Despre autoritatea pãrinteascã în romanul Les Thibault de Roger Martin Du Gard ( 2 )
Antoine ne quittait pas son père de l’œil ; il semblait peser de tout son regard sur cette face inerte pour en faire jaillir une lueur d’acquiescement.
M. Thibault, ramassé sur lui-même, gardait une immobilité massive ; il faisait songer à ces pachydermes dont la puissance reste cachée tant qu’ils sont au repos ; de l’éléphant d’ailleurs, il avait les larges oreilles plates, et aussi, par éclairs, l’œil rusé.
Le plaidoyer d’Antoine le rassurait.
Il y avait eu déjà quelques embryons de scandales à la Fondation, quelques surveillants qu’il avait fallu congédier, sans ébruiter les motifs de leur renvoi, et M. Thibault avait craint un moment que les révélations d’Antoine fussent de cette nature : il respirait.
- Est-ce que tu crois m’apprendre quelque chose ? fit-il d’un air bonasse. Tout ce que tu dis là fait honneur à ta générosité naturelle, mon cher : mais permets-moi de te dire, en toute conscience, que ces questions de correction sont fort complexes, et qu’en ces matières on ne s’improvise pas une compétence du jour au lendemain.
Crois-en mon expérience et celle des spécialistes. Tu dis : faiblesse, torpeur. Dieu merci ! Tu sais ce que valait ton frère : crois-tu que l’on puisse broyer une pareille volonté de mal faire, sans d’abord la réduire ?
En affaiblissant avec mesure un enfant vicieux, ce sont ses mauvais instincts qu’on affaiblit, et l’on peut alors en venir à bout : c’est la pratique qui apprend ça. Et vois : est-ce que ton frère n’est pas transformé ? Il n’a plus jamais de colères ; il est discipliné, poli avec tous ceux qui l’approchent. Tu dis toi-même qu’il en est arrivé déjà à aimer l’ordre, la régularité de sa nouvelle existence.
Hé ! mais, est-ce qu’il n’y a pas lieu d’être fier d’un tel résultat, en moins d’un an ?
Il effilait entre ses doigts boudinés la pointe de sa barbiche, et, lorsqu’il eut terminé, il glissa vers son fils un coup d’œil oblique. L’organe sonore, le débit majestueux prêtaient une apparence de force à ses moindres paroles, et Antoine avait une telle habitude de s’en laisser imposer par son père, qu’au fond de lui-même, il faiblit.
Mais M. Thibault commit une maladresse d’orgueil :
- D’ailleurs je me demande pourquoi je prends la peine de défendre l’opportunité d’une sanction qui n’est pas et ne sera pas remise en question.
Je fais ce que je crois devoir faire, en toute conscience, et n’ai de compte à rendre à qui que ce soit. Tiens-le-toi pour dit, mon cher.
Antoine se cabra :
- Ce n’est pas le moyen de me réduire au silence, père ! Je te répète que Jacques ne peut pas rester à Crouy.
M. Thibault eut de nouveau un petit rire acerbe.
Antoine fit un effort pour demeurer maître de lui.
- Non, père, ce serait un crime que de laisser Jacques là-bas. Il y a, en lui, une valeur que l’on ne doit pas laisser perdre. Laisse-moi te dire, père : tu t’es souvent trompé sur son caractère : il t’agace et tu ne vois pas ses... «
- Qu’est-ce que je ne vois pas ? Nous ne vivons tranquilles ici que depuis son départ. Est-ce vrai ? Eh bien, quand il sera corrigé, nous verrons à le faire revenir. D’ici là... Son poing se souleva, comme s’il allait le laisser retomber de tout son poids ; mais il ouvrit la main, et posa doucement sa paume à plat sur le bureau. Sa colère couvait. Celle d’Antoine éclata :
- Jacques ne restera pas à Crouy, père, je t’en réponds !
- Oh ! oh !... fit M. Thibault sur un ton persifleur. Est-ce que tu n’oublies pas un peu trop, mon cher, que tu n’es pas le maître ?
- Non, je ne l’oublie pas. Aussi je te demande : Qu’est-ce que tu comptes faire ?
- Moi ? murmura M. Thibault avec lenteur ; il eut un sourire froid et entrouvrit une seconde les paupières : Cela ne fait pas de doute : semoncer vertement M. Faîsme pour t’avoir reçu sans mon autorisation ; et t’interdire à jamais l’accès de la colonie.
Antoine croisa les bras.
- Alors, tes brochures, tes conférences ! Toutes tes belles paroles ! Dans les congrès, oui ! Mais devant une intelligence qui sombre, fût-ce celle d’un fils, rien ne compte : pas de complications, vivre tranquille, et advienne que pourra ?
- Imposteur ! cria M. Thibault. Il se mit debout. Ah ! ça devait arriver ! Je te voyais venir depuis longtemps. Certains mots qui t’échappent à table, tes livres, tes journaux ... Ta froideur à accomplir tes devoirs... Tout se tient : l’abandon des principes religieux, et bientôt l’anarchie morale, et la révolte pour finir !
Antoine secoua les épaules :
- N’embrouillons pas les histoires. Il s’agit du petit, et ça presse. Père, promets-moi que Jacques...
- Je t’interdis dorénavant de me parler de lui ! Cette fois, est-ce clair ?
Ils se toisèrent.
- C’est ton dernier mot ?
- Va-t’en !
- Ah ! père, tu ne me connais pas, murmura Antoine avec un rire plein de défi. Je te jure que Jacques sortira de ce bagne ! Et que rien, rien ne m’arrêtera !
Le gros homme, avec une violence soudaine, marchait sur son fils, la mâchoire serrée :
- Va-t’en !
Antoine avait ouvert la porte.
Il se retourna sur le seuil pour lancer d’un voix sourde :
- Rien ! Dussé-je mener moi-même une nouvelle campagne dans mes journaux !
( Extras din Les Thibault Tome I Le Cahier Gris Le Pénitencier La Belle Saison, Roger Martin Du Gard, Gallimard, 1955, Paris, France )
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