août 1944 en
la fête de la Transfiguration, les troupes américaines firent leur entrée à
Malestroit, sans aucune résistance. Enfin, nous
respirions, nous pouvions faire flotter le drapeau français. Nous redevenions
libres !
● Les Etats-Unis
d’Europe
Le 8 mai 1945, c’était l’annonce de la
victoire. Mère
Yvonne-Aimée savait que la fin de cette guerre ouvrirait, un jour, la voie aux
“Etats-Unis d’Europe !” (prophétie)
Elle était à Paris ce jour là. Elle se
rendit à pied, avec ses filles, sur la tombe du Soldat inconnu. Dans les
rues noires de monde, ce n’étaient que chansons, musiques d’accordéons,
confettis, visages heureux. Le bâillon hitlérien, qui avait tant étouffé Paris,
était tombé.
Toutefois, Mère Yvonne-Aimée mettait une sourdine à la joie de ses amis :
la vraie paix n’est pas encore celle-là. Que la Sainte
Vierge continue de faire son oeuvre en notre pauvre pays. Paris l’a échappé belle.
Il a été protégé et sauvé pendant la guerre, mais pour combien de temps ?
(Est-ce une prophétie ?)
● Un rôle de
lumière
Dans sa correspondance, elle notait avec
douleur la marée montante du naturalisme, du matérialisme, de l’athéisme, ainsi
que le déferlement du péché. La paix, sans la reconnaissance des droits de Dieu
lui paraissait une chimère. « Le monde est déboussolé, écrira-t-elle
à Mgr Picaud (et cette lettre était soulevée par une sorte de souffle
prophétique) mais le Seigneur Jésus veut nous faire sentir notre incapacité
humaine, nos misères, puis, je l’espère, je le crois, j’en suis sure, Il finira
par nous sauver, mais d’ici-là, nous
devons prier, souffrir, offrir. »
Dans ce monde chrétien de demain ou
d’après-demain, elle était persuadée que la France, dont la Vierge Marie demeure
la Reine et la Protectrice, jouerait un rôle de lumière.
● Les décorations
Le 24 juin 1945, Mère Yvonne-Aimée
fut décorée de la croix de guerre avec
palme. Le 22 juillet, de la Légion d’honneur par le Général de Gaulle. Le 3
Janvier 1946 de la Médaille américaine de la liberté et le 26 Juillet 1949 de
la Médaille du Roi d’Angleterre.
Mère Yvonne-Aimée était contente
de tout cela, à cause de ses amis, de sa
Communauté et de l’Eglise. Elle demeurait fidèle à toutes ses amitiés
anciennes : «Quand j’aime, je ne sais pas désaimer ! »
Et, au fil du temps - on l’a vu - de nouvelles amitiés s’étaient nouées.
Elle vivait dans la familiarité de Lumen et de Loetare, ses anges
gardiens, qu’elle invoquait plusieurs fois par jour. Pendant les perquisitions
de la Gestapo notamment, elle avait
fait l’expérience de leur protection.
Mgr Picaud relate qu’elle a passé
des nuits entières à converser avec des
saints et des anges du Paradis. La Sainte Vierge est venue souvent la
visiter, confirmait-il.
- « La Sainte Vierge ? dit
Mère Yvonne-Aimée, elle attend que vous l’aimiez. Demandez les vertus
qu’Elle aime le plus : charité, pureté, ferveur, docilité à l’Esprit.
Des Ave, pour la saluer au
passage. Dire le Souvenez- vous. O Marie conçue sans péché. Elle aime tant
qu’on lui rappelle son privilège. Elle est exquise et si puissante. Et d’une
telle simplicité.
- La pureté et la douceur attirent Dieu. C’est pourquoi
la Vierge Marie a été choisie.
- Saint Joseph ? Il est mon saint préféré. Il a marché
sans crainte !
- Jésus m’a dit : “Mes enfants,
les âmes coûtent cher. Il faut beaucoup de prières, de sacrifices, de luttes,
de souffrances pour les sauver, mais à tout cela, je préfère une vie d’abandon
total, une fidélité, une générosité délicate dans la recherche de
Mon bon plaisir.”
- Acceptez joies, souffrances, humiliations et
contrariétés avec paix et joie, et vous verrez, et sonderez la Miséricorde de Dieu.
»
● Supérieure
Générale
Mère Yvonne-Aimée, élue Supérieure
de la Fédération des Monastères des
Augustines, a dû passer de la vie communautaire et du soin direct des âmes,
à la solitude administrative du généralat : visiter, coordonner et stimuler ce
grand ensemble des 32 monastères de la Fédération
des Augustines.
Au cours de l’hiver 1947, Mère Yvonne-Aimée acheva de
visiter les monastères de France et de Grande-Bretagne qui faisaient partie de
la «Fédération de Malestroit». Elle y avait été accueillie et «reconnue» comme
Supérieure générale,
selon le cérémonial, au son des
cloches et au chant final du Te Deum.
Mère Yvonne-Aimée portait seulement la croix pectorale, et trouvait
grandement suffisant le titre de Supérieure générale, sans crosse ni anneau.
A partir de 1947 et surtout de 1948,
un changement fut perceptible chez Mère Yvonne-Aimée. Sans cesser d’être présente aux choses
de la
terre, on la sentait se détacher,
s’envelopper de plus en plus de
silence, vivre dans l’invisible,
soeur Marie de la Croix avait remarqué cette évolution : “Accablée de souffrances physiques, elle portait aussi des tas de soucis
qui jouaient sur sa pauvre santé qu’elle traînait. Elle était souvent dans le noir,
assurément. Mais, elle demeurait égale d’humeur, paisible, courageuse.
Elle n’était plus de la terre.”
Au début de 1949, les médecins
conseillèrent à Mère Yvonne-Aimée de
subir une opération chirurgicale, malgré l’inquiétude
que leur inspirait son état général. Il s’agissait d’un
volumineux fibrome. « A la grâce de Dieu. Il est
puissant pour me guérir. S’Il veut me prendre, c’est une bonne occasion. Je
suis bien en paix. Priez pour que je sois une bonne malade. »
L’opération fut réalisée le 16 février
1949, à la clinique de Malestroit, par le Dr Jean Queinnec. Le chirurgien ne comprenait pas comment Mère Yvonne-Aimée - avec un mal de
cette importance - avait pu tenir si longtemps et assumer son travail
quotidien : « C’est de l’héroïsme », répétait- il en quittant le
bloc opératoire. Une menace d’embolie fut
conjurée. La malade demeurait affaiblie. A son
infirmière, elle
obéissait avec la simplicité d’un enfant.
● L’Ordre
consacré à Notre-Dame
A peine rétablie et se tenant sur des
jambes toujours enflées, elle voulut, le 25 mars 1949, dans la lumière de l’Année mariale ouverte par Pie XII, descendre à la chapelle du Monastère de Malestroit, pour y
lire, en présence de la Communauté, une consécration
nouvelle et officielle de tous ses membres, qu’elle avait elle-même
composée, Au Coeur Immaculé de
la Très Sainte Vierge.
- Nous vous saluons Vierge bénie.
qui avez été élevée à la dignité de Mère de
Dieu. Aidez-nous à développer en nous l’humilité, la douceur, la charité,
l’esprit de sacrifice. Qu’en vous aimant et contemplant, Coeur Immaculé de
Marie, chacune de nous bénéficie de votre secours, que notre âme soit toujours
droite et limpide, notre coeur pur et détaché, notre esprit attentif à votre
bon plaisir et abandonné à
la volonté de Dieu. Nous nous reconnaissons
indignes de vos faveurs mais nous vous aimons avec une confiante tendresse.
O Mère de Miséricorde, Reine de notre
Saint Ordre, daignez nous bénir et nous exaucer.
Amen.
Le 30 août 1949, rentrant d’Anvers,
où elle avait conduit quatre jeunes Augustines missionnaires qui devaient
s’embarquer pour le Natal, elle subit, à Malestroit, une
biopsie. Le 6 septembre suivant, le Dr Jean Queinnec l’amputa du sein gauche
pour tumeur néoplasique. Après cette
nouvelle intervention, le bras gauche
oedématié devint énorme, pesant et douloureux.
Ce mal nouveau s’ajoutant à des
troubles cardiaques et hépatiques, à l’importante infection chronique des
reins, lui faisait partager encore plus la
condition de ceux qui souffrent, compatir d’un coeur fraternel
à leur solitude et à leurs angoisses.
Elle se montrait patiente et courageuse.
On ne pouvait guère apaiser ses
douleurs, car les calmants lui faisaient
souvent l’effet contraire, en raison de son mauvais état hépatique. A soeur Marie de la Croix qui la soignait, elle avoua aussi :
« J’ai beaucoup souffert dans ma vie...
jamais comme maintenant. »
● 1950 - sa
dernière année
Elle allait être plus douloureuse
encore : « Il faut toujours garder la
joie et c’est dans ces moments-là qu’elle a sa valeur aux yeux de Dieu.
J’aspire à la béatitude éternelle dans le repos. Mon Dieu, comme cela sera bon
après toutes les souffrances et soucis de cette terre. Mais il faut le mériter
et ce n’est pas une petite affaire. Prie pour moi... » (au père Labutte, 7 janvier
1950)
De janvier à mai 1950, si l’on excepte
quelques brefs déplacements, Mère
Yvonne-Aimée demeura à Malestroit. Son bras gauche
oedématié atteignait maintenant plus de 50 cm de circonférence.
Les dix-huit derniers mois de Mère
Yvonne-Aimée avaient été, au témoignage de soeur Marie de la Croix, un long
martyre.
Physiquement, ajoute l’infirmière, elle ne
pouvait plus se traîner, son état cardiaque s’était beaucoup aggravé. Spirituellement, elle se trouvait dans le noir,
ne se rappelait plus rien des grâces reçues, se demandant
si sa vie avait été une illusion !
● 3
février 1951 : le dernier jour
C’était le 1er samedi du mois à 15h45.
La cloche du monastère sonne. Mère
Yvonne-Aimée se rend à la tribune, d’où elle assiste au Salut du
Saint-Sacrement.
Aussitôt après le Salut, elle descend
se confesser au chanoine Roblin, aumônier de la communauté : « M.
l’aumônier m’a fait du bien. Il a été très bon et très compréhensif, » confie-t-elle
à une Mère.
18h15, la porte étant demeurée
ouverte, soeur Marie de la Croix regarde en passant avant de descendre au
réfectoire.
Mère Yvonne-Aimée est assise à sa
table de travail, le front dans les mains.
«Oh ! Ma tête ! Ma tête ! »Gémit-elle.
Un léger vomissement la soulage
mais la douleur reprend, encore plus atroce.
soeur Marie de la Croix veut aller prévenir les médecins de la clinique,
mais Mère Yvonne-Aimée supplie :
« J’ai peur de tomber. Ne me laissez
pas seule. Oh ! Ne me quittez pas. Ca va se passer. Oh !
Ne me quittez pas ! »
L’infirmière allonge Mère Yvonne-
Aimée sur le tapis du parquet, près de la table de travail, pose la tête
sur des
oreillers, et court chercher du secours.
Mère Marie-Anne arrive. La malade
la reconnaît et lui montrant sa pauvre tête, murmure : « J’ai mal. Oh !
Que j’ai mal ! »
Presque aussitôt son beau regard se voile. Les
docteurs François Pouliquen et Jean Quéinnec arrivent en hâte. «Selon toute
vraisemblance, estime ce dernier, elle était frappée d’une congestion
cérébrale foudroyante avec inondation ventriculaire » La tension est montée
à 26 et une artère, sous une telle pression, a éclaté.
Au clocher de l’église de Malestroit,
sept heures sonnent et l’Angélus tinte.
La mourante est maintenant dans le
coma. Sa respiration diminue
de fréquence et d’intensité. Monsieur l’aumônier eut seulement
le temps de lui donner une onction.
19h10,
Mère Yvonne-Aimée rend le dernier soupir. Elle a 49 ans et six mois, et 22 ans
de profession religieuse.
● La sépulture
La Messe de Requiem eut lieu le 8
février 1951, au Monastère de Malestroit devant une foule qui se presse et
qui déborde à l’extérieur. Le cortège arrive au cimetière. Les Paras présentent
les armes, le glas tinte.
Sans qu’on l’ait prémédité, la tombe,
creusée à la suite des autres, se trouve à l’emplacement qu’Yvonne-Aimée,
jeune fille, avait prédite en 1924, à une époque où l’opposition de Mgr
Gouraud, l’évêque de Vannes, rendait impossible son entrée au Monastère de
Malestroit.
Les voix douces des religieuses se
sont tues. Un instant, l’on n’entend plus que la grande voix du vent. Puis
l’Evêque récite les dernières prières et asperge le corps au fond de la tombe.
Tous, à tour de rôle, imitent ce geste
et se retirent. Plus d’un pense que cette vie brève verra sans doute un
autre couronnement quand seront connues toutes les vertus qui l’ont si bien
remplie.
*****
En 1927, un jeune séminariste, Paul Labutte, rencontre à l’occasion
d'une réunion de famille une jeune femme. Il ne se doute pas
que sa vie vient de prendre un nouveau et extraordinaire départ. D'Yvonne
Beauvais, il ne sait alors rien, mais de cette première rencontre il garde le
souvenir d'une impression qui ne
s'effacera jamais : «C'est une fille vraie jusqu'à
la racine de son
être». De ce jour date
une amitié spirituelle exceptionnelle entre
le futur prêtre et celle qui, connue sous le nom d'Yvonne-Aimée de
Malestroit, supérieure générale des Augustines Hospitalières de la Miséricorde
de Jésus. Ces deux livres sont les références pour connaître la vie de Mère
yvonne-Aimée racontée
par le père Labutte. (nombreux témoignages)
La version compléte de 744 pages : Yvonne-Aimée
de Jésus, «Ma Mère selon l’Esprit.» : 40,60 € - 744 pages
La version de 220 pages : Yvonne-Aimée
telle que je l’ai connue : 19 € - 220 pages
Le Père Laurentin s’inspire de nombreux écrits pour nous livrer ici
une vie complète et une étude approfondie de sa vie spirituelle et
de tous les événements qui ont jalonnés la vie de Mère Yvonne-
Aimée.
Un amour extraordinaire, Yvonne-Aimée
de Malestroit 22 € - 224 pages
Ce CD audio reprend pratiquement l’intégralité de ce numéro
pour présenter la vie de Mère Yvonne-Aimée. 5 € - 60 mn
Bibliographie : Ce numéro
spécial sur Yvonne Aimée de Jésus est extrait du livre du Père Labutte,Yvonne-Aimée
de Jésus, “Ma mère selon l’Esprit”. Il a travaillé pendant 35 ans, à ses
temps libres, pour faire connaître sa vie. Ed. de Guibert
Extrait également du livre du Père Laurentin, Un amour extraordinaire aux
éd. de Guibert. [...]
*****
Si vous souhaitez approfondir la vie de Mère Yvonne-Aimée, où si vous
passez à Malestroit, voici les coordonnées de la communauté :
Monastère des Augustines de Malestroit, 2 faubourg Saint-Michel, 56140
Malestroit www.http://www.augustines-malestroit.com
Clinique de Malestroit, 4 faubourg Saint-Michel,
56140 Malestroit
http://www.cliniquedesaugustines.fr
● Mère Yvonne-Aimée de Jésus
Yvonne-Aimée est immense. De l’enfance aux derniers jours, sa vie brève, 49
ans, témoigne d’une progression continue et d’une cohésion absolue.
Malgré une avalanche de charismes,
c’est, au fond, une vie toute simple, voire imitable, ne serait-ce que par
l’abandon total à Dieu, l’habitude du travail bien fait, la pratique exquise de
la charité fraternelle, la joie de croire.
Son expérience chrétienne, qui s’insère dans la Tradition mystique
bimillénaire de l’Eglise, n’a été ni une évasion ni un refuge, mais, dans la
discrétion, le silence, la paix, l’oubli de soi, un débordement de vie.
Grande malade, accablée d’épreuves,
de responsabilités et de travaux, loin
de se replier sur sa souffrance, elle a
déployé une suractivité ordonnée : ce n’est pas le moindre paradoxe de
cette existence inouïe. Plus encore qu’un paradoxe, c’était la croix qu’elle
portait, la part qu’elle prenait au mystère de la Passion du Christ
et du Salut du monde.
De sa simplicité d’enfant et de son
envergure de chef, de tout son être, rayonnait une lumière venant de
l’amour extraordinaire,
de l’amour fou qu’elle manifestait à
Dieu, à Jésus-Christ, aux pauvres, aux
âmes, tant il est vrai que celui qui aime « demeure dans la lumière. »
«Tout droit au service du Roi
Jésus », cette devise qu’elle
s’était donnée dès le temps de
sa jeunesse, concrétisait
et spécifiait son amour. On ne
saura jamais tout ce qu’elle a fait pour le Seigneur Jésus, pour l’Eglise,
pour la France, pour d’autres nations, pour les pauvres et surtout pour le
monde des âmes dont elle avait une si extraordinaire pénétration.
Moderne de goûts, marchant avec
son temps, fidèle à la tradition quand celle-ci était créatrice, heureuse et fière d’être française,
enracinée profondément dans l’Église catholique et dans l’Ordre de saint Augustin,
disciple de Thérèse de Lisieux,
elle avait aussi une dimension «eschatologique » : elle vivait dans la
plénitude de l’instant présent des valeurs du monde à venir. Sa vie entièrement
donnée, le sentiment
d’exil terrestre, la nostalgie et le désir
du Ciel, le regard d’Amour qu’elle posait sur tout être, la joie et la
merveilleuse liberté des enfants de Dieu qu’elle manifestait, et, à certaines heures, la clarté et l’agilité
de son corps étaient une anticipation du Royaume, « l’ailleurs venu à
nous ».
Merci Mère
Yvonne-Aimée.
FIN / SFARSIT
Extras din Revista/Buletinul Bulletin ETOILE NOTRE DAME N°232 - JUILLET AOÛT 2014 - mensuel 2€ - 53104
Mayenne, France, www.etoilenotredame.org
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