L’Eglise
Orthodoxe Roumaine aux VIIe-XIIIe siècles, pages 14-23, L’Eglise Orthodoxe
Roumaine, Monographie-Album, Bucarest, 1987
Vers l’an 600,
l’entière organisation ecclésiastique du Bas-Danube s’est écroulée sous la
pression des tribus avaro-slaves.
L’établissement des Slaves dans la péninsule des Balkans
rendit beaucoup plus difficiles les liaisons des Daco-Romains du Nord du Danube
avec les populations romanisées du Sud du fleuve.
Cependant, comme
le processus de romanisation et de christianisation était parachevé, les
paléo-Roumains ont pu assimiler d’autres groupes de peuples avec lesquels ils
avaient dû vivre ensemble.
Ils ont également réussi à imposer aux peuples migrateurs
arrivés dans leurs parages la foi chrétienne – en tant que forme supérieure de
manifestation spirituelle – en en faisant un facteur de culture et de
civilisation.
Les Slaves ont en
revanche pu imposer leur langue au culte de l’Eglise roumaine et il en fut
ainsi du Xe au XVIIe siècle.
Les informations concernant la vie ecclésiastique des
proto-Roumains après l’an 600 sont plutôt lacunaires.
La continuité de
la vie chrétienne est nonostant attestée par les découvertes archéologiques de
ces dernières décennies, à savoir, six petites églises rupestres dans un massif
calcaire à Basarabi, dans le département de Constanta.
Il s’agit, sans doute, d’un établissement monastique (
IXe – Xe siècles ), voire même, selon d’aucuns, IVe – VIe siècles ) ; les
fondations de deux églises dans le Nord de la Dobroudja, l’une à Niculitel
( Xe – XIIe siècles ), l’autre à Garvãn
( anciennement Dinogetia ),
présentant des restes de peinture, ainsi que de nombreux objets cultuels
chrétiens : une croix reliquaire en or ayant peut-être appartenu à un
hiérarque, un cachet en plomb à figures bibliques, des fragments d’une cloche (
la plus ancienne connue en Roumanie ), des dizaines de petites croix et des
moules pour leur confection.
Dans le reste du
pays on signale : un couvercle d’encensoir découvert à Cosna [ Coshna ], dans le département de Suceava, des croix-reliquaires
à Adjud-Vrancea et à Dodesti-Vaslui (Xe – XIe siècles ), les
fondations de quelques églises à Dãbîca,
à environ 30 km NO de Cluj-Napoca ( Xe – XIe s. ), d’autres fondations
au-dessous des églises catholiques édifiées plus tard à Alba-Iulia et à Prejmer ( Brasov ) et ainsi de suite.
Ces découvertes constituent non seulement des témoignages
incontestables sur la continuité des Roumains orthodoxes dans ces contrées, mais ce sont là
aussi des indices sûrs et certains à propos de l’existence d’évêques roumains.
À la place de l’ancien siège épiscopal de Tomis ruiné par
les Avares et les Slaves, aurait probablement pris naissance un autre, dans le
Nord de la Dobroudja, à Dinogetia-Garvãn selon toutes les probabilités, là où furent découverts l’église et
les objets de facture chrétienne des IXe –XIIe s. susmentionnés.
Il n’est pas dépourvu d’intérêt de mentionner le fait que
pendant les XIe – XIVe siècles il y a eu un
« évêché des Vlaques » au Sud du Danube, desservant des
territoires qui appartiennent de nos jours à la Bulgarie et à la Yougoslavie.
Il importe aussi
le fait qu’après 1185/86, lorsque fut créé l’Etat « vlaque-bulgare »
de Tirnovo, un archevêché vlaco-bulgare prit naissance.
Dans les territoires intracarpatiques, à partir des IXe –
Xe siècles – peut-être même plus avant cela -, dès la cristallisation des premières formations politiques locales connues ( celles de Gelu dans la Transylvanie proprement-dite,
dont le centre était, à ce qu’il paraît, à Dãbîca ;
de Menumorut dans les régions de Bihor et d’Arad ; de Glad dans
le Banat ; une autre autour de la ville d’Alba-Iulia
), la place des horévêques et des évêques missionnaires fut prise par les
évêques proprement dits ( à éparchie ).
Cela veut dire
que l’institution des horévêques ne correspondait plus à la nouvelle situation
politique où chaque dirigeant, chaque chef politique voulait avoir auprès de
lui un évêque qui étendît son autorité sur les prêtres et les fidèles de la
respective formation politique.
De tels évêchés orthodoxes roumains ont pu exister à Dãbîca, le centre paraît-il de la
formation politique de Gelu le Roumain, à Alba-Iulia, près le chef politique local, à Biharea, le centre du domaine de
Menumorut, à Morisena, auprès du duc Glad.
Un diplôme de 1020 émis par l’empereur Basile II le
Bulgaroctone de Byzance ( 976 – 1025 ) fait état d’un « castrum
diocésain » à Dibiscos,
probablement l’ancien Tibiscum de
l’époque des Romains ( Jupa-Caransebes
ou, selon certains spécialistes, Timisoara
de nos jours ).
Après
l’envahissement de la Transylvanie par le royaume féodal hongrois ( XIe – XIIIe
s. ), à la place des anciennes formations politiques roumaines furent créés ce
que l’on nomma des « comitats » ( Bihor, Alba, Hunedoara, etc. ).
Pour ce qui est des institutions ecclésiastiques des
Roumains, c’est-à-dire des évêchés
orthodoxes, ils ont été remplacés par des évêchés catholiques hongrois.
C’est ainsi que, une fois créé le « comitat »
de Bihor avec le centre à Biharea ( l’ancienne résidence de Menumorut ),
à la place de l’évêché orthodoxe fut créé un évêché latin, peu de temps après
transféré à Oradea où il devait rester jusque près de nos jours.
Il en fut de même à Alba-Iulia où, à la place de l’évêché
orthodoxe, s’installa le siège du « comitat » d’Alba et le nouvel
évêché catholique-romain, existant aujourd’hui encore.
À Morisena ( Cenad ), saint Étienne, le roi des
Magyars, après avoir conquis le domaine du prince Ohtum ou Ahtum, créa un
évêché catholique ( il y fit venir aussi des moines latins, installés dans le
monastère orthodoxe « Saint Jean-Baptiste » ).
Ainsi donc, les évêchés catholiques de Transylvanie ont
pris naissance, répétons-le, à la place des anciens sièges diocésains – ou des
horévêques – orthodoxes de Biharea ( Oradea ), Alba-Iulia et Morisena ( Cenad
).
Le phénomène du
remplacement de certains églises et monastères orthodoxes par d’autres,
catholiques, peut être reconnu ailleurs également en Transylvanie.
Malgré ces changements et malgré la politique de
catholicisation des Roumains menée par les rois de Hongrie, la propre
organisation ecclésiastique des Roumains orthodoxes a su survivre.
Voilà, par exemple, une lettre du pape Innocent III (
1198 – 1216 ), adressée le 3 mai 1205 à l’archevêque de Calocea, où il est
question aussi d’un évêché orthodoxe « sur les terres des fils du cnèze
Bâlea ».
On peut situer le
dit évêché dans la région de Hunedoara, où se retrouvent des dizaines d’églises
roumaines en pierre, datant des XIIIe – XIVe
siècles, plus vieilles encore peut-être, dont quelques-unes fondées par des
cnèzes nommés Bâlea, comme le sont celles de Streisîngeorgiu et de Criscior [
Crishcior ].
L’existence d’une organisation ecclésiastique supérieure
chez les Roumains de Transylvanie est imposée par l’existence même de tant de
monastères orthodoxes aux Xe – XIVe siècles, quleques-uns disparus, mais dont
beaucoup existent encore de nos jours.
On dispose de documents attestant, outre les églises de Dãbîca
dont il a été déjà parlé, les monastères de Morisena, au début du XIe siècle, de Meseseni [
Mesesheni ], dans la proximité du village de Moigrad – département d’Arad (
1177 ), quelques églises rupestres dans la zone de Sãlaj et ainsi de suite.
En 1204, le roi Émeric
de Hongrie informait le pape Innocent III que certains églises « des moines grecs », c’est-à-dire orthodoxes, de son royaume étaient menacées de ruine « à cause des évêques et de
ces Grecs mêmes qui ne s’en occupent pas ».
Cela signifie qu’en Transylvanie il y avait, au XIe
siècle, de puissants noyaux de vie monastique orthodoxe, ce qui suppose aussi
l’existence d’hiérarques pour diriger l’activité ecclésiastique en son entier.
Outre celles-là, en Transylvanie il y avait de nombreuses
églises en pierre, dont quelques-unes
existent aujourd’hui encore, pour la plupart dans le département de Hunedoara.
Ce sont des
fondations des cnèzes roumains de ces parages :
·
Densus [ Densush ] ( Xe siècle,
refaite au XIIIe s. ),
·
Streisîngeorgiu ( XIIe s. ) – la plus vieille batisse roumaine conservée
intégralement, avec des fresques datant de 1313 – 1314 et une inscription où
sont mentionnés le prêtre Nanes [ Nanesh ] et le peintre « zugrav »
Teofil, refaite en 1408 – 1409 sur la demande du cnèze Cândres et de sa femme
Nistora - ,
·
Strei,
·
Sîntãmãria-Orlea,
·
Cetatea Coltului,
·
Gurasada ( toutes datant du XIIIe siècle ),
·
Ostrovul Mare,
·
Sînpetru,
·
Nucsoara,
·
Pesteana,
·
Lesnic,
·
Criscior,
·
Ribita,
·
le monastère Prislop ( celles-ci
du XIVe siècle ).
En voilà
maintenant dans le reste de la Transylvanie :
·
le monastère Rîmet du département d’Alba (XIVe s. ) –
comportant une inscription de 1377 où figurent les noms de l’archevêque
Ghelasie et du peintre Mihu -,
·
Zlatna,
·
l’église Saint-Nicolas de Schei à Brasov ( XVe siècle, sur l’emplacement
d’une église plus vieille ),
·
Vad et Feleac ( XVe s. )
·
et beaucoup d’autres.
Parmi les fondations
des cnèzes roumains dans le Bihor, nous citons :
·
le monastère de Voivozi ( XIIe – XIVe s. ),
·
les églises de Seghiste,
·
Remetea,
·
Tileagd ( XIVe – XVe s. ), etc.
Du Banat il faut signaler les monastères
de
- Hodos (
1177 ),
- Bezdin,
- Partos [
Partosh ],
- Lipova,
- Semlac [
Shemlac ],
- Sîngeorge,
- Sredistea
Micã,
- Vãrãdia,
- Mesici,
- Voilovita,
- Cubin,
- Zlatita,
- Cusici,
- Bazias,
- Ciclova,
- Ogradena-Veche,
tous des XIVe – XVe siècles.
Quant au
Maramures, on
peut consigner
·
le monastère Sfîntul Mihail de la localité de Peri, placé
sous la juridiction du Patriarche de Constantinople en 1391,
·
les églises de Cuhea,
·
Ieud,
·
Biserica-Albã,
·
Apsa de Mijloc,
·
Sarasãu,
·
Bîrsana,
etc., datant toutes des XIVe – XVe siècles.
De nombreux archiprêtres, prêtres et higoumènes ayant
servi dans les églises et monastères nommés sont mentionnés dans les actes du
moyen âge, à partir de la seconde moitié du XIVe siècle.
L’existence de
tant d’églises et monastères, de tant de prêtres, d’higoumènes et de moines
nous porte normalement à admettre qu’il fallait qu’il y eût aussi des évêques
pour consacrer ces églises et ces monastères, pour ordonner ces prêtres, pour
diriger ces archiprêtres et ces higoumènes.
Les nombreuses mesures de persécution prises par les
papes ou par les rois magyars ( celles surtout de Louis le Grand en 1366 et de
Sigismond de Luxembourg en 1428 ) contre l’Eglise Orthodoxe Roumaine de là-bas
nous font elles aussi conclure à l’existence d’évêques roumains en
Transylvanie.
En effet, de telles mesures n’étaient nécessaires qu’à
l’égard d’une Eglise bien organisée et nullement contre des fidèles isolés et
manquant de dirigeants ecclésiastiques, qui auraient pu être facilement convertis
au catholicisme.
Ce sont là des
preuves irréfutables concernant la continuité de l’élément roumain orthodoxe
dans les territoires intracarpatiques.
***
Les XIIIe – XIVe
siècles nous ont fourni une série de données à propos de la vie ecclésiastique
des Roumains habitant au Sud et à l’Est des Carpates.
C’est ainsi qu’une Métropole ayant sa résidence à Vicina est attestée par des
documents.
La plupart des chercheurs identifient Vicina avec la
ville Isaccea de nos jours, anciennement Noviodunum, sur la rive droite du Danube, dans la proximité du delta de ce fleuve.
Il n’est pas exclu que ce fût là une continuation de
l’évêché supposé avoir existé aux IXe – XIIe siècles toujours dans la Dobroudja
septentrionale, à Dinogetia-Garvãn.
Les hiérarques de
Vicina ( Théodore, Luc, Macaire, Cyrille, Hyacinthe ), grecs d’origine, se
trouvaient sous la juridiction directe du Patriarche de Constantinople.
Pendant la première moitié du XIVe siècle, l’importance
de Vicina commence à décliner à cause des fréquentes incursions que les Tatares
du Nord de la mer Noire faisaient dans la région.
La ville passe ensuite sous la domination de Basarab Ier,
le prince régnant de la Valachie.
Le dernier Métropolite de Vicina, Hyacinthe, sera
transféré, par le prince Nicolas Alexandre Basarab, au siège métropolitain de
la Ungrovlachie, cet acte étant reconnu en 1359 par le Patriarche œcuménique.
Une lettre émanant du pape Grégoire IX ( 1227 – 1241 ) et
datée du 14 novembre 1234 fait état de quelques « pseudo-évêques de rite
grec » dans la zone de la courbure des Carpates, dans la proximité de
l’évêché catholique des Coumans créé quelques ans auparavant.
En fait, c’étaient
des évêques orthodoxes roumains, vu que la chancellerie papale du moyen âge appelait
tous les évêques orthodoxes « pseudo-évêques » et
« grecs », sans égard à leur origine ethnique.
De même, dans le diplôme que le roi Bela IV de Hongrie (
1235 – 1270 ) donna le 2 juin 1247 aux chevaliers johannites et où sont
mentionnées les formations politiques des voïévodes Litovoi, dans le bassin du Jiu, en Olténie, et Seneslau dans le bassin de l’Arges, ainsi que celles des cnèzes Ioan et Farcas, ces deux dernières sur la rive droite de l’Olt, il est également question de certains « archevêques et
évêques », roumains ceux-ci aussi, naturellement.
Il en résulte
qu’auprès de chaque formation politique il y avait un dirigeant ecclésiastique.
En Moldavie, des hiérarques orthodoxes
devraient avoir existé dans « le pays des Bolohoveni », des
« Berladnici » et des « Brodnici », pays mentionnés dans
les sources médiévales.
En 1353, un évêque au nom de Cyrille le Roumain est signalé à Przemsyl, en Pologne, tout comme
au cours des XIe – XIVe siècles il y avait eu « l’évêché des
Vlaques » dans la péninsule des Balkans.
Sur les
photos :
Petite église rupestre du complexe monastique de Murfatlar, département Constanta, IXe-Xe
s.
Fondation d’une des églises de Dãbîca ( IXe – XIe s. ).
Vase no 9 du trésor découvert à Sînnicolaul Mare,
département de Timis, Xe siècle.
Église de Densus,
département de Hunedoara ( Xe – XIIe s. ).
Église de Gurasada,
département de Hunedoara, XIIIe siècle.
Le monastère Rîmet,
XIVe siècle.
L’église la Trinité-Sainte, de Pitesti, fondation de Matei Basarab ( 1639 ).
L’église princière Saint-Nicolas de Curtea-de-Arges, fondation de Basarab Ier et de son fils Nicolae
Alexandru ( 1352 ).
Hyacinthe de Vicina,
le premier métropolite de la Valachie au siège métropolitain de
Curtea-de-Arges, seconde moitié du XIVe s.
{
Extrait du livre : L’Eglise Orthodoxe Roumaine Monographie-Album,
pages 14-23,
publié(e) avec la Bénédiction de Sa Béatitude TEOCTIST Le Patriarche de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, Editions
de l’Institut Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, Bucarest- 1987.
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