Notre Dame de la Prière,
Istoria Aparitiilor Fecioarei Maria a Rugãciunii din Insula Bouchard de pe râul
Vienne, Franta
The History of the
Apparitions of Our Lady of The Prayer of Ile Bouchard France
Les Apparitions
de L'Ile-Bouchard
du 8 au 14 décembre 1947
Préface
Cet opuscule n'est qu'un
essai historique de reconstitution des « faits de l'Ile-Bouchard » tels qu'ils
sont présentés : I° Par Jacqueline Aubry, Nicole Robin, Laura Croizon, Jeanne
Aubry dont la sincérité ne paraît pas douteuse ; 2° Par des témoins qualifiés
de leurs gestes et de leurs paroles dans la semaine du 8 au 14 décembre 1947 :
leurs parents, leur curé, leurs institutrices, des voisins, des compagnes ; 3°
Par divers enquêteurs qui, pour la plupart, interrogèrent fillettes et témoins dans
les six premiers mois de 1948. Dans sa concision voulue il ne vise qu'à la
précision. Quand nous écrirons « les apparitions », « la Sainte-Vierge» «
l'Ange », etc., nous ne ferons que citer les expressions des enfants. Nous
n'entendons pas juger du caractère surnaturel des visions qu'elles affirment
avoir eues ; nous n'abordons pas même l'étude de leur réalité objective.
D'avance nous tenons à assurer de notre très respectueuse soumission l'Autorité
Religieuse compétente qui portera, quand il lui semblera bon, jugement sur
l'ensemble des dits faits.
Notes préliminaires
L'Ile Bouchard
En Touraine, dans l'arrondissement de Chinon, à 16 km. à
l'est de la ville et à 42 km. au sud-ouest de Tours, une petite île de la
Vienne, où s'élevait jadis, dès le Xe siècle peut-être, la forteresse d'un
puissant féodal, « Bouchard », a donné son nom, en 1832, à une commune
nouvelle qui rassembla deux agglomérations, sises chacune sur une rive :
Saint-Gilles au nord, Saint-Maurice au sud. Deux agglomérations depuis longtemps
et encore quelque peu rivales. La superficie de l'ensemble est minime : 280
hectares. Alentour la campagne est riche : des prés, des champs, des vignobles
donnant un excellent vin rouge. La petite ville a 1 255 habitants :
commerçants, artisans, petits rentiers, journaliers, paysans. Les esprits sont
calmes. C'est le chef-lieu du canton. Chaque mardi, le seul jour d'animation,
s'y tient la foire ou le marché. Sous une apparente indifférence religieuse,
derrière le respect humain, la foi subsiste. Non seulement tous les enfants
sont baptisés mais presque tous les moribonds reçoivent les derniers
sacrements. On prie encore. Deux écoles libres groupent 75 élèves.
L'église Saint Gilles
L'église Saint-Gilles est classée monument historique. Le
collatéral nord qui longe la route de Chinon à Sainte-Maure date, avec son
magnifique portail, du XIe siècle. C'est la partie la plus ancienne. Il abrite
la nef de la Sainte-Vierge. A la fin du XIXe siècle les voûtes en ont été
refaites, et des chapelles intérieures furent appuyées au mur. La nef
principale qui remplace la nef primitive est XIIe siècle avec le portail
occidental et la tour du clocher. Elle a beaucoup souffert lorsqu'en 1880 on la
recouvrit, elle aussi, de voûtes de briques. Les fenêtres romanes sont cependant
restées intactes. Un vaste chœur à trois vaisseaux a remplacé, au XVe, le chœur
ancien, les absides et les absidioles. Il est percé, sur ses trois côtés, de
hautes baies à meneaux et à remplages. Son chevet est plat. Le troisième
vaisseau, débordant la grand nef, élargit l'église vers le midi.
Quatre fillettes
Jacqueline Aubry est née le 28
septembre 1935. Elle est grande. Des yeux noirs pleins de franchise. Des
cheveux noirs. Elle a bon cœur. Elle est expansive et ses réactions sont vives.
A la maison elle aide volontiers sa mère et a l'habitude de servir au magasin.
A l'école, bien que souvent étourdie et parfois bavarde, elle est troisième sur
6. Ses compagnes l'aiment pour son entrain et son bon caractère. Elle porte des
lunettes à cause de sa myopie. Jeanne,
sa soeur appelée communément Jeannette, est née le 9 février 1940. C'est une
blonde aux yeux bleus, pâlotte, remuante, et de prime abord peu sociable.
Contre les apparences elle est réfléchie, délicate dans ses sentiments ; et
c'est souvent à bon escient que se ferme son visage. Avec les fillettes de son
âge elle est gaie. A peine lit-elle couramment. Elle est un peu gênée par un
défaut de prononciation. Leurs parents, M. et Mme Aubry, tiennent une petite
pâtisserie rue Gambetta. Ils ont la foi mais pratiquent peu. Nicole Robin appartient à une famille
de terriens qui exploitent au village du Pont, sur Panzoult. Elle est née le 15
septembre 1937. Sous les cheveux châtains le visage est placide mais le regard
attentif. L'enfant a du bon sens, travaille bien mais parle peu. Elle est
cousine de Jacqueline et de Jeannette. De ses parents il faut dire aussi qu'ils
ont la foi mais pratiquent peu. Laura
Croizon, née le 3 avril 1939, accuse moins que les autres sa
personnalité. Plus petite elle est apparemment plus pouponne et fréquente
encore le cours élémentaire à l'école. La frimousse est d'ordinaire souriante,
voire câline. Les cheveux sont châtains. Elle a la réputation d'être mignonne.
Elle habite rue Gambetta, face à la pâtisserie Aubry. Une vague religiosité
seulement dans le milieu familial. Toutes les quatre sont en bonne santé.
Toutes donnent, dans l'ensemble, satisfaction à leurs parents et à leurs
institutrices. Mais rien jusqu'ici ne les a particulièrement signalées à
l'attention générale.
1947 :
L'année de tous les dangers
(d'après Bernard PEYROUS, Les Evénements de L'Ile-Bouchard, Editions
de l'Emmanuel, 1997)
1.- Le contexte international
Les événements survenus en France en 1947
s'insèrent dans un cadre plus large : cette année-là a été dominée, tout
le monde en convient, par la radicalisation de la situation internationale et
le début de la vraie guerre froide. On a maintenant la preuve que du 22 au 27
septembre 1947, se tint en Pologne, une réunion secrète des représentants de
neuf partis communistes européens : soviétique, bulgare, hongrois, polonais,
roumain, tchécoslovaque, yougoslave, et en plus français et italien. Il
s'agissait d'une reprise en main, par les Russes, de ces partis communistes,
dans l'optique d'une lutte plus accusée contre le capitalisme. Ils étaient donc
appelés à rentrer dans l'ordre et à engager la lutte.
2.- La situation française
L'année 1947 a été l'une des années les
plus dures de l'histoire contemporaine de la France. Certains historiens l'ont
appelée "l'année
terrible"; on pourrait dire aussi : "l'année de tous
les dangers". La France se trouvait alors dans une situation très
difficile à plusieurs points de vue. Les premiers problèmes découlaient de
l'état économique et social du pays. La guerre venait de se terminer, et elle
avait laissé un pays partiellement détruit et ruiné. La reconstruction n'avait
pas vraiment commencé, ou du moins on n'en voyait pas les effets. Le déficit de
la balance commerciale doublait de 1945 à 1947. On ne voyait vraiment pas
comment le pays pourrait repartir. Tout paraissait coincé de partout. Dans
cette ambiance critique, le moral de la nation flanchait. Les trafics étaient
considérables et le marché noir plus florissant que jamais. Les hommes
politiques devaient non seulement tenter de résoudre les difficultés internes,
mais aussi externes (en Algérie, en Indochine, à Madagascar, au Maroc). Par
ailleurs, devant la nouvelle politique russe, le parti communiste amorça un
virage décisif. Durant les premiers mois de 1947, les parlementaires
communistes s'opposent ouvertement à la politique du gouvernement dans beaucoup
de domaines. Le 2 octobre, au vélodrome d'hiver, Maurice Thorez, secrétaire
général du P.C.F., déclara que le moment était venu "d'imposer un
gouvernement démocratique où la classe ouvrière et son parti exercent enfin un
rôle dirigeant". Les grèves se déclenchèrent de tous les côtés. On
arriva rapidement à trois millions de grévistes. Les voies ferrées furent
bloquées. La situation économique et sociale se détériora encore. Mais ce qui
fut plus important encore, ce fut la violence du conflit. On peut citer
quelques exemples : des centraux téléphoniques furent attaqués à
Montmartre et Marcadet à Paris, ainsi qu'à Béziers ; le 29 octobre, une
véritable bataille rangée opposa les forces de l'ordre aux militants
communistes dans les rues de Paris ; le déraillement provoqué de l'express
Paris-Tourcoing, le 3 décembre, causa 21 morts. Durant cette période, il n'y
eut pas moins de 106 condamnations pénales pour sabotage. L'état d'esprit était
au conflit décisif. Les esprits étaient très montés jusque dans les sphères
dirigeantes.
3.- Le revirement de décembre 1947
En quelques heures, tout va basculer dans
le sens de l'apaisement et de la paix civile. Le général Maurice Catoire écrit
dans son journal : "A 20 heures (ce mardi 9 décembre 1947), la radio
nous annonce la capitulation du Comité National de Grève et l'ordre donné à
tous, dans la France entière, de reprendre le travail normal.". Benoît
Frachon, secrétaire général de la C.G.T., avait eu assez d'influence pour
convaincre ses camarades d'arrêter brusquement le conflit. Que se serait-il
passé s'il n'y avait pas eu cette décision ? Il est difficile de le
savoir. Le gouvernement serait passé à l'offensive sur un certain nombre de
fronts, car il ne pouvait plus faire autrement. Il y aurait eu forcément des
affrontements armés. Jusqu'où auraient-ils été ? Y aurait-il eu une véritable
guerre civile ? Cela est assez probable. Jules Moch lui-même, le ministre
de l'Intérieur, estimait que son plan d'action était "désespéré".
On était donc dans une perspective de conflit armé.
Extraits du 1er chapitre du livre Les Evénements de
L'Ile-Bouchard de Bernard PEYROUS aux Editions de l'Emmanuel, 1997.
Avec la permission de l'auteur.
Le contexte des apparitions
1.- Le contexte international
L'année 1947 a été dominée, tout le monde
en convient, par la radicalisation de la situation internationale et le début
de la vraie guerre froide. Les événements survenus en France s'insèrent dans ce
cadre. [...] Qu'est-ce qui se préparait ? [...] En fait, l'Union Soviétique et
ses dirigeants se sont sans doute crus investis d'un messianisme qui les
poussait à croire qu'ils allaient, en relativement peu de temps, répandre le
communisme dans le monde entier, mettant ainsi en application les enseignements
de Lénine. Ce n'était plus pour eux qu'une question d'années, à condition d'y
mettre le prix, sans regarder nullement aux conséquences humaines d'une telle
entreprise. On sait du reste que, en interne, aucune considération de cet ordre
n'était intervenue quand il s'était agi d'imposer le marxisme en Russie ou
ailleurs. Les récentes découvertes d'archives semblent bien montrer que Staline
espérait un jour attaquer les Nazis dans le dos, puis pousser ses armées
jusqu'en Europe occidentale. [...] L'Union Soviétique terminait la guerre
épuisée et elle avait besoin d'un temps pour se refaire et digérer ses
nouvelles conquêtes. Mais elle pouvait nourrir l'espoir de mettre assez vite la
main sur une Europe divisée et affaiblie. En effet, à Yalta, Roosevelt avait
affirmé à Staline la nécessité pour les États-Unis de ramener rapidement
outre-Atlantique leurs forces armées une fois la guerre finie : l'opinion
publique américaine ne pouvait accepter leur présence durable au-dehors. Les
États-Unis acceptèrent aussi que l'Union Soviétique s'agrandisse, au lendemain
de la guerre, de territoires pris à l'Allemagne, à la Pologne, à la Roumanie, etc.., sans parler des Pays Baltes, le
tout formant un ensemble plus étendu que la France. Aucune consultation des
populations n'eut lieu. Au procès de Nuremberg, aucune allusion ne fut faite au
pacte germano-soviétique et au dépeçage de la Pologne. Tout semblait oublié.
[...] Tout cela était comme un encouragement pour l'U.R.S.S. Staline pouvait ainsi
calculer que, au bout de quelques années, l'Europe n'étant plus défendue
militairement par les Américains, tomberait dans ses mains comme un fruit mûr.
[...] De fait, les Alliés commencèrent, une fois l'Allemagne vaincue, un
désarmement rapide et le retrait de leurs troupes vers leurs pays d'origine.
Les grands programmes d'armement furent interrompus pour la plupart. A
l'inverse, l'Union Soviétique ne désarma pas au même rythme. Sa production
militaire demeura à un niveau élevé. Elle se lança dans la recherche de
nouvelles armes, recherche qui aboutit très rapidement. Nous avons maintenat
beaucoup d'informations sur ces points. Dès 1943, les Russes avaient entrepris
des recherches sur l'arme atomique. Elles n'avaient pas abouti. Grâce aux
savants allemands récupérés et à un excellent espionnage, l'Union Soviétique
était dotée de sa première bombe en 1949. Dans le même temps et grâce aux mêmes
procédés, on commençait la fabrication de fusées, fabrication qui allait
s'accentuer dans les décennies suivantes. L'arme aérienne était complètement
renouvelée. Quand en Corée les pilotes américains se trouveront en face des MIG
15, ils se heurteront à une flotte aérienne supérieure, sans aucune comparaison
possible, en matériel et aussi en entraînement, à celle de la fin de la guerre.
Ajoutons que les services de renseignement russes, qui n'avaient pas très bien
réussis, pendant la guerre, avec les Nazis, avaient par contre remarquablement
infiltrés les États-Unis, l'Angleterre, et sans doute la France. De ce côté les
archives nous apportent sans cesse des informations nouvelles. Les Russes
lisaient à livre ouvert leurs adversaires, alors que l'inverse n'était pas
vrai. Mais il est vrai aussi que le système mental des chefs soviétiques
aboutissait souvent à lire ces informations à contresens. [...] Churchill ne
s'était pas trompé sur ce qui se passait en réalité. Le 5 mars 1946, il
prononçait à l'Université de Fulton, dans le Missouri, un discours dans lequel
il disait : "De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l'Adriatique,
un rideau de fer est descendu à travers le continent." Dean Acheson,
principal conseiller de Truman, disait au Président des États-Unis le 27
février 1947 : "Si les Russes font un pas de plus, nous ne pourrons
plus les arrêter… Après la Turquie, ce sera la Grèce, l'Italie… Quant à la
France, les Russes n'ont qu'à secouer la branche à l'heure qu'il leur plaira
pour récolter le fruit. Avec quatre communistes au gouvernement, dont un à la
Défense nationale, avec des communistes à la tête des administrations..., la
France est mûre pour tomber sous la coupe de Moscou." De Gaulle
parlera de son côté, à Rennes, le 27 juillet, d'un " bloc de près
de 400 millions d'hommes dont la frontière n'est séparée de la nôtre que par
500 km... " [...] Au début de 1947, le gouvernement américain
suspendit la démobilisation et amorça un réarmement. On craignait tant une
guerre que le gouvernement anglais lui-même, pourtant très conscient des
limites de ses forces, décida, le 21 mai 1947, le rétablissement du service militaire
obligatoire. [...] La prise de conscience de la menace soviétique sur ces deux
pays [la Grèce et la Turquie] constitua un élément essentiel de la nouvelle
évaluation de la menace de la part des Américains. En outre, Truman, d'abord
très hostile à tout ce qui était activités de renseignement, se rendit compte
peu à peu de l'avance soviétique en ce domaine, et constitua en 1946 le CIG
(Central Intelligence Group), ancêtre de la CIA. Dans ce contexte intervint un
événement décisif. Devant la situation économique catastrophique de l'Europe,
le Secrétaire d'État Marshall, prononça à l'Université de Harvard, le 5 juin
1947, un discours proposant un plan de reconstruction économique de l'Europe,
plan qui devait prendre son nom. En effet, si on laissait la situation
économique se dégrader, on risquait d'aller droit à des troubles majeurs. Le
plan était proposé aussi aux Pays de l'Est. C'était une dernière chance
d'éviter le conflit bipolaire et la scission en deux blocs. Staline hésita à
l'accepter. Mais y souscrire revenait à admettre un certain contrôle des
Etats-Unis à l'intérieur des pays de l'Europe de l'Est. Cela rendrait la
mainmise russe plus délicate. Il le refusa donc. Dès lors, on entrait dans une
phase de radicalisation. Le gouvernement russe décidait de couper tout lien
avec l'ouest, et allait s'engager dans une nouvelle étape du réarmement. [...]
la priorité devait être donnée à l'industrie lourde et à l'orientation vers une
économie liée à la guerre. Il y eut là une orientation décisive. La mainmise
sur les pays d'Europe centrale s'accentua. Celle-ci se traduisit par la prise
en mains à peu près totale des communistes sur la Roumanie, puis sur la
Bulgarie, puis sur la Hongrie, puis sur la Pologne, en attendant la
Tchécoslovaquie l'année suivante. C'est dans ce contexte que se tint, du 22 au
27 septembre 1947, dans la petite station touristique polonaise de Szlarska
Poreba, une réunion secrète des représentants de neuf partis communistes
européens : soviétique, bulgare, hongrois, polonais, roumain, tchécoslovaque,
yougoslave, et en plus français et italien. Nous sommes maintenant renseignés
sur ce qui s'y passa. Il s'agissait d'une reprise en main, par les Russes, de
ces partis communistes, dans l'optique d'une lutte plus accusée contre le
capitalisme. [...] Le monde (dit Jdanov, troisième secrétaire du PCUS) était
maintenant divisé en deux camps absolument antagonistes. Plus aucune alliance
n'était possible avec les autres partis politiques de gauche. Il fallait
combattre à fond le nouvel ennemi : l'impérialisme américain. Ce discours fut
suivi d'une violente diatribe contre les partis politiques français et italien
qui, en s'alliant avec d'autres partis de gauche, avaient cédé au "crétinisme parlementaire" et " oublié "
de prendre le pouvoir en 1944-1945. Ils étaient donc appelés à rentrer dans
l'ordre et à engager la lutte. [...] On passait ouvertement à une situation de
conflit.
2.- La situation française
L'année 1947 a été l'une des années les
plus dures de l'histoire contemporaine de la France. Certains historiens l'ont
appelée "l'année
terrible"; on pourrait dire aussi : "l'année de tous
les dangers". La France se trouvait alors dans une situation très
difficile à plusieurs points de vue. Les premiers problèmes découlaient de
l'état économique et social du pays. La guerre venait de se terminer, et elle
avait laissé un pays partiellement détruit et ruiné. La reconstruction n'avait
pas vraiment commencé, ou du moins on n'en voyait pas les effets. Les
communications demeuraient très aléatoires, le manque d'argent était criant, et
la production était réduite. En outre, l'hiver très dur de 1946-1947 nécessita
d'une part de grandes quantités de charbon, et, d'autre part, détruisit par le
gel une partie importante des récoltes. En un an, les prix de détail
doublèrent. Pour pouvoir continuer à fonctionner, les entreprises publiques
augmentèrent leurs tarifs dans des proportions considérables. [...] La
production s'effondra. [...] La crise toucha l'alimentation elle-même. Comme
durant la guerre, les cartes de rationnement existaient encore, mais elles ne
permettaient d'obtenir que des quantités encore inférieures. [...] On ne
trouvait plus de céréales en France. [...] Les boulangeries furent fermées
d'autorité trois jours par semaine. [...] On était à la merci d'une
catastrophe. Le pays ne vivait plus qu'en achetant des céréales et du charbon
aux États-Unis, utilisant pour cela ses dernières réserves monétaires. Le
déficit de la balance commerciale doublait de 1945 à 1947. Le stock d'or était
presque épuisé : il passa de 1600 tonnes en 1944 à 400 en décembre 1947. On ne
voyait vraiment pas comment le pays pourrait repartir. Tout paraissait coincé
de partout. Le sous-secrétaire d'État américain au Trésor, William Clayton,
envoyé par le Président Truman se rendre compte de la situation en Europe,
reviendra effrayé aux États-Unis. La France, l'Angleterre, l'Italie, sont au
bord de l'effondrement. [...] Dans cette ambiance critique, le moral de la
nation flanchait. On en a de multiples preuves. D'abord, les trafics étaient
considérables et le marché noir plus florissant que jamais. [...] Vincent
Auriol écrivait le lundi 15 septembre 1947: "Ramadier
vient me voir et il reconnaît que la diminution de la ration de pain est grave
et risque de provoquer des conflits même sanglants... Le scepticisme s'est
transformé en profond découragement et même en pessimisme noir... manque de
confiance de la population... Tout le monde est mécontent." La
situation politique intérieure ne facilitait pas les choses. [...] Le 16
janvier 1947 le socialiste Vincent Auriol avait été élu Président de la
République. Le système politique reposait, au début de 1947, sur le partage du
pouvoir entre trois partis : la SFIO socialiste, le MRP chrétien et le Parti
Communiste, qui participait au gouvernement. Les hommes politiques devaient non
seulement tenter de résoudre les difficultés internes, mais aussi externes (en
Algérie, en Indochine, à Madagascar, au Maroc). [...] Devant la nouvelle
politique russe, le parti communiste amorça un virage décisif. Les
parlementaires communistes venaient de voter les crédits militaires. Or, le 18
mars 1947, le propre Ministre de la Défense Nationale, le communiste François
Billoux, refusa de rendre hommage aux combattants d'Indochine, et resta assis à
son banc de ministre. Il s'ensuivit à la Chambre les remous que l'on devine. Le
même jour, Jacques Duclos annonçait que le PCF rejetait la politique
indochinoise de Paul Ramadier. Aussitôt, les grèves commencèrent. Le 25 avril,
les ouvriers de Renault se mettaient en grève contre le blocage des salaires.
Le 1er mai, Maurice Thorez se désolidarisait de la politique salariale du
gouvernement, auquel il participait cependant. La fin de l'année fut terrible.
L'expulsion des communistes du gouvernement par Ramadier, le 5 mai 1947,
officialisa le conflit. Le 2 octobre, au vélodrome d'hiver, Maurice Thorez
déclara que le moment était venu "d'imposer un gouvernement
démocratique où la classe ouvrière et son parti exercent enfin un rôle
dirigeant". Les grèves se déclenchèrent de tous les côtés. On arriva
rapidement à trois millions de grévistes. [...] Les voies ferrées furent
bloquées. La situation économique et sociale se détériora encore. Mais ce qui
fut plus important encore, ce fut la violence du conflit. Des centraux téléphoniques
furent attaqués à Montmartre et Marcadet à Paris, ainsi qu'à Béziers. Le 29
octobre, une véritable bataille rangée opposa les forces de l'ordre aux
militants communistes dans les rues de Paris. Le 12 novembre, la CGT lança une
opération sur la mairie de Marseille dont le maire gaulliste, Me Carlini,
injurié dans les termes "d'Hitler, fumier, saloperie", faillit être
défenestré, et ne dut son salut qu'à sa démission et à son départ en ambulance.
Quelques jours après, le bassin minier du Nord et du Pays de Calais entrait à
son tour en grève. Le directeur adjoint des Houillères, Léon Delfosse,
communiste, prenait la tête du mouvement, et assomma même un non gréviste à
coup de marteau. Puis l'ensemble des bassins miniers, la métallurgie, les
arsenaux, interrompaient le travail. En quinze jours, 97 sabotages furent
commis. Le déraillement provoqué de l'express Paris-Tourcoing, le 3 décembre,
causa 21 morts. Durant cette période, il n'y eut pas moins de 106 condamnations
pénales pour sabotage. [...] L'état d'esprit était au conflit décisif. Le maire
communiste d'une ville ouvrière du Gard témoigne : "Les grèves de 1947
ont été terribles. C'était une lutte armée… Les mineurs avaient gardé l'esprit
maquisard... Nos gars rêvaient toujours à la libération ; ils croyaient que la
révolution allait venir. Pour nous, les responsables du Parti, c'était très
difficile de contenir nos camarades. Ils étaient prêts à tout foutre en
l'air... Les socialistes étaient au ministère. C'était une vraie guerre entre
les socialistes et nous." Tous les ouvriers ne suivaient pas. "On
en arrivait, dit un historien,
à une sorte de guerre civile à l'intérieur de la classe ouvrière". Les
esprits étaient très montés jusque dans les sphères dirigeantes. A la Chambre,
les députés communistes lançaient une offensive verbale extrêmement violente
contre la SFIO et le MRP. Jacques Duclos [...] affirmait que Robert Schuman
(résistant au nazisme) était un "ancien officier allemand, un
boche". [...] De son côté, Léon Blum déclarait : " Le
danger est double, le communisme international a ouvertement déclaré la guerre
à la démocratie française." [...] Claude Mauriac écrit de son côté : "Nous
sommes à la veille d'une totale interruption de la vie du pays, par suite des
grèves, à la veille aussi de la chute définitive du franc ; peut-être d'une
insurrection communiste. Nous connaissons une angoisse proche de celle des
pires jours de l'occupation". Beaucoup d'hommes politiques cessent de
dormir chez eux. [...] Le Cardinal Suhard, archevêque de Paris, écrivait le 25
novembre : "L'ampleur des grèves met en cause la vie même de la nation.
" Un vent de folie, de violence et de peur souffle sur le pays. Tous
les jours, la situation s'aggrave et se tend. Les esprits favorables à
l'apaisement sont rares. [...] Dans cette tourmente, la France eut la chance de
pouvoir compter sur des esprits sérieux et décidés. Ce fut le cas du Président
du Conseil Robert Schuman (1886-1963), qui resta au pouvoir de novembre 1947 à
juillet 1948. Cet homme doux et pacifique avait aussi une forte conviction
intérieure, et il avait décidé de ne pas céder. Dans une autre optique
philosophique, son collègue socialiste Jules Moch (1893-1985) fut Ministre de
l'Intérieur de 1947 à 1950, et il décida lui aussi de résister. On s'achemina
donc vers une véritable politique de défense. Mais elle comportait des risques
d'effusion de sang de tous les côtés. [...] La mobilisation de 80 000
réservistes fut organisée. [...] On fut obligé de dissoudre onze compagnies de
C.R.S. considérées comme peu sûres. [...]
3.- Quelques réflexions
En quelques heures, tout va basculer dans
le sens de l'apaisement et de la paix civile. Maurice Catoire écrit : "A
20 heures (ce mardi 9 décembre 1947), la radio nous annonce la capitulation du
Comité National de Grève et l'ordre donné à tous, dans la France entière, de
reprendre le travail normal." [...] Benoît Frachon, secrétaire général de
la C.G.T., avait eu assez d'influence pour convaincre ses camarades d'arrêter
brusquement le conflit. Que se serait-il passé s'il n'y avait pas eu cette
décision ? Il est difficile de le savoir. Le gouvernement serait passé à
l'offensive sur un certain nombre de fronts, car il ne pouvait plus faire
autrement. Il y aurait eu forcément des affrontements armés. Jusqu'où
auraient-ils été ? Y aurait-il eu une véritable guerre civile ? Cela est assez
probable. Jules Moch lui-même estimait que son plan d'action était "désespéré".
Il ne pensait donc pas la partie gagnée à l'avance. [...] On était donc dans
une perspective de conflit armé. Cette guerre civile ne se serait-elle pas
étendue à l'Italie où le PCI était dans une situation similaire et contrôlait
des régions entières, comme les Marches ? Une seconde chose peut être dite.
Elle concerne un personnage que nous n'avons pas encore fait intervenir dans le
débat. Il s'agit de Dieu. Dieu agit en général dans le monde de deux manières.
D'abord, il soutient et inspire les hommes de bonne volonté. Dans le cas qui
nous occupe, nous rangerions dans cette catégorie Jules Moch, et même Benoît
Frachon, lorsqu'il poussera à l'arrêt de la grève. Puis Dieu agit à travers des
hommes qui le reconnaissent comme leur Seigneur, lui donnent leur vie,
acceptent d'être ses témoins et ses agents dans le monde. Il y en a aussi chez
les hommes politiques et chez les hauts responsables. [particulièrement Robert
Schuman et Edmond Michelet] [...] Le 28 novembre, le général Leclerc a disparu
tragiquement dans un accident d'avion. Toute sa vie, la maréchale Leclerc
considérera qu'il a donné sa vie pour la France et qu'il avait vraiment vécu
une expérience de sainteté. Ses obsèques nationales ont lieu le 8 décembre à
Paris, et émeuvent profondément toute la nation. [...] Cachée dans sa ferme du
hameau des Mouilles, à Chateauneuf-de-Galaure, une mystique dont la cause de
béatification est [...] introduite, Marthe Robin prie pour son pays. Le 8
décembre 1947 au matin, son confesseur, le Père Georges Finet, monte chez elle
et lui dit : Marthe, la France est foutue (sic). Nous allons avoir la guerre
civile. - Non mon Père, répond Marthe. La Vierge Marie va sauver la France à la
prière des petits enfants.
En début d'après-midi, en Touraine, commencent
les événements de L'Ile-Bouchard.
Lundi 8 décembre 1947
Le lundi 8 décembre 1947, à l'Ile-Bouchard, rue Gambetta,
vers 12 h. 50, Jacqueline, Jeannette et Nicole s'en vont vers l'école. Il fait
froid. Un froid sec. Pas de soleil au ciel. Les deux sœurs portent tablier noir
et vareuse marron à poignets noirs. Le pantalon de ski de Jeannette descend
jusqu'aux chevilles. L'aînée a sur la tête une tresse en tissu marron et un
châle en pointe crème, piqué de fleurettes rouges et bordé de vert, noué sous
le menton. La plus petite, une capuche bleue nouée sous le menton également.
Nicole est coiffée, elle, d'un bonnet à trois pièces bleu marine, en laine
tricotée. Par dessus son tablier à carreaux bleus et blancs, une vareuse de
laine, verte, à rayures rouges. Toutes les trois ont chaussé leurs brodequins
d'hiver. En commun elles ont pris le repas de midi chez M. et Mme Aubry (NB Les
jours de classe Nicole déjeune chez ses cousines)Abordant la rue de la Liberté,
à vingt mètres environ de la maison, elles décident d'entrer, sur la
proposition de Jacqueline, dans l'église Saint-Gilles, qui s'élève un peu en
retrait sur la gauche. Souvent, d'ailleurs, les enfants y entrent pour prier,
la grande surtout. Le matin, la religieuse, directrice de l'école, avait invité
ses élèves à prier pour la France. La classe ne commence qu'à 13 h. 30. S'étant
signées avec l'eau bénite, près la grande cuve de pierre, ayant fait la
génuflexion, les enfants montent, non pas l'allée de la nef, mais l'allée du
bas-côté. Devant la statue de Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus dressée contre
le mur nord, derrière l'antique portail, elles s'arrêtent. Debout, elles
récitent un Je vous salue Marie puis vont s'agenouiller sur les premiers
prie-Dieu, à leur droite, côté épître, devant l'autel que domine la statue de
Notre-Dame des Victoires. Jeannette est au bord de l'allée ; Jacqueline près de
l'harmonium ; Nicole, entre elles deux. Pour la fête de l'Immaculée Conception,
célébrée avec moins de solennité que les années précédentes, l'autel est
sobrement décoré. Sur le rétable, de chaque côté du tabernacle vide, deux
bouquets de fleurs en papier : des lys blancs en avant et des roses. Sur le
pavé, à droite et à gauche, deux sellettes portent des phormiums. Un signe de
croix et immédiatement les trois fillettes récitent, sans énoncer d'ailleurs
aucun mystère du rosaire, une dizaine de chapelet, suivie du Gloire au Père et
de l'invocation O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à
Vous. Jeannette seule a son chapelet. Les deux autres comptent les Ave sur
leurs doigts.« Alors, écrira Jacqueline, je vis tout à coup, à ma gauche, entre
le vitrail (NB Ce vitrail représente l'apparition de Notre-Dame de Lourdes. Un
petit médaillon, sous la Vierge, représente l'Annonciation. Ce médaillon, les
enfants ne l'avaient jamais remarqué, disent-elles.) et l'autel, une grande
lumière vive et non éblouissante au milieu de laquelle apparut une belle Dame
se tenant dans une grotte et ayant à sa droite un Ange. » Je pousse du coude
Nicole : « Regarde donc ! » Nicole et Jeannette cherchaient à ce moment, sur
les dalles, le porte-chapelet de la benjamine. Les deux enfants relèvent la
tête. « Oh ! » s'exclament-elles portant simultanément la main devant leur
bouche. Elles regardent stupéfaites. Puis Nicole : « O la belle Dame ! » - « O
le beau Ange ! » « O le beau Ange ! » fait Jeannette qui, joignant les mains,
s'assied sur sa chaise. « O le beau Ange ! »Après quelques minutes, quatre ou
cinq selon leurs dires, elles sortent précipitamment, comme saisies de crainte,
se retournant cependant pour admirer. « Elle y est encore », dira Jeannette, au
fond de la nef de la Sainte-Vierge. Les enfants sont dans la rue. Elles
communiquent la nouvelle à Monique Clément, une amie, et l'invitent à venir
voir. « Je n'ai pas le temps », répond Monique qui va faire une course. Au
détour de la rue, voici d'autres compagnes de classe, Sergine et Laura Croizon,
deux sœurs. Elles aussi ont leur tenue habituelle d'écolière. Laura porte un
tablier gris et une vareuse bleu marine foncée. Sur la tête une capuche en
croisé retombant en forme de grand col sur les épaules. Le fond crème foncé est
orné de ramages d'un rouge lourd. « Vous ne savez pas ? On a vu une belle Dame
dans l'église. »« Allons voir ». La troupe s'engouffre sous le vieux portail
roman. On se dirige immédiatement vers le bas-côté. Et l'on marche très vite, «
si même on ne court pas ». Jacqueline, Nicole et Jeannette, du fond de la nef,
aperçoivent le merveilleux spectacle. A la hauteur de la statue de
Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus, la petite Laura, qui fonçait tête baissée,
levant alors les yeux s'écrie : « Je vois la belle Dame et un Ange ! » Les
fillettes s'approchent. Elles s'arrêtent, « en tas », debout, devant le premier
rang de prie-Dieu. « Tu la vois la belle Dame ? » glisse Jacqueline à Sergine.
« Non, je ne vois rien. » Nicole : « Mais dans le coin, là, devant toi. »
Sergine ne verra pas. A toutes, la dame souriait, diront celles qui voyaient ;
spécialement à Jeanne la benjamine. Heureuses, muettes, sans se lasser elles
regardent. Voici d'après leurs témoignages - des témoignages plus ou moins
explicites, s'entre-éclairant, se complétant les uns les autres, se renforçant
- comment peut être décrite l'apparition. Nous citons volontiers
leurs mots. Nous rassemblons les détails qu'elles ne précisèrent pas tous
en ce premier jour mais seulement au fur et à mesure qu'elles eurent le loisir
d'observer mieux ou de parler davantage au cours de la semaine et même plus
tard. Les dimensions, qu'elles ne surent donner que par comparaisons,
nous les exprimons ici en chiffres. A cette analyse minutieuse les enfants
n'avaient point songé. Il fallut, au nom d'une curiosité exigeante peut-être,
mais légitime, leur poser maintes questions. Tout est lumière, « grande lumière
», « vive », « brillante », « éclatante » mais non éblouissante. La Dame est «
belle », « gracieuse », « élégante ». « Elle paraît jeune ». Son âge ? « Seize
à dix-sept ans ». Sa taille ? « Comme Mademoiselle Vallée », soit 1m.63. Son
visage ? « brillant », « joli », aux traits réguliers, « allongé ». Son teint ?
« blanc rosé ». Son front ? « moyen » un peu plus pâle que les joues. Ses yeux
? « bleus ». Ses sourcils ? « comme un trait ». Le nez ? « fin et long »,
il faut traduire effilé. La bouche ? « petite », au lèvres fines et à peine
entr'ouvertes ». Le menton « arrondi ». Ce visage livre une âme. Sa beauté est
faite de « bonté », de « douceur », deux mots qui reviennent sans cesse. Il
respire « le bonheur ». Il y a du « sourire d'un enfant » dans son très discret
sourire. Ici les fillettes touchent l'inexprimable. Sur la tête un voile blanc
« non transparent » d'une étonnante blancheur. Toutes les couleurs de la terre
leur paraissent d'un pâle éclat auprès des couleurs qu'elles voient. Sous le
voile, au sommet du front apparaissent « quelques cheveux blonds ». « Ils
forment pointe » et semblent « commencer une raie ». En longues « boucles anglaises
», ils retombent « par devant », « jusqu'aux genoux » à peu près. Le voile de
la Dame couvre les oreilles, cache les épaules et descend « sans raideurs »,
largement ouvert, jusqu'au bas de la robe. Il est orné en bordures - des
bordures « ondulantes » - de légers motifs brodés que les enfants, sur demande
expresse, ont pu dessiner. Ce sont, alternant, des S superposés, de 0 m.06
environ, l'un au naturel, l'autre inversé. (Note : Un historien local a fait
remarquer que l'on retrouve cette décoration du voile dans les vieilles
dentelles tourangelles du XVIe et du XVIIe.) La robe « brillante » est aussi «
d'une étonnante blancheur ». A partir de la taille, elle va s'élargissant,
formant sur les pieds « nus » qui sont apparents par devant, de nombreux « godets
». Des bandes d'or, « brillant », larges de 0 m. 02, semble-t-il, bordent « le
col arrondi, juste au bas du cou » et les manches vagues qui dégagent nettement
le poignet. En ceinture un ruban « bleu ciel » « un peu foncé », large de 0 m.
12, « noué sur le côté gauche ». Les deux pans étalés s'écartent et descendent
jusqu'à hauteur du genou « à peu près ». Elles sauront parfaitement le
reconstituer tel quel. Une brise dont elles ne sentent pas le souffle le fait «
trembler », « voltiger » légèrement. Dans la pose liturgique traditionnelle -
ici le geste des enfants - la Dame joint sur la poitrine ses deux mains « bien
droites, au milieu ». Les doigts sont longs et fins. « Oh ! elles étaient
jolies ses mains ! » A son bras droit est passé un long chapelet dont le
crucifix « grand comme le vôtre, ma Soeur » (NB C'est le crucifix que portent à
leur chapelet les soeurs de Sainte-Anne de la Providence, de Saumur.) et la
monture sont d'or brillant, dont les « gros grains » « pas lisses », renflés,
sont eux aussi « très blancs », « d'une étonnante blancheur » et « brillants
».Tout autour, émanant d'Elle, « une lumière jaune-or », immobile, dont le
rayonnement affleure, déborde même ici ou là l'embrasure de la grotte « sauf
sous les pieds ». Cette grotte, malgré les aspérités de son seuil, a
sensiblement la forme d'une baie à plein-cintre. Sa hauteur ? 2 mètres environ
; sa largeur ? « comme cette porte-ci ». La porte a 0 m. 65. La Dame est
légèrement détachée de l'âpre fond qui apparaît derrière Elle, « doré ». Sur l'intense
lumière qui inonde la cavité, les enfants insistent beaucoup. Les pieds de la
Dame sont posés sur une « grosse pierre » régulière, « rectangulaire », d'un «
brun marron » comme le rocher. Le brun marron clair du faux-bois « un peu comme
ce buffet ». Par devant, sur la surface unie qui accuse l'épaisseur - 0 m. 15
environ - une tige porte, très proches les unes des autres, cinq roses « d'un
joli rose » plutôt foncé, mais sans parfum. La plus grosse au centre, « la plus
lumineuse » a le volume du poing de Jacqueline. Les autres, dont la grosseur
progressivement décroît, suivent approximativement la courbe d'une
demi-ellipse. Chaque extrémité de la tige s'incurve soudain, ramenant vers les
foyers une feuille dont la pointe s'appuie sur le dessus de la pierre. Entre
chaque rose d'ailleurs, des feuilles. Un dessin de la « guirlande » sera
exécutée sur leurs indications Au dessous, sur le rocher même, en deux lignes
sensiblement parallèles à la courbe formée par les cinq roses, cette invocation
dont les lettres peuvent avoir 0 m. 07, d'un « or brillant », « brillant comme
les bordures de la robe et du voile » : O
Marie conçue sans péchés, priez pour nous qui avons recours à vous. A 0
m. 40 ou 0 m. 50 sur la droite de la Dame et à une quinzaine de centimètres
plus bas qu'Elle, la contemplant, un Ange, genou droit au sol, buste dressé.
Son « beau » et « fin » visage de profil porte une vingtaine d'années. Œil «
bleu » « plutôt grand », nez effilé, bouche « petite ». Des anglaises blondes
descendent sur ses épaules, se partagent sur la poitrine et dans le dos. Par
devant, elles recouvrent l'avant-bras gauche dont la main est posée « sur le
coeur », en diagonale, le pouce uni aux doigts. La main droite, fermée, serre
une tige de lys blancs. Trois fleurs sont ouvertes, deux de profil, celle du
milieu de face ; trois boutons la terminent. Cette tige, droite, qui porte
quelques feuilles et dont l'extrémité apparaît sous le poing fermé, peut avoir
0 m. 40 environ. Jeannette en montrera un jour une semblable, l'éclat en moins.
L'Ange a des ailes blanches, « couleur de lumière » et dorées au pourtour. De
proportions modestes : l'arrondi du sommet ne dépasse pas le cou ; la pointe
rejoint le talon droit que l'on devine sous la robe. Elles sont faites de
« petites plumes », « très fines », « brillantes partout », qui vibrent sous
l'imperceptible brise. Sa longue robe sans ceinture est d'un « blanc rosé ». Le
col est arrondi comme celui de la Dame ; mais les manches moins ouvertes que
les siennes. C'est une description admirative, que font les fillettes de
l'Ange. Le tressaillement des fines plumes sur les ailes provoque encore leurs
exclamations. Sur un fond de lumière, sans qu'apparaisse le roc derrière lui,
il se détache, lumière lui aussi, éclairant vivement la voûte assez étroite qui
le domine, la pierre plate sur laquelle il est posé et quelques blocs alentour.
De cette pierre à la voûte il y aurait 1m.30 à peu près. Sa hauteur,
agenouillé, serait de 1 m. 10 environ. Le rocher léger qui porte les deux
personnages ne touche pas le sol : Du côté de l'épître en effet la sellette de
bois et le tombeau de l'autel sont en partie visibles. Dans ses contours un peu
flous, il se découpe ainsi sur les murs de l'église : Base à peu près
rectiligne « à la hauteur de cette table-ci », soit 0. m 75 au-dessus du
dallage ; sommet plutôt « arrondi » ; côté gauche « ébréché » ; côté droit «
plus ébréché » encore. Sa largeur entre le meneau du vitrail et la statue de
Notre-Dame des Victoires est de 3 m. 25 ; sa hauteur approximative, de 3 m. 50.
La Dame se trouve presque dans l'angle nord-est du chœur, un peu à droite
cependant, vers l'autel, les pieds à 1 m. 15 du sol. Joue sur les pierres une
riche gamme de nuances brunes. Selon la lumière diffusée par la Dame et par
l'Ange : une vive clarté au centre et sur la gauche, des clartés atténuées vers
le sommet, des ombres de plus en plus accusées sur la droite, c'est-à-dire vers
l'autel. Pour les enfants, l'ensemble forme un tout lumineux. Un quart d'heure
peut-être elles contempleront. Elles s'étaient agenouillées et avaient récité
une dizaine de Je vous salue Marie, et 3 fois l'invocation : O Marie conçue
sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous. La Dame avec elles avait
prié, le pouce faisant glisser les grains blancs du chapelet sur l'index
immobile. On n'entendait pas sa voix. Ses lèvres cessaient de remuer pendant le
Sainte-Marie. Il en sera ainsi durant toute la semaine. On n'entendra pas
davantage la voix de l'Ange dont les lèvres au cours des Ave - des Ave
seulement - remueraient aussi. A toutes, encore, Elle sourit. Puis, « dans une
espèce de poussière lumineuse », progressivement, l'apparition s'évanouit. «
Elle est partie. Elle ne va peut-être plus revenir », dit Laura. Et Sergine qui
n'avait rien vu : « Allez, venez : c'est peut-être le diable ! » Immédiatement,
Jacqueline et Jeannette suivies de Nicole se dirigent vers la rue Gambetta
porter l'heureuse nouvelle à la maison : « Maman, on a vu une belle Dame ! »
Mme Aubry ne veut rien entendre. Elles sortent. Près d'une voisine, Mlle
Grandin, sur le seuil de sa porte, elles s'épanchent puis reviennent à la
pâtisserie. Cette fois Mme Aubry se fâche. Il faut aller en classe. Devant
l'église, Sergine et Laura attendaient. En arrivant sur la cour de l'école
libre Saint-Gilles, rue de Beauvais, où jouent les compagnes, Jacqueline aborde
Sœur Marie de l'Enfant-Jésus : « Chère Sœur, on a vu la Sainte-Vierge ! » - «
Vous avez vu la Sainte-Vierge ? Ne dites pas cela ! » - « Si, ma Soeur »,
riposte Jeannette. - « Et que vous a-t-elle dit ? » - « Rien ! on l'a regardée.
» - « Vous n'avez pas eu peur ? » - « Un petit peu au commencement mais pas
après. » « Elle était si belle ! » Aussitôt un attroupement pour écouter la
conversation. A ce moment, Monsieur le Doyen, venu exceptionnellement à
l'école, à pareille heure, sortait de la petite classe avec la directrice.
Jacqueline Cornu s'approche et lance : « A Saint-Gilles il y a des apparitions.
» Et cinq ou six élèves venus à la rescousse, insistent : « Jacqueline Aubry a
vu la Sainte-Vierge ! » Comme le chanoine Ségelle et Sœur Léon de la Croix,
appelée par tous à l'Ile-Bouchard Sœur Saint-Léon, se moquent d'elles, les
fillettes s'éloignent tandis que Jacqueline, ose s'approcher : « Oui, Monsieur
le Curé, j'ai vu une belle Dame à l'église. » - « Tu es folle », cingle Sœur
Saint-Léon. Et le doyen : « Tu as vu double à travers tes grandes lunettes. »
Mais Jacqueline ne se démonte pas : « Je ne suis pas la seule à l'avoir vue,
nous sommes quatre : Nicole Robin, Laura Croizon et ma petite soeur Jeanne. »
Le prêtre et la religieuse restent sceptiques, intrigués cependant : « C'est
drôle. » Après un instant de réflexion, ils convoquent séparément, dans la
classe d'où ils sortent, les quatre prétendues voyantes : Jacqueline d'abord,
Nicole ensuite, puis Jeannette, enfin Laura. Les récits sommaires concordent
évidemment. Les enfants parlent avec assurance. Même Jeannette qui a vaincu son
excessive timidité et sa crainte de Sœur Saint-Léon. A la directrice ironique
qui lui disait, à propos de la ceinture bleue, qu'une si belle dame devait être
à la mode des cols rouges et des gants rouges, elle a répondu frappant du pied
et scandant énergiquement de l'avant bras : « C'est pas vrai », « Bleue ! Bleue
! Bleue ! ». Laura, quelque peu embarrassée dans ses descriptions, prend des
comparaisons. Elle donne ainsi des détails précis sur les ailes de l'Ange qui «
ressemblaient à celles qu'avaient mises les missionnaires » aux fillettes,
l'année précédente, à Saint-Maurice, avec cette différence que celles de l'Ange
étaient bordées de « jaune ». Le doyen, par tempérament, aime le positif. Il a
en outre 73 ans. Il n'entend pas attacher grande importance à cette affaire. Il
s'en va. Comme c'est la fête de l'Immaculée Conception, en passant devant les
écolières groupées sur la cour il leur recommande, sans faire la moindre
allusion à la prétendue apparition, « d'être sages et de bien aimer la
Sainte-Vierge ». Puis il sort : « Demain il ne sera certainement plus question
de cette histoire », dit-il. « Les fillettes ne tarderont probablement pas à se
vendre », a ajouté la Sœur. Le signal d'entrer en classe est donné. Jacqueline
s'est approchée à nouveau de la directrice : « O Chère Sœur, si vous saviez
comme la Dame était belle ! » Impatientée, sentant les yeux des grandes braqués
sur elle, la directrice répond : « Puisqu'elle était si belle, à ta place je
serais restée à l'église. » Et elle tourne le dos. La fillette prend la Sœur au
mot et au lieu de rester à la répétition de chant sort, entraînant avec elle
Nicole, Laura et Jeannette. En courant, les enfants arrivent au coin de la rue
de la Liberté. Malheur ! Monsieur le Doyen est là, causant, avec le pharmacien
sur le milieu de la chaussée. La petite troupe rebrousse chemin.
Astucieusement, par les ruelles et la rue de Madagascar, on vient déboucher sur
la Grand Rue, à 20 mètres au delà du doyen qui, heureusement, tourne le dos. Et
les fillettes entrent à nouveau dans l'église. Il peut être 13 h.50.
Dès le milieu de la nef latérale, les enfants aperçoivent
la Dame. « Elle nous attend », dit Laura.Toutes s'approchent de la Sainte-Table
et restent debout, émerveillées. Rien n'a changé depuis une heure ! Même rocher
avec la Dame et l'Ange dans la lumière. Silencieuses, elles ne songent même pas
à prier. La Vierge a un visage toujours plein de bonté mais il est voilé de
tristesse. Soudain Elle parle. Lentement. D'une voix douce. Appuyant sur chaque
mot : « Dites aux petits enfants de prier pour la France, car elle en a grand
besoin » (NB Certaines ont dit : «qui en a grand besoin») Il y eut une courte
pause après « France ». Jacqueline glisse alors à Laura et à Jeannette : «
Demandez-lui donc si Elle ne serait pas notre Maman du Ciel ? » Laura commence,
Jeannette suit, sur le ton naturel d'une conversation : « Madame, est-ce que vous
êtes notre Maman du Ciel ? » La Dame les regarde et leur sourit : « Oui, je
suis votre Maman du Ciel. » Aux deux derniers mots, Elle élève les yeux. Alors
Jacqueline qui s'enhardit : « Quel est l'Ange qui vous accompagne ? » L'Ange
tournant vers elle la tête, d'une voix plus forte que celle de la Dame, mais
douce, d'une voix indéfinissable qui n'a ni le timbre d'une voix féminine ni
tout à fait celui d'une voix masculine, dit, lentement, souriant : « Je suis
l'Ange Gabriel » (NB Pas plus que sur le type de sa voix elles ne seront fixées
sur le type de son visage.) Puis il reprend sa contemplation. Dorénavant,
toujours Il sera de profil. De l'index droit levé à la hauteur du menton, sous
la joue droite, la Dame, lentement, fait signe aux enfants d'approcher. Puis
Elle étend vers elles, en l'abaissant, le bras qu'Elle avait levé, la paume en
avant. « Donnez moi votre main à embrasser. » Les fillettes n'ont plus de
crainte. Jacqueline s'approche la première, se hausse sur la pointe des pieds.
La Dame a retourné sa main et l'a placée horizontalement. Sur l'index couché,
la grande a posé l'extrémité de ses doigts. Très lentement, la Dame, dont la
tête se penche, porte les doigts de l'aînée à ses lèvres. Vers la deuxième
phalange de l'index, du médius et de l'annulaire, elle pose doucement un baiser
silencieux. C'est le tour de Nicole. La Dame se penche un peu plus. Laura et
Jeannette sont trop petites. Spontanément, Jacqueline les soulève sous les bras
et les élève, sans aucun effort, l'une après l'autre. Toutes les quatre dans
leur émotion ont senti, au contact avec leur main droite, et la douceur de la
peau et la tiédeur des lèvres de la Dame. La Vierge s'est redressée. Les
fillettes sont toujours debout à ses pieds. « Revenez ce soir à 5 heures et
demain à 1 heure. » Puis dans un nuage de « poussière d'argent », elles disent
encore : de « buée brillante », la Dame et l'Ange ont disparu en même temps.
Les enfants étaient restées 8 à 10 minutes. En sortant de l'église, Jacqueline
d'abord puis Laura et Jeannette, s'aperçoivent que reste sur leurs doigts un
ovale blanc. C'est la trace du baiser. « Dépêchons-nous, dit l'aînée, la chère
Sœur sera bien obligée de nous croire cette fois-ci. » Hélas, à proximité de
l'école, les marques qu'elles regardent attentivement, s'effacent les unes
après les autres. Déception ! L'accueil, en première classe, fut froid :
Reproches pour l'absence ; questions ironiques : « Eh bien ! qu'est-ce que vous
avez vu ? des plantes vertes ? des pierres ? » et après le rapide exposé de
Jacqueline et de Nicole, devant les compagnes attentives : « C'est bien !
maintenant vous n'avez plus qu'à travailler, car vous avez un quart d'heure de
retard. » C'était jour de composition, les deux « voyantes » se mirent très
simplement à leur tâche. La directrice était cependant quelque peu troublée.
Dans la soirée elle priait son adjointe, Sœur Marie de l'Enfant-Jésus, qui
n'avait pas osé se montrer sévère pour Laura et Jeannette, d'interroger ses
deux élèves tandis qu'elle-même décidait de faire rédiger séparément à
Jacqueline et à Nicole, vers 16 h.15, leur travail terminé, un récit des
événements.Oralement, les deux petites ne se contrediraient pas. Les grandes
non plus, dans leurs narrations simples et brèves, 23 lignes pour l'aînée, 16
pour sa cousine (NB Ces deux feuilles de papier écolier seront les premiers
documents écrits. Les plus précieux.) Les quatre ont fait des récits
concordants.
16 h. 30 : l'heure de la sortie. « Tu ne restes pas au
salut ? » a dit Jacqueline à sa cousine. Mais Nicole, qui habite à 2 km. 500,
croit devoir rentrer chez elle. Mme Aubry, chez qui elle s'arrête au passage,
l'écoutera sans la croire. Elle l'encouragera finalement à gagner « le Pont ».
Quant à sa benjamine, qu'elle ne croit pas davantage, elle la gardera à la
maison. Mme Croizon, de son côté, gardera Laura. Le récit de Sergine ne l'a pas
convaincu non plus : « C'est vrai ou ce n'est pas vrai », a-t-elle simplement
répondu. Laura ira rejoindre peu après Jeannette à la pâtisserie. Et les deux
fillettes parleront ensemble de la belle Dame et de l'Ange. Jacqueline qui
fréquente l'étude assistera donc seule au salut de 5 heures. Pour la fête de
l'Immaculée Conception, la messe a été célébrée à l'autel de la Sainte-Vierge.
C'est là que doit être donnée la bénédiction du Très-Saint-Sacrement, après le
chapelet. Les fidèles se sont groupés dans la nef latérale. La fillette se
trouve au bord de l'allée, au côté de l'Évangile, près de la marche de la
chapelle Sainte-Anne. Pendant la cinquième dizaine, la Dame apparaît,
Jacqueline ne l'a pas vue arriver. La Vierge lui sourit. De l'index droit, Elle
lui fait signe d'approcher. Jacqueline, pour implorer du regard la permission
de se déplacer, tourne la tête et cherche dans l'assistance Sœur Saint-Léon.
Elle l'aperçoit enfin derrière elle, du côté de l'épître. « Moi qui croyais
qu'elle allait me dire « Oui », je la regardai toujours mais au bout d'un
moment, elle me fit les gros yeux. » L'enfant retourna alors la tête. La Dame
n'était plus là. A ce moment, la clochette annonçait l'arrivée du
Très-Saint-Sacrement que portait Monsieur le Doyen venant du maître-autel.
Après la bénédiction, comme le prêtre entonnait, O Marie conçue sans péché,
priez pour la France, la Dame et l'Ange réapparaissent dans la lumière. Nouveau
regard suppliant de Jacqueline « vers la chère Soeur qui n'avait pas l'air
contente ». « Alors, je me dis, il ne faut pas que je lui dise car elle va me
disputer. » « Est-Elle là ? » « La vois-tu » lançaient à voix basse les
fillettes qui se trouvaient à proximité ; on a leurs noms. Jacqueline ne
répondait pas. La cérémonie terminée, Sœur Saint-Léon fit sortir la gent
écolière donnant l'ordre de rentrer immédiatement chez soi. Puis, revenant vers
son élève restée agenouillée à sa place : « Quand on prétend voir la Sainte-Vierge
on ne tourne pas la tête à l'église. »« Chère Sœur, la Dame est là. Elle nous
regarde. Que faut-il faire ? » « Mais où est-Elle ? » « Voyons, vous la voyez
bien, chère Sœur, Elle est là », et de la main de Jacqueline montrait le
phormium. La religieuse interloquée hésite, puis conduisant la fillette près de
l'harmonium, elle récite avec elle des Je vous salue Marie.L'enfant a les yeux
fixés sur l'angle nord-est du chœur. Vers la fin de la deuxième dizaine, elle
dit : « Chère Sœur la Sainte-Vierge est partie. » La Dame et l'Ange s'étaient
estompés dans le nuage de poussière d'argent qui se dissipa. Aucune parole
n'avait été prononcée.Pendant ce temps, plusieurs enfants revenaient
furtivement dans le fond de l'église « pour voir » ce qui se passait. Afin de soustraire
Jacqueline aux questions des personnes restées sur la place, Sœur Saint-Léon
conduisit la grande jusqu'au coin de la rue, puis revenant à l'église, elle
alla trouver le doyen à la sacristie.En la voyant celui-ci lui dit : « Alors,
rien de nouveau ? L'affaire est close. La nuit va venir. Demain ce sera fini !
»« Mais non ! Cela continue. » Et la Sœur raconte ce qui s'est passé depuis
13h.45. Apprenant que la Dame doit revenir le lendemain à 1 heure, le chanoine
Ségelle réagit avec vivacité : Il lève les bras au ciel : « Nous n'en sortirons
plus ! » « Demain à 1 heure je fermerai la porte de l'église et personne ne
pourra entrer. » La Sœur, dont le scepticisme faiblissait, n'approuve pas la
décision. Toutefois, pour s'y conformer, elle interdira aux enfants d'aller à
l'église à 13 heures. Chez elle, Jacqueline rapporte en détail les faits à sa
mère, à sa mère seulement. Mme Aubry, qui sait que sa fille ne ment pas
d'ordinaire, est de plus en plus intriguée. Au Pont, Nicole a raconté - elle
aussi à sa mère seulement - l'apparition de la Dame. Devant les réponses qui
lui furent faites : « Ce n'est pas vrai ! » « Vous êtes folles ! » la peu
loquace Nicole n'insista pas. Le soir, le chanoine Ségelle, écrivant pour
affaires à un vicaire général de Tours, ne jugeait pas même utile de signaler
les événements auxquels il n'attachait que peu d'importance.
Les apparitions de
l'Ile Bouchard, suite
Mardi 9 décembre 1947
Sœur Saint-Léon a porté son
interdiction, ce matin, dans la première classe. Plusieurs élèves se sont
récriées, osant lui dire en face « qu'elle n'avait pas le droit » de faire
cette défense aux voyantes. Jacqueline et Nicole étaient d'ailleurs absentes à
ce moment, par une rouerie de la Sœur elle-même qui, de plus en plus troublée,
abandonnait au doyen seul la responsabilité de les laisser se heurter à la
porte close. A 12 h. 50, M. le chanoine Ségelle prend la clé de l'église et
descend de bon train la grand nef. Brusquement, devant la chaire, il se ravise
et fait demi-tour. Il ne saura trop justifier réflexivement le mobile précis de
sa volte-face. Quand les quatre fillettes arrivent, peu après, la porte est
ouverte. Elles entrent. Mais les trois amies qui les accompagnent, Sergine
Croizon, Armelle et Jacqueline Robin (NB Armelle et Jacqueline ne sont pas
parentes de Nicole.) n'osent, par obéissance, les suivre. Elles attendront
dehors. Jacqueline leur promet d'intercéder pour elles près de la Dame. Le
petit groupe s'est dirigé vers l'autel de la Sainte-Vierge, a dépassé la
Sainte-Table, s'est agenouillé et récite des Ave. Soudain, apparaît une vive
lumière. Une « boule très brillante » de 0 m. 80 environ de diamètre s'ouvre.
Un « rideau d'argent » en un instant se déploie et s'étend entre le meneau du
vitrail et Notre-Dame des Victoires, montant légèrement vers la statue. Pas un
pli sur la surface lisse dont les côtés sont rectilignes. En relief, le rocher
lumineux de la veille. La grotte est déplacée cependant, de peu, vers la
verrière très près encore de l'angle nord-est. L'Ange aujourd'hui est à la
gauche de la Vierge. Dans la même attitude de contemplation respectueuse.
Toutefois le lys est dans sa main gauche. C'est sa main droite qui est posée
sur la poitrine ; son genou gauche qui touche la pierre. Au-dessus de sa tête
la voûte est plus haute et surtout plus large que celle du lundi. Il est plus
avancé sur le seuil. Le rideau d'argent fait fond derrière lui. La «meilleure
en dessin », Nicole a laissé un enfantin croquis de ce tableau. L'ensemble doit
avoir les mêmes proportions que la veille. En bas, la sellette du phormium et
le tombeau de l'autel restent en partie visibles. Le tabernacle à droite n'est
pas caché. Plus d'anglaises sur la robe de la Dame. Les cheveux sont ramenés en
arrière. A peine apparaissent-ils « au-dessus des yeux, au-dessus des tempes et
derrière le cou ». Sur la tête le voile est « un peu plus avancé », laissant
néanmoins « le front dégagé ». Des majuscules ordinaires de 0m.08 environ, d'un
or éclatant, disposées en courbe légère, moins accentuée qu'un demi-cercle,
forment sur la poitrine, un mot que les enfants ne peuvent lire parfaitement, à
cause des mains jointes : MA....CAT. Une énigme pour elles. Sous les roses,
remplaçant l'invocation du lundi, ligne unique incurvée : Je suis l'immaculée
conception.
Les deux personnages
irradient encore les mêmes vives lumières. Souffle toujours sur la ceinture et
sur les ailes une brise. Ainsi se présentera maintenant l'apparition. La Dame
avec son sourire qui découvre à peine l'ivoire de quelques dents, un sourire «
doux comme celui d'un enfant », regarde les quatre fillettes. Elles, La
contemplent dans l'admiration. Puis Jacqueline interroge : « Madame, est-ce que
je peux faire entrer mes amies ? » « Oui ». « Mais elles ne me verront pas. »
Jacqueline, seule, entend les derniers mots. Les quatre enfants aussitôt
gagnent la porte. A ce moment s'avance sous le portail Mme Trinson, une voisine
des Aubry et des Croizon, que les écolières sur la place n'avaient pu arrêter.
Jacqueline communique la réponse de la Vierge : « Vous pouvez entrer. Mais vous
ne la verrez pas. » Quand la troupe revient, la Dame n'est plus là. Dès les
premiers Ave, Elle réapparaît. « Oh ! La voilà! » De l'index, comme hier, Elle
fait signe, souriante, et dit : « Embrassez la croix de mon chapelet. » Puis
ayant étendu la croix d'or, du creux de la paume à l'extrémité du médius, Elle
avance sa main droite. Jacqueline se lève, se hausse sur la pointe des pieds et
embrasse le Christ d'or, nettement saillant, sous la pancarte d'or qui porte
l'inscription : « I.N.R.I. » Après elle, et comme elle, Nicole. L'aînée, bras
tendus, élève Laura et Jeannette. Son aisance déconcertante frappe Mme Trinson
qui l'invitera, le soir même, à renouveler le geste, son mari présent.
Jacqueline ne pourra que soulever péniblement à quelques centimètres du sol ses
jeunes compagnes. D'autres feront la même expérience plus tard. Le résultat
sera le même. Les quatre fillettes sont maintenant à genoux. Avec une
impressionnante lenteur la Dame fait alors sur elle un large signe de croix.
Les enfants l'imitent. L'Ange reste immobile. Et dix Je vous salue Marie sont
récités, sans Pater ni Gloria, avec l'invocation O Marie conçue sans péché,
priez pour nous qui avons recours à vous. La Vierge est devenue triste.« Je
vais vous dire un secret que vous pourrez redire dans trois jours : « Priez
pour la France qui, ces jours-ci, est en grand danger. » Et après une pause : «
Allez dire à Monsieur le Curé de venir à 2 heures, d'amener les enfants et la
foule pour prier. » Jacqueline regarde Mme Trinson : « La Sainte-Vierge demande
la foule, où donc la prendre ? » « Ne te tourmente pas, les petites et moi nous
la commençons. » La douce voix semblant enchaîner : « Commencez le Je vous
salue Marie.» Voyantes et assistantes égrènent dix Ave suivis de l'invocation :
O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous. La Dame
est redevenue souriante. « Dites à Monsieur le Curé de construire une grotte,
le plus tôt possible, là où je suis ; d'y placer ma statue et celle de l'Ange à
côté. Lorsqu'elle sera faite, je la bénirai. » Les mots « là où je suis » ont
été articulé avec plus de force. « Revenez à 2 heures et à 5 heures. » Puis la
Vierge et l'Ange disparaissent, semblant s'enfoncer dans le mur tandis que le
rideau d'argent se referme. « Oh ! la belle boule ! » s'exclament les
fillettes. La boule s'est évanouie. Par la sacristie, les quatre gagnent
aussitôt le presbytère pour passer l'ordre de la Dame. « On était contentes,
nous disant : « Il va la voir ». Le doyen, qui lit son bréviaire, entend, par
la fenêtre ouverte de son bureau, au premier étage - il fait beau - le groupe
joyeux dans le petit jardin du levant. Mais il ne se montre pas. Elles entrent
dans la cuisine : « Mademoiselle Camille, on a vu la Sainte-Vierge ». Et elles
donnent l'heure du rendez-vous fixé par la Dame à Monsieur le Doyen et à la
foule : 2 heures. Mlle Camille monte et transmet le message. L'heure indiquée
fait sursauter le doyen qui répond d'un ton assez bref : « Deux heures ? C'est
l'heure de la classe, qu'elles aillent en classe... et qu'elles obéissent aux
maîtresses. » Profondément déçues, elles retournent à l'église où Mme Trinson
les réconforte de son mieux : « Ce n'est pas de votre faute. Obéissez. La
Sainte-Vierge ne vous punira pas. Revenez à 5 heures. »Une dernière prière en
commun et les sept enfants regagnent l'école. En arrivant, Jacqueline pleure.
Sœur Marie de l'Enfant-Jésus lui demande pourquoi ? A la réponse de la
fillette, elle réplique sans plus de façon : « La Sainte-Vierge est au-dessus
de Monsieur le Curé, il faut lui obéir. » Mais Jacqueline rétorque dans les
larmes : « Monsieur le Curé ne veut pas ; je n'irai pas. » Nicole, Laura,
Jeannette se taisent. (Note : Nous maintenons ici une correction qui nous
avait été apportée dès la parution de l'opuscule, en 1951, par Sœur Marie de
l'Enfant-Jésus, aujourd'hui missionnaire à Madagascar. Voici comment il
faudrait lire ce paragraphe : « Jacqueline pleure dans la cour, toutes ses
compagnes sont « autour avec Sœur Marie de l'Enfant-Jésus qui lui demande pourquoi
elle pleure. A sa réponse ses compagnes lui disent : « La Sainte Vierge est
au-dessus de M. le Curé, il faut lui obéir ». Sœur Marie de l'Enfant-Jésus
prend la parole : « Oui, la Sainte Vierge est au-dessus de M. le Curé mais
aujourd'hui, Jacqueline, il faut obéir à M. le Curé ». Et les compagnes
continuent : « A deux heures tu iras ». « Non puisque Monsieur le Curé ne veut
pas, je n'irai pas » répondit Jacqueline ».) Sœur Saint-Léon est présente. Elle
écoute le récit de l'apparition. Naturellement elle se range à l'avis du
pasteur, et refusera de reconstituer le mot incomplet écrit sur la poitrine de
la Dame. Les écolières, qui entourent les voyantes, sont, elles, de l'autre
parti, contre Monsieur le Curé. Quand, une heure plus tard, Sœur Saint-Léon, en
classe, accrochera son chapelet au coin de la première table et que les grains
s'éparpilleront sur le sol, nombreux seront les sourires moqueurs, peut-être
sarcastiques. Et Annie Martineau, le soir, dira en rentrant, devant les clients
de la boulangerie paternelle : « C'est bien fait pour elle. » La soirée
cependant se passe normalement. Les fillettes ne paraissent plus tristes. Elles
travaillent comme à l'habitude. Dans la ville, la nouvelle des événements se
répand. C'est jour de marché. Mme Robin, venue du Pont, découvre alors
seulement, l'ampleur prise par l'affaire.
A 16 h. 30, Jacqueline
interroge Nicole comme la veille. Mais pas plus aujourd'hui qu'hier, Nicole ne
viendra à 5 heures. Elle craint la nuit et plus encore les reproches maternels
en cas de retard. Elle rentrera chez elle. Elle rentrera triste d'ailleurs. En
route, elle pensera à l'apparition. Volontiers elle serait restée. Les trois
autres sont à l'église, au premier rang, près de l'harmonium. Elles ne sont
plus seules. Il y a une vingtaine d'enfants et une vingtaine de grandes
personnes. Mais ni Monsieur le Curé ni les Sœurs. Tandis qu'on récitait la
première dizaine du chapelet, à 5 heures, car la Dame est d'une exactitude
rigoureuse, la boule apparaît. Le rideau se développe. La Vierge et l'Ange sont
là. Jeannette prend peur et s'écrie : « La Dame va m'emmener, je ne verrai plus
maman. Je veux retourner chez nous. » La benjamine évoque alors les paroles de
sa mère, agacée, qui lui a dit à midi - elle le regrettera bientôt - pour la
dissuader de retourner à l'église : « Ce n'est pas la Sainte-Vierge que tu
vois, c'est le diable. Si tu retournes à l'église à 5 heures « la belle dame »,
comme tu dis, t'emmènera, et tu ne me verra plus. » Jacqueline qui avait aperçu
dans l'église son frère Jacques - 14 ans - lui fait signe d'emmener sa sœur.
Cachant son visage de l'avant-bras droit, Jeannette, par la basse nef, s'en va.
Comme à regret ! A trois reprises elle se retourne rapidement, regarde, joint
les mains. Jacqueline et Laura affirmeront que la Sainte-Vierge la suivait des
yeux et lui souriait. « Chantez le Je vous salue Marie, ce cantique que j'aime
bien », dit la Dame qui a fait signe aux deux enfants d'approcher. Et tandis
qu'elles chantent, agenouillées maintenant à ses pieds, la Dame continue de
sourire. Selon l'habitude en la paroisse, les deux fillettes ont ajouté : O
Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous, par trois
fois. Tour à tour, sur elles et sur l'assistance recueillie, se pose le
bienveillant regard, dans le silence. « Dites à la foule d'approcher pour
réciter une dizaine de chapelet. » Jacqueline s'exécute : « Faut que vous
approchiez. » Dames et enfants sont maintenant près de la Sainte-Table, debout.
C'est la Vierge elle-même qui ajoutera à la dizaine d'Ave, récitée par tous,
sans Pater ni Gloria, l'invocation O Marie conçue sans péché. La foule entend
seulement les deux fillettes répondre : Priez pour nous qui avons recours à
Vous. Trois fois. « Madame, faudra-t-il revenir ? Viendrez-vous encore demain ?
» demande Jacqueline. « Oui, revenez tous les jours à 1 heure. Je vous dirai
quand tout sera fini. » Et très lentement la Dame bénit l'assistance. Comme le
prêtre à la fin de la messe, Elle trace, devant Elle, un signe de croix. Puis
Elle ramène posément sa main droite, rigoureusement verticale, au milieu de la
poitrine, et la fait glisser, en descendant, contre la gauche, restée immobile,
un peu plus bas. Ce dernier mouvement frappe les fillettes qui n'ont jamais vu
le prêtre l'accomplir. Jacqueline et Laura se signent. C'est fini ! La grotte
s'est effacée. Le rideau s'est replié. La boule brillante semble s'être
enfoncée dans le mur. L'apparition était là depuis dix minutes. Vers 5 h. 30 le
doyen est informé. Aussitôt il prévient l'Archevêché.
Mercredi 10 décembre 1947
M. Aubry apprend seulement
ce matin à 11 h. 30, au café, de camarades gouailleurs, la fameuse nouvelle. Il
s'en émeut. Enervé, il rentre à la maison pour se fâcher tout rouge contre sa
femme et ses deux filles. Jacqueline est même giflée. Après le repas de midi,
lourd de silence, son aînée, sur le conseil de sa maman, monte le trouver à la
chambre où il se repose. Elle passe les bras autour de son cou et l'embrasse :
« O papa ! » Le père regrette déjà sa colère : « Qu'est-ce que j'ai fait ! Qu'est-ce
que j'ai fait ! » Quand il redescend peu après, il est calme. Sa femme lui
raconte tout. En l'écoutant, il essuye une larme. Les fillettes étaient alors
parties. Bientôt la mère les rejoindra. Cent cinquante personnes environ, dont
Mme Croizon, attendaient dans l'église. Plusieurs désirant avoir une voyante
près d'elles, les ont prises par le bras. Ainsi les quatre se trouvent bientôt
assises dans les premiers rangs, au milieu de la foule, séparées les unes des
autres. Soudain, simultanément, elles se lèvent : « La voilà ! » La boule
brillante était survenue. Le rideau d'argent s'était développé. Le rocher, la
Dame et l'Ange étaient en un instant devant leurs yeux dans la vive lumière.
Les quatre s'avancent et s'agenouillent en biais, sur la marche de l'autel.
C'est la Dame, souriante, qui parle : Chantez le Je vous salue Marie. » Les
voix s'élèvent. Elles sont, elles seront toujours justes, fraîches, vibrantes.
La Vierge à nouveau sourit. Récitation de dix Ave. Suit le Gloire au Père, au
Fils et au Saint-Esprit. La Vierge s'incline. Puis l'invocation : O Marie
conçue sans péché, par les enfants. Et l'index appelle. Et la Dame parle de
nouveau : « Baisez ma main. » L'avant-bras droit est un peu relevé. Les doigts
sont abaissés, presque perpendiculairement au sol. Les enfants reconstituent
facilement la pose. Jacqueline s'est approchée et a posé son baiser. Puis
Nicole, Laura et Jeannette ont été, une fois encore, élevées par la grande avec
une étonnante facilité. Et plusieurs dans la foule entendirent le bruissement
de leurs lèvres. Les enfants affirmeront avoir senti la douce chaleur de la
main. Alors, de Nicole, cette question suggérée par la réflexion piquante de
Sœur Saint-Léon : « Faire une grotte ! En quoi donc ? Tu n'avais qu'à lui
demander comment la faire ? » « En quoi faudra-t-il la faire la grotte que vous
avez demandée hier ? » « En papier pour commencer. » Mme Aubry interpelle
Jacqueline. Quand sa grande est près d'elle, à la Sainte-Table, elle lui dit :
« Demande à la Sainte-Vierge de faire un miracle pour que tout le monde croie ?
» Jacqueline revient s'agenouiller et tout haut :« Madame, voulez-vous faire un
miracle pour que tout le monde croie ? » Avec douceur et lenteur, comme
toujours, la Dame répond : « Je ne suis pas venue ici pour faire des miracles
mais pour vous dire de prier pour la France. » « Mais demain vous y verrez
clair et vous ne porterez plus de lunettes. » « Je vais vous confier un secret
que vous ne direz à personne. » « Promettez-moi de le garder ? » « Nous vous le
promettons. » La Dame n'a plus l'air aussi grave. Elle ne sourit pas cependant.
Sa confidence est brève. Elle a parlé « gentiment », pour reprendre
l'expression de Jeannette. Les enfants, mains jointes, écoutent. Le secret est
le même pour toutes. La Vierge dit enfin : « Revenez me voir demain à la même
heure. » « Nous vous le promettons. » Elle disparait. Il est environ 1 h. 1/4.
La foule a entendu les paroles des enfants. Elle n'a pas entendu la Dame, elle
ne l'entendra jamais. Cette fois, le doyen a écouté de la sacristie. Il a même
risqué un regard à travers les fentes de la porte. Les Sœurs l'accompagnaient.
Du secret confié, les enfants ne parleront jamais. Du moins devant les autres.
En vain, certains essaieront de l'arracher. Un soir M. Aubry demandera affectueusement
à Jeannette de le lui livrer à lui « son papa », « à qui elle doit obéir » - «
Quand même je voudrais te le dire, je ne pourrais pas, çà s'arrêterait là » lui
répondit la petite, s'étreignant à la gorge. D'autres lui offriront une poupée,
un billet de mille francs, une bicyclette ; ils n'obtiendront rien. Un jour
certains osèrent dire à Laura que, devant un fusil chargé, elle cèderait bien.
L'enfant baissa la tête et simplement : « Eh ! bien vous me tueriez. »
Pouvez-vous le dire à Monseigneur l'Archevêque ? Non. Au pape ? Non ! - La
Vierge ne manquerait pas de leur indiquer, ont-elles dit depuis, ce qu'alors
elles devraient faire.
Jeudi 11 décembre 1947
Au reveil, Jacqueline refuse
l'eau tiède avec laquelle chaque matin il faut lui décoller les paupières. Elle
affirme voir parfaitement. M. Aubry veut vérifier son dire. A plus d'un mètre
de distance, l'enfant lit le journal présenté. L'expérience lui paraît
concluante. Il ne doute plus maintenant ( - Examen ophtalmologique de
Jacqueline, en date du 23-10-46, avant les apparitions : Léger strabisme
externe de l'oeil droit. Après correction : OD (0° - 0,50) + 0,5 V = 10/10. OG
(0° - 0,75) + 1 V = 10/10. Examen du 5-2-48, après les apparitions : Léger
strabisme externe de l'oeil droit. Sans verre : V OD et OG = 10/10. Avec la
correction prescrite en 1946 : V OD = 2/10 - V OG = 3/10. A l'ophtalmomètre :
astigmatisme vertical de 0,50 dioptrie à chaque oeil. Au périmètre : déviation
de l'oeil droit de 10°. Fonds d'yeux normaux.) L'affaire fera du bruit. On
parlait déjà beaucoup des événements à l'Ile-Bouchard et dans les environs.
Naturellement les opinions variaient. Ce matin même, vers 10 heures, Nicole
revenant du catéchisme était interpellée : « Ta mère devrait te faire soigner
», lui lançait une femme narquoise. Imperturbable, la fillette répond : « Je
mange bien, je dors bien, je ne suis pas malade. » « Alors, pourquoi vas-tu
prier devant un mur ? » - « Je ne suis pas folle, riposte la fillette, si je ne
voyais rien, je n'irais pas prier devant un mur ». Et l'enfant continue sa
route. Ce calme, cette assurance tranquille des « voyantes » déconcertaient.
Mme Aubry, craignant pour ses filles un sommeil agité, avait voulu coucher près
d'elles. Elle avait dû constater, dans ses insomnies, que Jacqueline et
Jeannette dormaient profondément. Comme à l'ordinaire aussi Nicole et Laura
reposeront. A la maison, à l'école, dans la rue, les quatre enfants n'avaient
rien perdu de leur simplicité. Avec leurs compagnes, qui les défendaient
volontiers, elles travaillaient, jouaient, étaient espiègles à l'occasion. De
l'aventure elles ne tiraient nulle vanité et demeuraient discrètes. Surtout la
concordance de leurs récits inattendus et qui ne variaient pas, étonnait.
D'autant plus qu'elles étaient très différentes de tempérament. On ne disait
déjà plus autant que dans les premiers jours : « Elles sont folles », « elles
ont eu la berlue », « c'est un bateau ». Certaines objections osées tombaient
aussi devant les faits : Les hésitations connues du doyen ne permettaient pas
d'affirmer avec autant d'assurance : « C'est une comédie montée par les curés
». Et l'absence notoire de Sœur Saint-Léon aux apparitions rendait grotesque
l'hypothèse émise de la religieuse faisant du cinéma, cachée derrière l'autel.
Restait la thèse de l'emprise exercée sur les enfants par quelque sorcier : «
Elles sont certainement travaillées », affirmait-on ; et celle de
l'hallucination ; et celles des influences religieuses, « du bourrage de crâne
». Le bourrage de crâne ? des parents dont les enfants fréquentes l'école libre
le nient formellement. Dans les nombreuses conversations, il ne fallait pas
chercher des récits d'une méticuleuse précision. Si l'on en juge par des notes
prises peu après, on entremêlait facilement par exemple les événements des
divers jours. L'essentiel cependant était respecté. Sans doute, vite et sans
contrôle rigoureux, certains s'étaient emballés. Il y en avait peu. On parlait
même de dévotes exploitant déjà l'affaire. Beaucoup restaient prudents. Sans
avoir nécessairement la légendaire prudence de l'Église. Dans les propos tenus,
la charité ne fut pas toujours sauve : tels parents, telles fillettes eurent à
souffrir de réflexions pour le moins désobligeantes. Mais, dans l'ensemble, on
discuta sans acharnement. Malgré tout, deux constatations s'imposaient : on ne
prenait plus les « voyantes » à la légère, et chaque jour augmentaient les
préjugés favorables. Chaque jour aussi augmentait le nombre des assistants à
l'église. Quand les quatre enfants arrivent peu avant 13 heures, en ce jeudi, à
Saint-Gilles, elles ne trouvent plus de prie-Dieu. Elles doivent venir tout
près de la Sainte-Table. Deux cents personnes au moins occupent la nef de la
Sainte-Vierge. M. Aubry, entraîné par un camarade, est dans la foule. Le doyen,
pour la première fois aussi, est là, agenouillé sur le degré supérieur du
maître-autel, au côté de l'épître, tourné vers les enfants. Derrière lui, sur
les marches de l'autel Saint-Laurent, près de la sacristie, la supérieure et
les deux religieuses de la paroisse. La veille, il a décidé d'accord avec Sœur
Saint-Léon, de faire poser deux questions à la Dame. D'abord : « D'où nous
vient cet honneur que vous veniez dans l'église Saint-Gilles ? » puis au cas où
nulle réponse ne serait faite : « Est-ce en souvenir de Jeanne Delanoue qui
vous aimait tant, qui aimait tant vous prier à Notre-Dame des Ardillers et qui
est venue elle-même établir ses filles ici » (NB Jeanne Delanoue, fondatrice
des Soeurs de Ste-Anne de la Providence de Saumur, avait été béatifiée le 9 novembre
1947.) Le papier sur lequel la religieuse a écrit les deux demandes, sous la
dictée du pasteur, a été remis à Jacqueline.
A 13 heures, la Dame et
l'Ange ! Dans une lumière plus vive encore que celle des jours précédents! Les
enfants s'approchent. Elles s'agenouillent sur la marche de l'autel, formant
une ligne légèrement incurvée. Dans l'ordre de gauche à droite : Laura,
Jeannette, Nicole, Jacqueline.« Chantez le Je vous salue Marie » dit la Vierge
souriante. Les enfants, de tout coeur, chantent. Jacqueline devançant un peu
ses compagnes dans l'intonation, comme il lui arrive de les devancer dans les
réponses. « Priez-vous pour les pécheurs ? » « Oui, Madame. » Elles récitent
dix Je vous salue Marie, suivis de l'invocation : O Marie conçue sans péché. La
foule prie avec elles. Avec elles aussi, mais pendant les Ave seulement, comme
à leur habitude, la Dame et l'Ange. Sur un signe de Monsieur le Doyen,
Jacqueline prend son papier et lit :« D'où nous vient cet honneur que vous
veniez en l'église Saint-Gilles ? » « C'est parce qu'il y a ici des personnes
pieuses et que Jeanne Delanoue y est passée », a répondu aussitôt la Dame.
Jacqueline poursuit sa lecture, bien que la deuxième question soit inutile. «
Est-ce en souvenir de Jeanne Delanoue qui vous aimait tant, qui aimait tant
vous prier à Notre-Dame des Ardillers ? » « Oui, je le sais très bien »,
interrompt la Vierge, inclinant la tête. « Et qui est venue elle-même établir
ses filles ici », achève l'enfant. « Combien y a-t-il de Sœurs ici ? »
interroge la Dame. « Elles sont trois », répond Jacqueline d'une voix forte. «
Quel est le nom de leur fondatrice ? » Toute l'assistance entend : «
Jeanne Delanoue ! » Jeannette, ignorante sur ce point, avouera n'avoir pas
répondu avec les autres. Les enfants regardent la Vierge dont les yeux sont
posés sur elles. C'est Jacqueline qui rompt le silence : « Madame, voulez-vous
bien guérir ce qui ont des maladies nerveuses et des rhumatismes ? » (NB
Nombreuses étaient les personnes qui venaient charger Jacqueline de demandes
diverses qu'elle devait adresser à la Dame.) « Il y aura du bonheur dans les
familles... » « Voulez-vous chanter maintenant le Je vous salue Marie ? » «
Nous le voulons bien. » Et elles chantent, toujours avec le même entrain ;
tandis que la Vierge sourit et lève parfois les yeux vers le ciel. « Est-ce que
Monsieur le Curé va construire la grotte ? » « Oui, Madame, nous vous le
promettons. » « Revenez demain à 1 heure. » « Oui, Madame, nous reviendrons
demain. » « O Marie conçue sans péché », a dit la Vierge. « Priez pour nous qui
avons recours à Vous », achèvent les enfants. Et la grande croix de la
bénédiction est tracée sur la foule. Les fillettes se signent « très, très
lentement ». A leur surprise, la Dame ramène, exactement comme la première fois,
sa main droite près de la gauche restée immobile sur la poitrine. Pas plus
qu'hier l'Ange ne s'est signé. Intriguées, elles demanderont plus tard pourquoi
? L'apparition a disparu. Elle était sous leurs yeux depuis treize minutes. Les
quatre se rendent alors à la sacristie et livrent à Monsieur le Doyen et aux
Sœurs l'enchaînement des demandes et des réponses dans la mystérieuse
conversation. L'après-midi, continueront les tracasseries. Mme Aubry recevra
d'abord l'offre qui lui fera Mme X... d'une visite médicale pour Jacqueline. «
Ce n'est pas une visite mais quatre qu'il vous faut payer », répondra-t-elle, «
car elles sont quatre à voir la même chose ». Puis surviendra la maréchaussée.
L'un des deux gendarmes défendra à la grande de retourner à l'église. «
Monsieur, si vous voyiez ce que j'y vois vous y retourneriez. » Mme Aubry
conclura l'entretien : « Elle a commencé d'y aller, elle y retournera jusqu'au
bout. » A 17 heures, plusieurs personnes se rendront à Saint-Gilles. Une jeune
fille malade, de Saint-Épain, viendra même demander sa guérison. Mais la Dame
n'a pas convoqué les fillettes pour ce soir.
Vendredi 12 décembre 1947
Du fond de la classe,
Jacqueline a copié, sans ses lunettes, l'énoncé du problème inscrit au tableau
noir, à 4m.50. Sœur Saint-Léon est de plus en plus troublée ; cependant, à la
récréation de 10h.30, elle prend la grande dans le couloir. « Tu n'as pas
bientôt fini tes comédies ? » « Quelles comédies, chère Sœur ? » « Mais celles
de faire croire à tout le monde que tu vois la Sainte-Vierge, toi et les
autres, de faire venir la foule tous les jours à 1 heure ! Je commence à en
avoir assez. Si tu continues tu vas jeter le discrédit sur l'école. » « Oh !
non, chère Sœur, je ne joue pas la comédie. Mais Monsieur le Curé et vous, vous
ne voulez pas me croire. » Jacqueline a des larmes dans les yeux. Pourquoi ? se
demandent en effet les fillettes. Sœur Marie de l'Enfant-Jésus leur a dit que
c'était peut-être « pour les éprouver » ou « par prudence », au cas d'une
intervention possible « du diable ». Jeannette avait déjà répondu quelques
jours plus tôt : « Le diable ne peut pas se faire aussi beau que ça. »
Jacqueline répondra aujourd'hui : « Oh ! chère Sœur, c'est pas vrai, c'est pas
le diable : Je suis trop contente quand je la vois et puis elle est si belle,
elle a des yeux si doux. » Nicole n'est pas épargnée non plus par la directrice
: « Est-ce vrai que la Dame a demandé la grotte en papier ? Je ne peux pas
croire cela. » « Aussi redemande lui donc demain, tu me diras ce qu'elle te dira.
Puis tu lui demanderas s'il faut laisser l'autel ? » Ni les unes ni les autres
ne manqueront le rendez-vous de 13 heures à Saint-Gilles. Et, comme
chaque jour, elles arriveront ensemble : Jacqueline, Nicole et Jeannette ayant
l'habitude d'appeler Laura au passage.
Trois cents personnes au
moins sont à l'église - certaines depuis midi - la plupart dans la nef de la
Sainte-Vierge archicomble. Le doyen a repris sa place de la veille. A
l'autel Saint-Laurent : la Supérieure et Sœur Marie de l'Enfant-Jésus. Sœur
Saint-Léon est cette fois derrière l'autel où se cachent aussi, pour mieux voir
sans être vus, le docteur et Mme Tabaste. Trois prêtres voisins de
l'Ile-Bouchard sont là : MM. les Curés de Parçay-sur-Vienne et de Saint-Épain,
M. l'Aumônier du « Temple ».Les fillettes sont agenouillées coude à coude sur
leur marche. Comme elles regrettent la solitude des premiers jours ! A 13
heures : La boule ! Le rideau ! La Dame et l'Ange ! Phénomène nouveau.
S'épanouit derrière la tête de la Vierge une auréole qui scintille avec
vivacité. De longs croissants de 0,27 cm. environ, d'une lumière
extraordinaire, fusent aux bords du voile, commençant à la hauteur des
oreilles, les pointes relevées. Ils sertissent presque complètement le haut du
visage. Cinq de chaque côté : le premier est d'un marron-rouge, le deuxième
rose, le troisième vert, le quatrième jaune, le cinquième rouge. Ils s'insèrent
presque, sans se toucher cependant, les uns dans les autres. Au-dessus du
front, entre les deux derniers qui ne se rejoignent pas, jaillissent, pareils à
des aigrettes qui seraient faites de rayons vibrants, deux faisceaux, d'une
intense lumière bleue, qui se séparent au sommet. Les enfants sont en
admiration. Et leurs yeux vont et viennent sur la gerbe de couleurs. Des couleurs
dont elles rediront sans hésiter, et dans l'ordre, les noms. (Note : Les
enfants n'ont jamais prononcé le mot « auréole » qui correspond cependant à
leur description, elles disaient « arc en ciel », un « arc en ciel » dans
lequel, d'après leur remarques, il n'y avait « pas de violet ». Cette auréole
n'avait pas la forme ronde que l'on retrouve ordinairement dans l'iconographie,
elle évoquait plutôt la forme d'une coquille.) Après un échange de mots à voix
basse entre Jacqueline et Nicole, la Dame a dit, souriant : « Chantez le Je
vous salue Marie. » Les enfants obéissent. Elles égrènent ensuite une première
dizaine d'Ave, auxquels répond la foule, et achèvent l'invocation que, par
trois fois, la Dame a ajoutée : O Marie conçue sans péché. « Rechantez le Je vous
salue Marie. » « Oui, Madame. » « Comment ? » fait Jacqueline. « Voulez-vous
rechanter le Je vous salue Marie ? » de la même voix lente et douce. « Nous le
voulons bien », répondent les quatre voyantes qui le commence aussitôt et le
font suivre trois fois de l'invocation. Maternelle, la Dame s'est inclinée.
Elle a fait son signe d'appel et redit, comme hier : « Baisez ma main. »Comme
hier et dans le même ordre, les enfants ont porté leurs lèvres sur les doigts
de la Vierge. La foule que surprend toujours l'aisance de Jacqueline élevant
chaque petite « comme une poupée », remarque que c'est au même point de
l'espace au-dessus des feuilles de phormium que les enfants posent leur baiser.
Sur la poitrine de la Dame il est aisé de lire pour les fillettes : « Magnificat », bien que la main gauche
soit posée sur le cœur. « Priez-vous pour les pécheurs ? » « Oui, Madame, nous
prions. » « Bien. Surtout priez beaucoup pour les pécheurs. » Et c'est une
nouvelle dizaine d'Ave suivie de l'invocation dite encore trois fois par les
fillettes. Jacqueline demande alors : « Madame, voulez-vous guérir cette jeune
fille ? » Il s'agit de la malade de Saint-Épain présente dans l'Église. «
Si je ne la guéris pas ici, je la guérirai ailleurs. » « Oh ! Madame,
voulez-vous guérir une personne très pieuse ? » La Vierge ne répond pas. « Elle
demeure à Angers. » (NB Jacqueline se souvient fort bien du nom de la personne
qui la chargera de cette requête.) Alors la Dame, triste : « Je ne suis pas
venue ici pour faire des miracles mais pour que vous priiez pour la France. »
Et la Bénédiction lente tombe sur tous. Les enfants font leur signe de croix.
Les grands murs blancs de l'église sont maintenant devant elles. L'impression
de M. le chanoine Ségelle est aujourd'hui - comme celle de la Supérieure -
moins bonne qu'hier. Il eut aimé moins de mouvements et plus de recueillement
dans les yeux. Le Dr Tabaste, lui, reste surpris des mots échangés tout bas et
des regards de Nicole vers sa cachette. Devant le rôle prépondérant de
Jacqueline, il s'en va disant : « J'ai l'impression que c'est l'aînée qui mène
la danse. » Beaucoup par contre, sont bouleversés et convaincus.
Questionnées, les fillettes répondront qu'elles ont été frappées surtout par
l'incroyable splendeur de l'auréole. La grande n'a pu s'empêcher d'exprimer son
émerveillement : « Tu vois l'arc-en-ciel, Nicole ? oh ! comme c'est joli ! » -
« Oui, c'est brillant ! » répondra, toujours concise, la cousine. Sans se faire
prier elles rapporteront leur brève conversation. Au presbytère elles subissent
maintenant leur premier interrogatoire. Et, de plus en plus, à l'Ile-Bouchard
et dans la région on se passionne pour les apparitions.
Samedi 13 décembre 1947
L'impression plutôt défavorable de Monsieur le Doyen
n'est pas dissipée. Il restera à la sacristie avec les Sœurs, aujourd'hui.
Quatre confrères sont là qui pourront observer à sa place : deux pères
montfortains, le curé de Crouzilles et le curé d'Avon. De plusieurs lieues à la
ronde, dès midi, piétons, cyclistes, automobilistes arrivent. La mère de Nicole
vient pour la première fois. De Richelieu, le Dr Ranvoizé. Le nombre des
présents dans l'église ? Il oscille, selon les évaluations. A coup sûr il n'est
pas inférieur à cinq cents. Cette foule sera constamment recueillie et priera.
Les fillettes sont devant la Sainte-Table, tour à tour agenouillées ou assises.
Sans tourner la tête, elles récitent le chapelet avec la foule. Très
simplement, sans contention apparente. Deux fois Jacqueline, qui s'avouera émue
ce jour-là, parlera à sa cousine. Nicole, qui a regardé son aînée, va
s'agenouiller sur la marche de l'autel ayant Jeannette à sa gauche et Laura à
sa droite. La critique du Dr Tabaste a blessé la grande. Non, elle ne mène pas
la danse ! Pour le prouver, elle ne suivra pas ses compagnes, mais restera un
mètre environ derrière elles, en retrait, vers la gauche, genoux nus sur le
pavé. Avec ensemble les quatre ont levé la tête. Nulle raideur dans leur
attitude. Elle regardent au-dessus du phormium, comme toujours. Laura parfois
semblera se désintéresser de ce qui se passe ; les autres sont attentives,
immobiles, les deux sœurs surtout. Jeannette a la tête renversée en arrière, «
le cou cassé », selon l'expression du terroir. Leur visage sans pâleur est
calme, empreint cependant d'une certaine gravité. Le naturel de leur attitude,
leur simplicité, leur attention frappent tous ceux qui les voient bien et ne
cesseront de frapper le Dr Ranvoisé en particulier. « Chantez le Je vous salue
Marie », a dit encore dans son sourire, en arrivant, la Dame, qui n'a plus sa
multicolore auréole. Les quatre voix s'élèvent, timides d'abord. Elles prennent
de l'assurance. L'ensemble comme toujours est juste, les voix agréables. Quand
elles se sont tues : « Commencez par le Je vous salue Marie. » « Oui, Madame. »
C'est la première dizaine d'Ave et l'invocation habituelle à Marie conçue sans
péché. Puis le silence. Tendant un bouquet d'œillets roses, Jacqueline élève la
voix. « Madame, voici des fleurs ! » La Vierge se penche, sourit et d'un petit
signe de croix, avec son habituelle lenteur, silencieusement les bénit. « Oh,
Merci ! » S'égrène la deuxième dizaine d'Ave suivie encore de l'invocation
trois fois dite par les enfants. La foule répond. Puis un nouveau silence
qu'interrompra bientôt le chant du Je vous salue Marie. Et le silence encore.
Et une nouvelle dizaine d'Ave que la Dame fera suivre elle-même de l'invocation
: O Marie conçue sans péché. « Priez pour nous qui avons recours à Vous » ont
répondu trois fois ensemble les enfants. « Madame, implore alors Jacqueline,
faites donc un miracle. » « Plus tard ! » Les Ave reprennent - quatrième
dizaine - suivis de la triple invocation par les fillettes, du chant du Je vous
salue Marie et de la triple invocation encore. Que se passe-t-il à ce moment ?
Jacqueline incline la tête, la relève, fait un signe de croix et s'incline à
nouveau. Nicole regarde sur sa droite la nappe de l'autel. C'est alors,
probablement, qu'elle demande à voix basse : « Madame, quand on fera la grotte,
faudra-t-il laisser l'autel à côté ? » « Oui, laissez l'autel à côté. » Elle
seule entendra la réponse. « O Marie conçue sans péché », disent à nouveau
trois fois les enfants ; la foule achève. Après la dernière dizaine d'Ave, la
Dame est intervenue. La foule entend les enfants qui, simultanément, par trois
fois, répondent : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Elles se sont
tues. Bientôt leur chant repart : Je vous salue Marie, toujours aussi naturel,
les voix aussi sûres. Personne n'ose unir sa voix à leurs voix. Elles ont
répété : O Marie conçue sans péché ! trois fois, se sont levées et ont fait
leur signe de croix. C'est fini ! Avant de partir la Dame a dit : « Je
reviendrai demain pour la dernière fois. » Les prêtres ont immédiatement
escorté les deux aînées au presbytère et les ont interrogées séparément.
Jacqueline garde toujours son air souriant. « Ses yeux et sa physionomie ne
trahissent ni le trouble, ni la crainte, ni la timidité, ni l'impatience. Ses
réponses sont rapides et précises. » Elle ne se gênera pas cependant pour dire
ensuite que, parmi les interrogateurs, elle n'aime pas du tout celui qui,
cherchant à l'embrouiller, invente tel détail ou tel geste qu'elle n'a jamais
vu. Elle n'aurait pas cru les prêtres « menteurs ». Nicole est toujours aussi
paisible. Elle ne semble pas bouleversée. Sa mémoire est fidèle. Dans ses
affirmations, on ne la fera pas varier. Les deux fillettes ont dit les mêmes
choses. Dehors, la foule s'écoule. Le nombre de convaincus s'est accru.
L'impression de Monsieur le Doyen, aujourd'hui, est bonne.
Dimanche 14 décembre 1947
Le temps est sombre. Des cars, des autos, des bicyclettes
encombrent la petite place Saint-Gilles et les rues avoisinantes. De l'Anjou
même et de la Vienne on accourt. A midi l'église est presque remplie.
Plusieurs, refusant d'aller déjeuner, sont restés après la grand'messe de 10 h.
30. Pour faire place à la foule, les visiteurs les plus décidés sortent de
nombreuses chaises et des bancs. La chaire est prise d'assaut. Des grappes
humaines s'accrochent à des échelles doubles. On monte sur les stalles, jusque
sur l'accoudoir des prie-Dieu, sur des planches derrière le maître autel, sur
l'autel même de Saint-Laurent que l'on a, à la hâte, recouvert d'étoffes. Les
nefs, la tribune, le chœur, le sanctuaire, tout est noir de monde. Beaucoup
cependant ne pourront pas entrer. Il y a deux mille personnes peut-être à
l'intérieur. De nombreux curieux. Tous les parents des voyantes sont présents.
Dans le brouhaha, une voix a commencé le premier chapelet. Vite le silence
s'est fait. La multitude prie, et chante les Gloria Patri. De suite un
deuxième, puis un troisième sont égrénés. Des gens qui n'ont pas prié depuis
longtemps à l'église récitent tout haut des Ave. L'attente dans une telle
ambiance en impressionne déjà beaucoup. Pendant ce temps, les quatre fillettes
sont arrivées dans la cour du presbytère : Jacqueline en manteau gris foncé,
son foulard sur la tête ; Nicole en manteau gris clair, portant un béret bleu ;
Laura en manteau bleu marine avec une calotte blanche et Jeannette en manteau
gris foncé et béret bleu marine. Calmes, souriantes, elles parlent entre elles
et avec Sœur Marie de l'Enfant-Jésus, attendant que le doyen ait achevé son
repas. A 12 h. 50, par la porte de la sacristie, elles entrent dans l'église,
conduites par Sœur Saint-Léon qui leur fraye péniblement un passage, enjambant
même des bancs. Jacqueline porte un bouquet d'arums, Nicole un bouquet
d'œillets roses, Laura un bouquet de violettes de Parme, Jeannette un bouquet
de roses. Ces fleurs leur ont été remises pour être offertes à la Dame. Suivent
sept prêtres, le maire de l'Ile-Bouchard, le Dr Tabaste, puis la Supérieure des
religieuses et Sœur Marie de l'Enfant-Jésus. Sur des prie-Dieu, légèrement en
avant de la Sainte-Table, face à l'autel de Notre-Dame des Victoires, les
enfants s'agenouillent. Nulle émotion apparente chez elles, sauf peut-être chez
Jacqueline un peu pâle. Elles se mêlent à la récitation du quatrième chapelet,
dont Monsieur le Doyen dira lui-même les derniers Ave. Dans le silence, à 13
heures, tandis que Laura murmure : « la voilà ! » ensemble elles se lèvent et
s'approchent de l'autel. Comme hier, sur le gradin, Nicole est au milieu ; mais
Jeannette aujourd'hui est à sa droite et Laura à sa gauche. Toutes les trois
agenouillées sur le tapis. Jacqueline sur le pavé encore, en retrait, du côté
de l'épître. Elles regardent au-dessus du phormium. Pas un instant ne faiblira
leur attention. Pendant 35 minutes, Jeannette, qui semble porter les yeux
légèrement plus à droite que les autres, restera immobile, la tête renversée «
à m'en donner mal au cou pour elle », diront plusieurs témoins proches, tentés
d'aller la soulager. La Dame et l'Ange étaient là, « plus beaux encore que
d'habitude », sur le rocher, dans la lumière, devant le rideau d'argent sans plis.
La Vierge les regardait. La bonté de son regard, la douceur de son sourire,
l'élégance de son attitude, la grâce qui émanait d'Elle, dégageaient leur
inexprimable charme. Un charme qu'il aurait fallu rappeler inlassablement à
chacune des apparitions évoquées dans ces pages pour rendre rigoureusement le
témoignage des enfants. L'Ange, dans sa splendeur, dans son recueillement, les
ailes palpitantes comme chaque jour ! « Chantez le Je vous salue Marie. »
Silencieuse, la foule écoute les fillettes. « Récitez une dizaine de chapelet.
» A leur cadence normale, c'est-à-dire sans lenteur, les quatre, tout haut,
prient. Près d'elles, un prêtre fera tomber un siège, elles ne broncheront pas.
Devant elles, le même encore tendra un tabouret, elles ne broncheront pas.
Comme toujours, cependant elles entendent nettement les bruits dans l'église. «
Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit », ajoutent-elles. Ce sera la seule
fois aujourd'hui. La Dame s'est inclinée. La foule répond, comme elle a répondu
aux Ave, comme elle répondra aux troix invocations qui suivent : O Marie conçue
sans péché. Le lourd silence retombe. Jacqueline et Nicole se sont approchées
l'une de l'autre. Elles lisent ensemble sur le même papier une requête de leur
curé, très ému aujourd'hui : « Madame, nous vous demandons de bénir Monseigneur
l'Archevêque, ses 25 années d'épiscopat, Monseigneur l'Evêque de Blois (NB
C'est l'année du Jubilé épiscopal de S. Ex. Mgr Gaillard. Son Ex. Mgr Robin a
été l'élève de M. le chanoine Ségelle, jadis, à Amboise.), les deux paroisses,
les écoles libres, la mission du Carême, les prêtres du Doyenné et de donner
des prêtres à la Touraine. » La Dame, souriante, incline aimablement la tête en
signe d'aquiescement. « Oh! Merci ! » lui répondent les enfants. Puis Jacqueline
: « Madame, je vous offre des fleurs. » Sans répondre la Vierge sourit. «
Prenez-les ! » Les quatre fillettes sont debout. Les quatre bras tendus
présentent les bouquets. La foule est haletante. La Dame, qui ne répond pas,
continue de sourire avec bonté. « Embrassez-les », implore Jacqueline qui s'est
avancée et a brandi ses fleurs au-dessus des autres, dans l'attention générale.
« Je les embrasserai, mais je ne veux pas les prendre, vous les emporterez. »
Et la Dame embrasse les arums. Puis, l'aînée prend et élève chaque bouquet. La
Vierge embrasse tour à tour les œillets, les violettes et les roses. Les deux
derniers bouquets étant plus petits que les autres, Jacqueline s'est dressé sur
la pointe des pieds pour les présenter. Manifestement, c'est au même point de
l'espace qu'elle les porte. « Merci, Madame. » Les enfants regagnent leur place
et s'agenouillent, Nicole s'est reculée un peu cependant. Elles chantent
maintenant le Je vous salue Marie. « Faisiez-vous de votre chant une prière ? »
leur demandera-t-on ensuite. - « Nous chantions », répondront-elles tout
simplement, « pour faire plaisir à la Dame qui le demandait. » On vit ensuite
Jacqueline, plus qu'on ne l'entendit, lire quelques demandes confiées par des
personnes amies. Son bouquet l'embarrassant, l'enfant le dépose à terre, déplie
tranquillement plusieurs autres papiers, et continue de lire. La Dame, calme,
bienveillante, écoute, sourit. Elle répond à cette question au moins, de Sœur
Marie de l'Enfant-Jésus (NB C'est probablement à ce moment que la question fut
posée.) : « Madame, que faut-il faire pour consoler Notre-Seigneur de la peine
que lui causent les pécheurs ? » « Il faut prier et faire des sacrifices. »
Quand Jacqueline en eut terminé, la Vierge dit : « Continuez le chapelet. » Comme
chaque jour la Dame et l'Ange, sans qu'on entende leur voix, s'unissent aux Ave
seulement. Trois fois ensuite c'est la Vierge qui dit : « O Marie conçue sans
péché. » La foule s'accroche dès les premières syllabes, chaque fois que les
enfants répondent : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Jacqueline :
« Madame, je vous en prie, faites une preuve de votre présence. » « Avant de
partir j'enverrai un vif rayon de soleil. » Et c'est le silence. O Marie conçue
sans péché reprennent « avec des intonations diverses et de plus en plus
expressives » les fillettes. Priez pour nous qui avons recours à Vous, répond
l'assistance. « Dites à la foule qu'elle chante le Magnificat. » « Oui, Madame,
nous allons chanter. » Jacqueline : « Chantez le Magnificat ». Le Père Soulard
qui, le long du mur, prend des notes, face à elle, transmet. « C'est pour tout
le monde ? » demande Monsieur le Doyen. Sur le signe affirmatif qui lui répond,
le chanoine Ségelle entonne le Magnificat, que poursuit, debout, la foule
immense. Jacqueline et Nicole remuent parfois les lèvres, s'unissant à la
multitude. Jeannette et Laura demeurent silencieuses. Les quatre regards
restent levés. Deux fois, on verra Jacqueline sourire à l'invisible personnage,
pressant la main sur son cœur. Pendant le chant, la Dame a les yeux au ciel.
Son ravissant visage est illuminé d'un sourire. Plus que jamais il respire le
bonheur. Le cantique achevé, ses yeux s'abaissent et le sourire va aux enfants,
dans le silence revenu. Elle demande encore une dizaine de chapelet, aussitôt
récitée et y ajoute trois fois O Marie conçue sans péché. Tous entendent les
enfants répondre : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Et le chant du
Je vous salue Marie retentit. « Priez-vous pour les pécheurs ? » « Oui, Madame,
nous prions. » C'est la quatrième dizaine de chapelet. Et trois fois encore les
enfants « prenantes de conviction » diront tout haut : « O Marie conçue sans
péché, priez pour nous qui avons recours à Vous. » Après cette quatrième
dizaine, le silence. On entend soudain : « Oui Madame ! » et l'on voit les
quatre fillettes mettre ensemble les bras en croix. C'est que la Dame a dit : «
Récitez une dizaine de chapelet, les bras en croix. » Jacqueline a fait signe
au doyen pour exprimer le désir de la Vierge. D'instinct, beaucoup, aussitôt,
ont imité le geste. Plus de respect humain en cet instant. Avec ferveur la
multitude prie. Nombreux sont ceux qui ont les larmes aux yeux. La dizaine
terminée, les voyantes ajoutent trois fois : « O Marie conçue sans péché. » Et,
après que la foule leur a répondu, c'est la Vierge qui reprend, Elle même,
trois fois l'invocation que, tout haut, achèvent les fillettes. Repartent
maintenant les quatre voix légères pour le chant du Je vous salue Marie suivi,
selon l'usage à Saint-Gilles, de la triple invocation. Voici que les enfants se
signent : la Vierge les bénit. En même temps qu'elles, Elle bénit la foule.
Jacqueline remue les lèvres. Le mystérieux dialogue se poursuit : « Allez-vous
construire une grotte ? » On entend les voix décidées : « Oui, oui, nous allons
la construire. » Puis, c'est un cantique qui ne fut pas encore chanté au cours
des apparitions, un cantique que l'on connaît bien à l'Ile-Bouchard : « O Marie
conçue sans péché, priez, priez pour la France. » Des voix nombreuses, cette
fois ont osé se mêler aux voix des enfants. Suivra, après une pause, le chant
du Je vous salue Marie et la récitation de la triple invocation par les
enfants. Nicole est bouche bée. Un observateur a noté la mobilité des doigts
aux mains jointes de Jacqueline. A ce moment l'aînée, seule, sourit à la Dame.
Seule encore, elle fait le signe de croix. Trois fois, les dernières, les
voyantes pieusement et simultanément : « Priez pour nous qui avons recours à
Vous. » Elles répondent à la Dame qui soudain disparaît. « Faut s'en aller »,
dit Jacqueline qui se lève.
Depuis quelques instants un rayon de soleil éclaire
l'église sombre, le choeur surtout. Il part de la deuxième fenêtre au mur
méridional. Exactement du deuxième panneau blanc à losanges de plomb, sur la
gauche, un peu au-dessous des fragments « renaissance » qui représentent un
buste de sainte. Son éventail de lumière - une lumière blanchâtre, d'un éclat
ordinaire, assez vif cependant - illumine l'autel de la Vierge, en entier,
l'angle nord-est et le mur nord jusqu'à l'entrée du bas-côté. Il a la chaleur
d'un rayon d'été. Plusieurs qui pouvaient voir de face ou de biais les enfants,
affirmeront que les visages, celui de Jacqueline surtout, plus pâle,
s'éclairaient de curieux reflets. « Quel beau spectacle! » écrit un témoin. Les
fleurs de leur bouquets brillaient. Selon certains, on les eut cru perlées ou
ornées d'étincelantes gouttelettes de rosée. D'après les fillettes, le rayon
projeté sur la Dame, l'Ange et la grotte leur donnait une nouvelle splendeur.
Il donnera surtout au globe d'argent, à la fin de l'apparition, un exceptionnel
éclat. Dans la campagne avoisinante, en maintes maisons même, il avait paru,
provoquant une agréable surprise, sans plus chez les uns ; de l'étonnement,
chez d'autres. Tandis qu'il dardait encore dans l'église - il brillera quatre
minutes environ - Jacqueline, Nicole, Laura et Jeannette avaient gagné leurs
prie-Dieu. C'est au moment où le père Soulard les y conduisait que Jacqueline
lui glissa : « Elle a dit qu'elle enverrait un rayon de soleil avant de partir.
» Alors, le chanoine Ségelle annonce que c'est là le signe de la fin. Il prie
l'assistance d'attendre pour recevoir la bénédiction du Très-Saint-Sacrement.
Qu'on ne s'y méprenne pas : cette bénédiction ne constitue pas une approbation
des événements qui viennent de se dérouler ; elle doit aider chacun à
sanctifier cette soirée de dimanche. A l'Autorité Religieuse de porter un
jugement. Les quatre voyantes viennent s'agenouiller sur la première marche du
maître-autel, au côté de l'évangile. Elles sont très recueillies. Jacqueline a
des larmes dans les yeux. Un interrogatoire suivra instantanément la cérémonie.
A la sortie, la foule veut voir les enfants. En vain. Elles-mêmes désirent à
tout prix y échapper. Elles iront passer la fin de l'après-midi en promenade
avec leurs compagnes, sous la conduite de Sœur Marie de l'Enfant-Jésus, simples
comme toujours. Demain reprend leur vie d'écolières. Partout en Touraine on
parlera cette semaine des apparitions de l'Ile-Bouchard.
Depuis ce dimanche de décembre 1947, un mouvement de
piété n'a cessé de se manifester dans la vieille église Saint-Gilles. Le
rocher de la crèche, en papier, demeura après Noël ; une statue de Notre-Dame
de Lourdes y prit place. Une grotte de pierre et de dalles de verre s'y
substituera plus tard abritant la Vierge de Massabielle. Des fleurs sans cesse
sont apportées. Des cierges brûlent. Des pèlerinages spontanés, nombreux,
arrivent de Touraine, des diocèses voisins, de diocèses lointains aussi. De
l'étranger même on vient maintenant à l'Ile-Bouchard. Les enfants n'ont rien
oublié. Tout au plus quelque confusion dans le déroulement rigoureux des faits,
l'hésitation sur un détail, voire sur un mot d'importance secondaire. Elles ont
su résister, le plus souvent, aux indiscrets, se cachant même ou jouant de ruse
pour les éviter. Elles souffrent aujourd'hui encore quand on semble mettre en
doute leurs paroles. De leur simplicité elles n'ont rien perdu. L' Autorité
Religieuse jusqu'ici est restée silencieuse.
Un courant de prière
Vingt ans après les « événements » la vieille église
Saint-Gilles continue d'être très fréquentée. Ses voisins les plus proches
témoignent volontiers d'allées et venues quotidiennes nombreuses ; qu'on les
interroge. Le chanoine Ségelle, jusqu'à son départ en 1960, a jeté, chaque soir
ou à peu près, sur le papier quelques notes concises, en style télégraphique,
pour enregistrer ce qu'il avait vu. Il n'était pas question pour lui de
dresser des listes complètes de visiteurs ou de « pèlerins » ; comment
aurait-il pu le faire avec un ministère qui l'appelait très souvent de divers
côtés ? Aussi faut-il multiplier probablement par 2 ou par 3 les chiffres qu'il
donne. Il n'avait pas d'avantage l'intention de retenir les noms de personnes
qu'il ne connaissait pas et que la discrétion lui interdisait de demander.
Telles qu'elles sont ces notes alertes, écrites currente calamo, constituent un
document révélateur du courant de prière qui n'a cessé ici. Pour jalonner le
temps, prélevons quelques pages de ces cahiers :
Mai 1950. - Le 1er : une quarantaine de personnes de
Chateau-Gonthier ; une Sœur de Saint-Vincent ; un prêtre. Le 2 : un prêtre de
Tours ; un autre..., plusieurs autres. - Le 3 : un groupe de prêtres et de
fidèles, trente-deux en tout, vendéens et nantais, au retour de Rome. - Le 4 :
de la Mayenne : Messieurs, dames, fillettes ; une malade. - Le 5 : un groupe
d'Ile-et-Vilaine. - Le 9 : des « Sœurs » de Tours. - Le 12 : douze ou treize
Sœurs de Saumur. - Le 13 : un Abbé bénédictin ; un moine ; un prêtre de
Touraine. - Le 14 : de Châteauroux un couple ; de Loudun, de Châtellerault, et
toute la journée. - Le 19 : Courcoué ; Louans avec les enfants de la Communion
solennelle qui avait eu lieu la veille. - Le 21 : c'est dimanche, donc... - Le
28 : une dizaine de parisiens venant d'Issoudun et de Pellevoisin
(L'Ile-Bouchard n'est sûrement pas sur leur route pour retourner à Paris). - Le
29 : Exireuil (Deux-Sèvres) soixante personnes avec leur curé, messe ; Chinon,
orphelinat ; Angers, deux cars ; Saint-Pierre de Saumur ; d'Amboise, de Loches,
de Poitiers, de Cholet ; Saint-Hilaire-Saint-Florent, soixante jeunes filles,
etc.,etc., - Le 30 : deux paroisses du Maine-et-Loire et leur curé, une
soixantaine ; une famille de Mulhouse ; Notre-Dame des Mauges, Sœurs, jeunes
filles, curé, messe ; Sœurs de Bagneux. - Le 31 : Sœurs de Tours, avec 120
élèves, une famille de Cheillé.
Octobre 1954. - Le 3 : un groupe de quatorze bénédictins. Du 4 au 10
: des messieurs ; des dames ; un prêtre ; des Sœurs de Saint-Vincent ; un
professeur de philosophie. - Le 10 : soixante américaines du camp d'Ingrandes,
messe par l'Aumônier. - Le 12 : deux prêtres. - Le 13 : un autre. - Le 14 : des
religieuses de Saint-Vincent ; des clarisses ; un homme en prière avec son livre.
- Le 17 : un curé de Touraine avec sa mère ; à un moment 25 personnes environ ;
quatre personnes de Tours ; une famille d'Angers soit une dizaine de personnes
; plusieurs personnes d'Angers. - Le 18 : Dames de Saint-Rémi (Vienne) ; un
homme de la Vienne. - Le 19 : Un groupe (une quinzaine) hommes et femmes de la
Loire-Inférieure. - Le 23 : un homme en prière ; un architecte de Paris ;
treize enfants de la paroisse Sainte-Clotilde de Paris. - Le 24 : dans la
soirée, après le salut. - Le 25 : une famille de Paris revenant de Lourdes. -
Le 26 : c'est le mardi..., donc... - Le 27 : une dame de Saint-Épain ; une
autre de Tours. Au chapelet de 13 heures. - Le 31 : de Châteauroux ; de
Chemillé (M.-et-L.).
Juillet 1958. - Le 1er : une école libre de Blois ; religieuses
tourangelles. - Le 2 : un jeune homme et ses parents. - Le 5 : deux Sœurs de la
Pommeraye ; plus tard quatre autres ; midi : un groupe de douze pèlerins venus
de la Sarthe ; vers 18 heures : un car bondé de Choletais. - Le 7 : un évêque
(NB Une douzaine d'évêques au moins auront été vus ici un jour ou l'autre en
prière.) ; un groupe de Saumur. - Le 8 : un grand car du Segréen ; deux
personnes aperçues. - Le 11 : un prêtre ; une femme écrivain connue. - Le 12 :
un car de garçons et de fillettes venu avec des religieuses du Loiret ; des
religieuses de la Pommeraye et un groupe de jeunes filles du Beaugeois ; un
groupe de dix d'où ? - Le 13 : un groupe de Vendée ; un prêtre d'Alsace. - Le
15 : une trentaine de jeunes filles (Anjou ? Vendée ?). - Le 16 : halte d'un
car angevin se rendant à Issoudun ; un groupe d'enfants de chœur du Blésois
avec plusieurs prêtres. - Le 17 : deux groupes d'enfants. - Le 18 : une
religieuse. - Le 21 : un curé du Loiret ; deux habitants de Banneux. - Le 27 :
petit pèlerinage.
Les successeurs du Chanoine Ségelle ont témoigné aussi,
en des notes rédigées sous une autre forme, de la continuité de ce mouvement :
« Il me semble pouvoir affirmer, écrit par exemple le P. Eliot, en 1963, que
tous les jours de l'année il y a des visiteurs » ; et le P. Callo, en 1967 : «
Depuis que je suis à l'Ile-Bouchard, il n'y a pas de jour, même en hiver, où je
n'aie rencontré des gens de tous milieus sociaux agenouillés face à la Grotte »
et l'on relève, par exemple, sur son cahier, pour septembre 1966, des
pèlerins de Touraine, d'Anjou, du Pas-de-Calais, d'Alsace, du Poitou, de Rome,
de Marseille. Bien sûr il vient ici des visiteurs poussés par la curiosité, «
quelques autres qui cherchent parfois, rarement d'ailleurs, à se regrouper selon
certaines tendances », mais il n'y eut jamais de manifestations extravagantes
et l'on ne releva jamais qu'attitudes respectueuses. Le P. Eliot a écrit : «
L'immense majorité des pèlerins vient ici pour prier la Sainte Vierge ; ce qui
est une manière de lui dire combien elle est aimée... » « Ils viennent dans un
lieu qui, s'il n'est pas reconnu comme terre d'apparitions, possède cependant
une attirance et suscite une réelle prière. Il est clair que cette catégorie
est l'élément dominant de la foule, et cet élément est un élément actif et même
radio-actif. Ils prient et incitent les autres à prier. Du reste il est
incontestable que la prière y est fervente et de bon aloi. » C'est la suite
rigoureuse de ce qu'avait noté de son côté le chanoine Ségelle : « Ici on prie
avec ferveur » ; « Ici on est en paix » disent souvent les pèlerins ; «
Pourtant, ajoutait le chanoine, devant ce défilé incessant, jamais aucune
propagande n'a été faite ici ». Certains « pèlerins » ne restent que « peu de
temps », « d'autres demeurent volontiers de longues heures ». La plupart
récitent le chapelet. Si l'on chante, c'est de préférence le « Magnificat », et
« O Marie conçue sans péché, priez, priez pour la France », beaucoup, en effet,
viennent ici prier pour la France. Certains parcourent, sur place, l'opuscule «
Les Evénements mystérieux », demandent des explications ou cherchent à savoir
si l'Eglise a porté un jugement. Il y a encore, l'hiver surtout, ceux qu'on
pourrait appeler « les pèlerins par correspondance ». Le clergé a constamment
reçu un courrier assez abondant et encore aujourd'hui où le Père Callo indique
la provenance des lettres qui lui parviennent : la Région parisienne,
l'Angoûmois, l'Anjou, le Nantais, la Normandie, les Charentes, le Nord, la
Lorraine... Au sujet de ce courrier on lit dans les notes du P. Eliot : « Quels
que soient les signataires de ces lettres, je me plais à y relever sous des
formes diverses deux attitudes parfois complémentaires l'une de l'autre : 1°
une attitude de confiance indéfectible envers la Très Sainte Vierge ; 2° une
attitude parfois douloureuse, parfois inquiète, parfois durement revendicative
d'attente d'une prise de position par l'Église. » La plupart de ces lettres
demandent des prières ou signalent des grâces reçues. Ce courant de piété mariale
a ses points culminants : le 8 décembre et le 15 août. A ces notes, le père
Arrouet, curé doyen de l'Ile-Bouchard, ajoute : « Depuis 1974 que je suis ici,
il n'y eut pas une seule journée sans visiteur venant prier Notre-Dame, pour
demander et remercier. » « Ce courant de prière a toujours ses points
culminants le 8 décembre, au mois de mai, le 15 août, durant le mois du
Rosaire. D'où viennent les pèlerins ? de Touraine, d'Anjou, de Bretagne, de
Vendée, d'Alsace, de Marseille, de Nice, de la Région Parisienne, de la
Guadeloupe, de Belgique, de Suisse, d'Angleterre. » « Le 8 décembre rassemble
toujours huit cents à mille personnes dans une ambiance très vivante de prières
et de chants. Plusieurs affirment avoir été très marqués par cette journée.
FIN
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