Sainte Rose de Lima-dominicaine-stigmatisée (1586-1617)
Partie 3/3-FIN, Myriamir à La Source le 11 Juin 2016
VII
— L’amour divin croissait de jour en jour dans
le cœur de Rose, et il plut au Seigneur de rendre visible en diverses
circonstances le feu qui la consumait. Une personne qui, par extraordinaire,
passa une fois la nuit dans la chambre où couchait la servante de Dieu, vitdes
rayons lumineux se projeter au milieu des ténèbres. Très étonnée de ce phénomène, elle
voulut en connaître la cause. Rose s’était levée sans bruit pour faire oraison, et lesrayons
aperçus par sa compagne partaient de son visage.
Combien de fois encore le prêtre qui lui
donnait la communion aperçut sa tête entourée d’une auréole brillante ! Le P.
Louis de Bilbao attesta qu’en lui présentant la sainte hostie, il avait peine à
soutenir l’éclat de son visage qui paraissait en feu.
Juan de Lorenzana remarqua également qu’un changement
merveilleux s’opérait sur ses traits quand elle s’approchait de la sainte Table
: « On eût dit,
affirmait-il, la tête radieuse d’un corps déjà glorifié. »
Tout cela se passait avant la communion. Qu’était-ce quand la pieuse vierge
possédait dans son cœur Celui qui est venu apporter le feu sur la terre? Aucune expression ne saurait rendre
ces choses ineffables. «
Quand je communie, dit-elle à un de ses confesseurs, il me semble qu’un soleil
descend dans ma poitrine.
Voyez ici-bas : le soleil ranime tout par sa chaleur et
sa lumière ; il colore les fleurs et fait mûrir les fruits ; ses rayons
pénètrent dans les eaux de la mer, ils font miroiter les pierres précieuses sur
les montagnes, il réjouit les petits oiseaux, éclaire et t vivifie l’univers. Eh bien ! Voilà ce que fait
dans mon âme la chair de Jésus-Christ. Elle relève tout ce qui était
languissant; sa présence réchauffe, éclaire, illumine. »
Le pain eucharistique la fortifiait à tel point qu’elle
ne prenait généralement aucune
autre nourriture de toute la journée. En vain la pressait-on de rompre son
jeûne : « La table du
Seigneur m’a si bien nourrie, répondait-elle, que je ne puis rien manger. » L’expérience le prouva, une seule
bouchée de pain ou quelques gouttes d’eau lui causaient alors d’affreux
étouffements. Voilà pourquoi,
quand elle communiait chaque jour, pendant l’octave de certaines fêtes, il lui
arrivait parfois de passer la
semaine entière sans prendre aucun aliment.
Les jours où le Saint-Sacrement était exposé, elle ne
quittait pas l’église et demeurait
en adoration depuis le matin jusqu’au soir, agenouillée, immobile comme une
statue, sans détourner un instant les yeux de l’ostensoir.
Tel était son amour pour la divine Eucharistie qu’elle aurait voulu verser son sang
en témoignage de la présence réelle. Souvent elle avait exprimé ce désir; on
crut même une fois qu’il allait se réaliser. Le 24 août 1615, une
flotte hollandaise parut sur les côtes du Pérou; elle s’approchait déjà du port
de Lima, et l’on s’attendait à voir la ville saccagée.
Rose seule demeura intrépide au milieu de la
consternation générale, et, malgré la faiblesse de son sexe, elle entra dans
l’église, se plaça sur le marchepied de l’autel, et animée d’un courage qui
étonna les témoins de cette scène, elle
se mit en devoir de défendre le tabernacle au péril de sa vie.
Alors, prenant des ciseaux, elle coupa un peu le bas de
sa robe blanche qui traînait jusqu’à terre, replia ses manches et quitta ses
souliers. « Je me prépare au
combat, répondit-elle à ceux qui lui demandaient la raison de sa manière de
faire : rien ne doit gêner mes mouvements. A mesure que les hérétiques
entreront, je veux monter sur l’autel, embrasser le tabernacle, le couvrir de
mon corps; et quand les bourreaux porteront la main sur moi, je les prierai de
ne pas me faire mourir d’un seul coup, mais de me déchirer par morceaux, afin
que le plus longtemps possible ils épargnent le Saint des saints. »
On en fut quitte pour une fausse alerte : un messager vint annoncer que l’amiral
hollandais venait d’être frappé d’apoplexie, et la flotte, privée de chef,
prenait le large.
Assurément Rose partagea la joie de toute la ville, mais
elle fit paraître aussi une douleur sincère d’avoir manqué l’occasion du
martyre.
Sans parler de l’assurance certaine qu’elle ne perdrait
jamais l’amour de Dieu, le
divin Maître inonda son épouse bien-aimée de tous les dons merveilleux qu’il
communique à ses plus chers amis : opérations surnaturelles, pénétration des
cœurs, visions prophétiques. Durant
dix ans, Rose ne cessa de prédire avec les plus minutieux détails la fondation
d’un monastère de Dominicaines à Lima. Cette ville n’était pas encore très
étendue : elle possédait déjà bon nombre de couvents et il n’était guère
probable que le gouvernement en autorisât un nouveau.
L’eût-il permis, où trouver les ressources
nécessitées par une entreprise de cette nature ? N’importe, Rose ne varia jamais dans son
affirmation. « Quand vous y verriez
plus de difficultés encore, mon Père, disait-elle à son confesseur, quand vous
supposeriez l’opposition de l’Espagne et de l’Amérique entière, soyez certain
que la fondation se fera dans le lieu que je vous désigne : le monastère sera
florissant, peuplé de saintes âmes : vous le verrez de vos yeux. »
Un jour qu’elle revenait sur ce sujet, elle se mit à dire
que si l’autorisation, que l’on sollicitait alors, arrivait de son vivant, elle
se chargerait seule, s’il le fallait, des frais de construction. Sa mère, en
l’entendant, n’y tient plus. « Tu es folle, lui
dit-elle ; où
prendrais-tu cet argent ? Tu ferais mieux de te taire que de nous conter
pareilles inepties. » Rose,
pourtant si docile, ne se tut point. « Patience,
bonne mère, répliqua-t-elle, patience : le temps viendra où vous reconnaîtrez
la vérité de mes paroles, car vous serez la première à prendre le voile dans
cette maison ; vous y ferez profession et persévérerez dans l’état religieux
jusqu’à la mort. »
C’était par trop fort vraiment, et la colère de Marie de
Flores ne connut plus de bornes. «Moi, religieuse! Moi, qui ne sais ni
chanter, ni psalmodier; moi, qui ne puis tenir en place, aller me renfermer
dans une clôture ! Va chanter à d’autres tes absurdités : les Grecs auront
des calendes avant que je prenne le voile dominicain. »
Le commencement de l’année 1629 ne vit pas les calendes grecques, mais
il vit Marie de Flores, veuve et sexagénaire, prendre le voile au nouveau monastère de
Sainte-Catherine.
L’année suivante, elle y faisait profession, et elle y mourut longtemps après en
bonne et fervente Dominicaine.
VIII
— Rose, on l’a vu, répondait par de saintes
folies et des prodiges d’amour aux faveurs qu’elle recevait d’en haut. Son
esprit industrieux cherchait sans cesse quelque nouveau moyen de témoigner son
affection à son Bien-Aimé. Voici une note que l’on trouva parmi ses
papiers : «Jésus! — L’an 1616, avec le secours de mon Sauveur et
de sa sainte Mère, je prépare un trousseau à mon très doux Jésus, qui doit
bientôt naître pauvre, nu et tremblant dans l’étable de Bethléem. J’emploierai
à tisser sa petite chemise cinquante litanies, neuf Rosaires et cinq jours de
jeûne en mémoire de son Incarnation. Je composerai ses langes de neuf stations
au pied du Saint-Sacrement, de neuf divisions du Psautier Rosarien et de neuf
jours de jeûne pour honorer les neuf mois qu’il passa dans le sein de sa mère.
Je formerai les bandelettes qui doivent l’entourer de
cinq jours d’abstinence, cinq Rosaires et cinq stations en l’honneur de sa
Nativité. Je lui ferai une couverture de cinq couronnes du Seigneur, cinq
jeûnes absolus et autant de stations en mémoire de sa circoncision.
Quant aux franges destinées à broder son vêtement et au
toit qui protégera sa crèche, je les composerai de trente-trois communions,
trente-trois assistances à la Messe, trente-trois heures d’oraison mentale,
trente-trois Pater, Ave, Credo avec autant de Gloria et de Salve Regina, de
trente-trois jours de jeûne et trois mille coups de
discipline, par vénération pour les trente-trois années qu’il passa sur la
terre.
Enfin je déposerai pour aliments dans son berceau mes
larmes, mes soupirs, mes affections et surtout mon cœur et mon âme, afin de ne
plus rien posséder qui ne soit tout à lui. » L’Enfant Jésus montra dans la suite comment
il agréait de telles inventions de l’amour.
A cette piété si vive envers Jésus, correspondait une
tendre et filiale dévotion pour Marie,dévotion qui valut à Rose des faveurs
signalées de la Reine des cieux. A
onze ans, la pieuse enfant avait obtenu d’être chargée d’entretenir la chapelle
du Rosaire. Elle venait
si souvent prier dans cette chapelle, elle mettait tant de soin à l’orner,
qu’on l’accusait d’y avoir élu domicile.
De nombreuses grâces lui furent accordées, les unes connues de Dieu seul, d’autres qui
ne purent échapper aux regards des hommes. Pendant les années qu’elle habita
nuit et jour sa cellule rustique, les visites de la Vierge Marie devinrent à
peu près quotidiennes, et ses attentions pour sa fidèle servante des plus
délicates.
Depuis longtemps la pieuse fille était affligée
d’insomnie. Ses forces s’en allaient, sa vie même
semblait menacée. Son confesseur lui ordonna d’user des remèdes prescrits par
les médecins pour ramener le sommeil, et de se lever ensuite à une certaine
heure qu’il lui fixa. Rose,
après avoir eu de la peine à s’endormir, ne pouvait plus se réveiller et se
désolait de manquer ainsi d’obéissance.
Elle confia sa peine à sa bonne Mère, qui daigna apparaître à l’heure désirée
auprès du lit de son enfant : «
Lève-toi, ma fille, lui disait-elle d’une voix douce, voici l’heure de
l’oraison. » Et Rose ouvrant
les yeux s’éveillait dans le sourire de l’auguste Vierge.
Une nuit, le sommeil avait été plus long à venir. Rose était à peine endormie quand sonna
l’heure du lever. « Je me
lève, ma bonne Mère, je me lève tout de suite », répondit-elle à l’appel
de Marie. Mais la nature fut plus forte que la volonté, et la pauvre enfant
retomba endormie sur sa couche.
La Sainte Vierge se rapprocha et la touchant de la main :
« Lève-toi., ma petite fille, dit-elle, l’heure est déjà
passée : c’est la seconde fois que je t’appelle. » A ce nom gracieux de « ma petite fille », Rose
ouvrit les yeux ; mais déjà
sa Mère du Ciel s’était retirée, et elle ne put, comme les autres jours,
contempler son radieux visage.
Toute confuse, elle vit là une punition de sa négligence,
et pleura amèrement. Chaque fois que la jeune Sainte avait quelque grâce à
demander, pour elle ou pour les autres, elle venait à la chapelle du Rosaire et
priait en regardant le visage de la statue, jusqu’à ce qu’elle y découvrît une
expression favorable. Elle se retirait alors pleine de confiance, et le pressentiment qu’elle avait
d’être exaucée ne la trompa jamais.
Quelque effort qu’elle fît en pareille circonstance pour
cacher sa joie, la sérénité de son visage la trahissait. « Aujourd’hui, lui disait-on, vous
avez été l’objet de nouvelles faveurs. » — « C’est vrai, répondit-elle, ma
bonne Mère du ciel comble sans cesse de bienfaits sa misérable enfant. »
Interrogée un jour sur le mode de ses
communications avec la Sainte Vierge, elle fit avec sa simplicité ordinaire
l’aveu suivant : «Je n’entends aucune parole ; mais accoutumée à étudier la
physionomie de ma bonne Mère, je lis dans ses yeux tout ce qu’elle veut me
dire, et je la comprends aussi bien que si elle s’exprimait verbalement. Le
visage de son Fils est pour moi un livre non moins intelligible. Je le regarde en
priant, et l’expression de ce visage me dit sur quoi je puis compter. »
IX
— Intime avec Jésus et Marie, la pieuse fille vivait
aussi dans une douce
familiarité avec son Ange
gardien. Tantôt il se montrait sous des traits aimables, pour prier ou
converser avec elle, tantôt il se chargeait de ses messages et lui rendait
d’utiles services.
Il arriva une fois que Rose était renfermée dans son
ermitage; sa mère, qui en avait la clef, suivant la convention faite entre
elles deux, oubliait d’aller chercher sa fille, et il était minuit passé.
Tout à coup Rose aperçoit par sa petite lucarne une forme
légère venir de son côté. Elle
comprit que c’était son bon Ange. La porte s’ouvrit, il fit signe à Rose de le
suivre. L’un et l’autre
traversèrent le jardin, arrivèrent à la maison, dont la porte s’ouvrit
également, et l’aimable gardien de Rose ne la quitta que lorsqu’elle eut gagné
sa chambre.
Une autre fois, encore le soir, Rose fut prise d’une
défaillance soudaine, dans son ermitage.Elle consulta son bon Ange, et la
porte, fermée à clef, s’ouvrit à l’instant. Rose
arriva pâle, presque évanouie, à la maison paternelle.
Sa mère s’empresse, et ordonne à la servante d’aller vite
acheter du chocolat, aliment regardé alors au Pérou comme un tonique souverain. « Ma mère, dit Rose, n’envoyez pas
; on va m’apporter ce remède de la maison de la Massa. — Mais, ma fille, reprit Marie de Flores, comment veux-tu qu’on devine que
cela t’est nécessaire?» Elle
parlait encore, quand quelqu’un frappa à la porte. C’était un domestique du
questeur royal, lequel déposa sur la table une tasse pleine d’un chocolat tout
préparé. « De la part de ma
maîtresse, dit-il, j’apporte ceci à dona Rosa ». Marie de Flores ne revenait pas de
surprise. «Cessez de vous étonner, ma mère, dit Rose, c’est une attention
de mon Ange gardien ; il se charge souvent de mes commissions ».
Hélas ! S’il y a de bons esprits, il s’en trouve aussi de
mauvais, et notre vierge se vit plusieurs fois aux prises avec ces derniers.
Une nuit que retirée dans sa cellule elle se livrait à la contemplation, un de ces monstres infernaux
entreprit de lui faire quitter son pieux exercice.
Il prit la forme d’un énorme chien noir, jetant des
flammes par les yeux, et ouvrant une gueule garnie de formidables dents. Le hideux animal hurlait, dressait une queue
aux poils hérissés, et rôdait autour de Rose, en répandant une odeur de soufre insupportable.
Voyant Rose impassible, il se jeta sur
elle, la roula par terre en la meurtrissant. Rose s’écria alors : Domine, ne tradas bestiis animas
confidentes tibi ; « Seigneur, ne livrez pas aux bêtes les âmes qui se confient
en vous. » (Ps. 73.) A ces mots, le monstre disparut et Rose, tout étonnée de se voir
saine et sauve, reprit en paix son oraison.
Un autre jour, pendant qu’elle faisait une lecture
spirituelle dans Louis de Grenade, le
démon lui jeta une pierre par derrière. Le choc fut si violent que
Rose tomba par terre ; mais se relevant sans blessure, elle fit honte à son
lâche ennemi. Celui-ci, pour se venger, eut l’idée de s’en prendre au livre. Il
le lui arracha des mains, le mit en pièces et le jeta dans un fossé. Un instant
après, Rose ayant fait chercher le volume, il lui fut rapporté intact et sans
souillure.
Le nom de la Massa s’est présenté plusieurs fois déjà
dans notre récit. C’était une famille espagnole, dont le chef, appelé Gonzalve,
remplissait l’office de questeur royal, ou receveur des domaines de la couronne
au Pérou. Les époux de la Massa, modèles de fidélité aux devoirs domestiques,
s’étaient attachés à la famille des Flores, et pensèrent faire un acte
charitable en prenant Rose à leur charge dans leur propre maison.
Dieu permit que la chose s’arrangeât ainsi, pour donner
sans doute de nouveaux témoins aux vertus héroïques de sa servante. Rose, en effet, passa dans la maison
du questeur les trois dernières années de sa vie. Traitée comme une fille
d’adoption, bien que les époux de la Massa eussent plusieurs enfants, elle
pouvait librement vaquer à ses pratiques, travailler au profit de ses parents,
et là encore elle recevait de Dieu des grâces extraordinaires.
Un soir qu’elle priait avec la famille devant une image
de la Sainte Face, vénérée dans l’oratoire privé du questeur Gonzalve, la
figure du Christ laissa couler des gouttes de sueur en abondance. Le miracle fut canoniquement
attesté ; il avait
duré plusieurs heures consécutives.
Une autre fois, une peinture, représentant la Sainte
Vierge ayant sur ses genoux l’Enfant Jésus endormi, prit, au regard de Rose,
une expression délicieuse de joie, pendant que la dame de la Massa racontait
des miracles opérés par la Madone d’Atocha, près de Madrid.
Rose avait obtenu de se construire au grenier un petit
réduit avec de vieilles planches. Elle s’y retirait pour goûter une plus grande
solitude ; plusieurs fois elle
y eut à subir de nouveau les assauts du démon, et elle en triompha par sa
confiance en Dieu.
Que dire de son zèle pour le salut des âmes? «
S’il m’était donné, disait-elle souvent, de faire l’office de prédicateur, je
parcourrais pieds nus, couverte d’un cilice, et un crucifix à la main, tous les
quartiers de la ville, en criant aux pécheurs : « Ayez donc pitié de vos âmes!
Cessez d’offenser Dieu. Rentrez au bercail, le bon Pasteur vous appelle;
bientôt peut-être il ne sera plus temps! »
Et pour aider le ministère des hommes apostoliques, elle
redoublait parfois de prières et de mortifications, frappait à coups de poing sur sa
couronne d’épines ou se flagellait avec ses chaînes de fer. Regrettant que son sexe ne lui permît
pas de travailler par elle-même à la conversion des peuples, elle forma un
projet qui contient en germe l’idée de nos Écoles apostoliques.
Elle voulait adopter un enfant pauvre mais intelligent,
pour être élevé par les Religieux de l’Ordre avec les aumônes de quelques
personnes pieuses. Devenu
prêtre, elle l’aurait prié, pour reconnaître ses bienfaits, d’aller
planter dans un pays encore sauvage la croix de Jésus-Christ, et de lui donner
une petite participation à ses mérites. La mort l’empêcha de réaliser cette pensée.
X
— Le
Seigneur avait révélé à Rose, dès son enfance, qu’elle mourrait le jour de la
fête de saint Barthélémy, et
plus tard il lui fit comprendre d’une manière très précise que ce serait l’an
1617, un peu après minuit.
Vers la fin d’avril de cette année-là, Rose crut bon d’en
avertir la dame de la Massa. «
Sachez, ma mère, lui dit-elle, que dans quatre mois, je partagerai le sort
réservé à toute chair, et mon âme délivrée de ses liens s’envolera vers son
Bien-Aimé. Les douleurs de ma dernière maladie seront atroces, et je viens réclamer
deux services de votre amitié.
Lorsque, dévorée par une fièvre brûlante, j’implorerai un
verre d’eau froide pour rafraîchir ma gorge et mes entrailles desséchées, au nom de Jésus-Christ, ne me
le refusez pas.
La seconde grâce que j’implore de vous, c’est qu’après ma
mort, vous et ma mère rendiez seules à mon corps les services nécessaires. » Marie de la Massa, vivement émue, lui dit
d’avoir confiance dans le sentiment maternel qu’elle lui portait.
Une dernière fois, Rose alla se prosterner
devant sa chère statue de Notre-Dame du Rosaire, et lui fit les plus touchants
adieux. De là, elle se rendit au petit ermitage du
jardin paternel.
Elle en baisa le sol et se mit à chanter avec l’accent
d’une indicible poésie et d’un rythme admirable la fin de son exil et les joies
de la patrie. Une vision mystérieuse, regardée par ses historiens comme l’un
des faits les plus extraordinaires de sa vie, vint la préparer aux luttes
suprêmes. Voici en quels termes la Sainte la rapporta : « Un jour que mon âme jouissait du
repos de la contemplation, je me vis entourée d’une lumière éblouissante qui
émanait de la Divinité, présente en tous lieux.
Au milieu de cette lumière, je distinguai deux arcs
superposés, aux couleurs éclatantes, et portant à leur centre une croix arrosée
de sang, avec l’inscription « Jesus Nazarenus rex judaeorum », et on y
voyait la place des clous qui l’avaient percée.
L’humanité du Verbe remplissait l’espace enfermé dans
cette double voûte et opérait en moi des effets délicieux. Je me croyais délivrée des liens
de ce monde et transportée au ciel.
Auprès de Jésus-Christ se trouvaient une balance et des
poids. De nombreuses phalanges
d’esprits angéliques vinrent s’incliner devant sa Majesté; beaucoup d’âmes arrivaient comme moi
de la terre, s’inclinaient également et se retiraient à l’écart.
Quelques Anges s’approchèrent alors, prirent la balance,
placèrent des poids dans l’un des plateaux et chargèrent l’autre d’afflictions
et de tribulations jusqu’à ce qu’il y en eût une mesure égale. Le Sauveur souleva
la balance, comme pour s’assurer que l’équilibre était bien établi ; puis il
distribua les afflictions aux
âmes présentes et j’en reçus une des plus grosses parts. Quand le plateau fut vide, il y mit
grâces sur grâces jusqu’à ce qu’il y en eût un poids égal à celui des
afflictions, et il les distribua dans la même proportion, me faisant par
conséquent une part abondante.
J’entendis Jésus-Christ disant : « L’affliction est toujours la compagne de la
grâce ; la grâce est proportionnée à la douleur. La mesure de mes dons augmente
avec la mesure des épreuves. La Croix est la véritable et unique route « pour aller au ciel. »
Or, au cours de cette vision, Rose connut que dans la
longue agonie qu’elle devait subir, chacun de ses membres aurait son supplice
particulier, qu’elle endurerait la soif du Sauveur mourant, que d’intolérables
douleurs pénétreraient ses os, et que ces tortures, sans intervalles de
soulagement, dépasseraient la proportion dans laquelle Dieu les contient
d’ordinaire, selon les lois de la nature. Soumise à tout, elle accepta
amoureusement le calice et s’abandonna d’avance aux dispositions de la
Providence.
Le 31 juillet, elle était encore bien
portante; mais le lendemain, vers minuit, une avalanche de maux
fondit sur elle tout d’un coup. On
la trouva inanimée sur le parquet de sa chambre, les membres crispés, respirant
à peine.
On la déposa sur son lit. Le confesseur, appelé en toute
hâte, lui ordonna, en vertu de l’obéissance, d’expliquer aux médecins ce
qu’elle éprouvait. « II me
semble, dit-elle, que l’on promène sur moi un fer brûlant depuis le sommet de
la tête jusqu’aux pieds, et que l’on me passe une épée de feu à travers le
cœur. Je sens comme une
boule de fer rouge qui roule à travers mes tempes ; ma tête me produit l’effet
d’être serrée dans un casque de fer, et secouée comme par des coups de marteau
qui la frapperaient sans relâche. Cet incendie intérieur pénètre jusqu’à la
moelle de mes os, et j’éprouve dans toutes les articulations des douleurs dont
je ne saurais dire ni la violence ni la nature. Ma vie s’éteint sous l’action
de ces tortures, lesquelles mettront encore du temps à la détruire.Que
la volonté de Dieu s’accomplisse en moi sans réserve ! »
Par une grâce spéciale, bien que son
corps fût frappé de paralysie, Rose conserva la parole et l’usage de la raison. « Seigneur, murmurait-elle, ne m’épargnez
pas, comblez la mesure : ajoutez douleur sur douleur selon votre bon plaisir !
»Le 22 août, elle reçut
le saint Viatique et l’Extrême-Onction avec une joie qui frappa tous les assistants. Que pouvait-elle craindre ! Elle était assurée de son salut et savait même
qu’elle irait droit au ciel sans passer par le Purgatoire.Un dernier acte de piété filiale lui restait
à accomplir.
Sa mère se tenait près du lit, les yeux noyés de larmes,
et son père, malade et infirme, s’était fait transporter pour lui adresser un
dernier adieu. Rose les regarda doucement et leur baisa les
mains avec respect : « Je
vais quitter, leur dit-elle, cette vie que vous m’avez donnée ; je vous prie de
me bénir. »
Et, songeant plus particulièrement à la douleur de sa
mère, elle ajouta d’une voix émue : «
Seigneur, je la remets entre vos mains : ne permettez pas que son cœur soit
brisé par l’affliction. » Dieu
l’exauça d’une manière surnaturelle, car dès qu’elle eut rendu l’âme, sa mère
se sentit inondée de consolation et dut même se retirer pour cacher la joie qui
remplissait son cœur.
Ce fut la dernière recommandation de Rose à son céleste
Époux. L’heure de la délivrance approchait. Minée par le feu d’une fièvre
ardente, la Sainte tressaillait de bonheur, attendant le signal du départ. Minuit vint à sonner. Rose prend en main le cierge
bénit, s’arme du signe de la croix, fait écarter son oreiller pour mourir la
tête appuyée sur le bois, comme son divin Sauveur, et les yeux fixés au ciel,
expire en disant : « Jésus ! Jésus! Soyez avec moi! » Elle avait trente-et-un
ans et quatre mois.
Marie de la Massa et Marie de Flores rendirent les
derniers devoirs au corps de la défunte, et lui mirent, suivant l’usage du Pérou
pour les vierges, une couronne
de fleurs sur la tête.
Rose elle-même, peu après sa mort, apparut dans des
visions distinctes à trois personnes de Lima, connues pour leur éminente vertu.
Elles l’aperçurent vêtue de blanc, une palme à la main, conduite par les Anges
devant le trône de la Sainte Vierge, et recevant de Marie la couronne de
gloire. Sur la terre également, le trépas de l’humble fille de saint Dominique
fut moins un deuil qu’une explosion d’allégresse divine.
Le confesseur de Rose, Jean de Lorenzana, en contemplant
son visage, si beau dans la mort, s’écria : « O
Rose, bienheureux les auteurs de vos jours ! Bienheureuse l’heure à laquelle
vous êtes venue en ce monde! Bienheureux ceux qui vous ont connue et qui ont
occupé quelque place dans votre cœur ! Vous êtes morte comme vous avez vécu,
emportant au ciel votre robe baptismale dans toute sa pureté ; suivez, suivez
maintenant l’Agneau partout où il va! »
Toute la journée, il se fit auprès de la dépouille
mortelle, un concours de peuple prodigieux, et le soir, quand on transporta
dans l’église de nos Pères les précieux restes, ce fut l’occasion d’un triomphe
comme le Nouveau Monde n’en avait jamais vu.
Le clergé séculier, les communautés et les confréries,
les membres même du Chapitre métropolitain, qui ne prenaient part d’ordinaire
qu’aux funérailles des archevêques, allèrent pour la levée du corps. Le Conseil
royal, la noblesse, la Cour de justice et les autorités militaires se rendirent
également à la maison mortuaire.
Le cortège s’avança lentement, au milieu des acclamations
d’une foule enthousiaste ; l’archevêque reçut le corps à la porte de l’église,
et l’on déposa le cercueil, découvert, sur une estrade dans la chapelle du
Rosaire. Tout à coup, la
foule s’écrie : « Miracle ! Miracle ! » On venait de voir la statue de
Notre-Dame du Rosaire saluer d’un gracieux sourire sa fille bien-aimée.
Le lendemain, on célébra la cérémonie funèbre, vingt fois
interrompue par des cris de reconnaissance ou des supplications. Il fallut,
pour satisfaire le peuple, remettre à plus tard l’inhumation. Des milliers de
personnes, venues de cinq à six lieues à la ronde, voulaient contempler le
saint cadavre ; onen approchait des malades, des infirmes, des petits
enfants ; beaucoup furent guéris par un simple attouchement. Malgré les soins
des Religieux et les efforts des soldats du vice-roi, pour protéger la
vénérable dépouille, on arrachait par lambeaux le voile et la tunique de Rose ; et il fallut renouveler ses vêtements
jusqu’à six fois. Ce ne fut qu’en trompant la foule que l’on parvint, le
troisième jour, à opérer la sépulture, sous le cloître du couvent.
Dix-huit mois après, par ordre de l’archevêque Turribius,
le corps de Rose fut rapporté solennellement à l’église de Saint-Dominique et
déposé à côté du maître-autel ; plus tard on le transporta, dans la chapelle de
Sainte-Catherine de Sienne, de la même église. Des miracles marquèrent ces
translations et honorèrent le sépulcre de l’humble vierge.
L’an 1668, Clément IX béatifia la servante de Dieu, et
Clément X la canonisa trois ans après. Le nom de Rose fut inscrit au
Martyrologe romain et sa fête fixée, pour l’Église universelle, au 30 août. En
même temps, le Souverain Pontife déclara Patronne du Pérou et de toute
l’Amérique cette première fleur de sainteté produite par le Nouveau Monde.
O Rose, notre sœur, qu’à votre considération Dieu nous
bénisse, et que notre âme ait la vie, grâce à vous.
NOTES
[1] Voir Sainte Rose, Tertiaire dominicaine, patronne du Nouveau Monde, par
A.-L. Masson. — Lyon, imp. Vitte, 1898.
Source : http://avancezaularge.free.fr/rose_de_lima.htm
Sursa :
https://myriamiralasource.wordpress.com/2016/06/11/sainte-rose-de-lima-dominicaine-stigmatisee-1586-1617-partie-33-fin/
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