Imparfait (L’) du subjonctif fait de
la résistance ( France Pittoresque )
( D’après « L’arrêté ministériel du 26 février
1901 sur la simplification
de la syntaxe : texte de l’arrêté suivi d’un commentaire »
(par Léon Clédat) paru en 1901, « Le problème du style : questions d’art,
de littérature et de grammaire » (par Remy de Gourmont) paru en 1902,
« Dire, ne pas dire. Bonheurs et surprises » (site Internet
de l’Académie française) publié en 2015 et « Petit dictionnaire
des phrases qui ont fait l’histoire » (par Gilles Henry) paru en 1992 )
de la syntaxe : texte de l’arrêté suivi d’un commentaire »
(par Léon Clédat) paru en 1901, « Le problème du style : questions d’art,
de littérature et de grammaire » (par Remy de Gourmont) paru en 1902,
« Dire, ne pas dire. Bonheurs et surprises » (site Internet
de l’Académie française) publié en 2015 et « Petit dictionnaire
des phrases qui ont fait l’histoire » (par Gilles Henry) paru en 1992 )
1901 et 1976 furent des années terribles
pour l’imparfait du subjonctif, un arrêté du 21 février de la première lui
substituant dans certains cas le présent du subjonctif, un autre du 28 décembre
de la seconde visant à le reléguer aux oubliettes de la langue
française : pourtant, subsiste de nos jours cette formedont l’élégance le
dispute parfois au ridicule...
Le 26
février 1901 paraissait un Arrêté
relatif à la simplification de la syntaxe française, émanant du ministère de
l’Instruction publique et des Beaux-arts et entérinant celui du
31 juillet 1900 au sujet duquel le ministre Georges Leygues avait
sollicité l’avis de l’Académie française avant d’en prescrire la mise en
vigueur.
Dans
sa circulaire du 28 février 1901 adressée aux recteurs, il précise qu’il
« estime, en effet, qu’une réforme portant sur une matière aussi délicate
doit s’appuyer sur la double autorité du Conseil supérieur de l’Instruction
publique, qui arrête les programmes des cours d’études et fixe la règle des
examens des divers ordres d’enseignement, et de l’Académie française,
dont la mission traditionnelle est de travailler à épurer et à fixer la
langue, à en éclaircir les difficultés et à en maintenir les caractères et les
principes. » Georges Leygues rapporte que le principe de la réforme ne
soulevait aucune objection et qu’en dépit de certaines divergences entre les
deux institutions, « il y avait communauté de vues dans un grand nombre de
cas où les difficultés grammaticales peuvent être simplifiées »,
justifiant ainsi l’application des mesures fixées par l’arrêté.
Dans la liste annexée à l’arrêté, on trouve
notamment le paragraphe : « Concordance
ou correspondance des temps. On tolérera le présent du subjonctif au lieu de
l’imparfait dans les propositions subordonnées dépendant de propositions dont
le verbe est au conditionnel présent. Ex. : il faudrait qu’il vienne ou qu’il
vînt. »
Dans son commentaire de cet arrêté
ministériel qu’il publie la même année,
Léon Clédat, professeur à l’Université de Lyon, avance que « Il faudrait qu’il vienne » est plus correct que « Il
faudrait qu’il vînt ». En effet, poursuit-il, si, sans changer de temps, on
substitue à falloir un autre verbe qui ne gouverne pas le subjonctif, on
dira par exemple : « Je saurais qu’il vient ou qu’il
viendra. » Le temps qui convient dans
la proposition subordonnée est donc le présent ou le futur. Or c’est
le présent du subjonctif qui correspond au présent et au futur de
l’indicatif.
« Il
faudrait qu’il vînt », explique Léon Clédat, ne serait correct que si
l’on disait, comme jadis, dans la tournure indicative : « Je
saurais qu’il viendrait ». Même en faisant dépendre le temps de la
subordonnée du temps du verbe principal, comme le faisaient à tort les
anciennes grammaires, l’imparfait ne se justifie pas après le conditionnel
présent, puisque le verbe principal est au présent du conditionnel. Si la réforme de 1901 « tolère »,
dans cette configuration, le présent du subjonctif au lieu de l’imparfait,
Clédat va plus loin : on peut tolérer l’imparfait du subjonctif, mais
c’est le présent du subjonctif qu’il faut recommander dans de tels cas.
En
somme, la disposition de l’arrêté de 1901 relative à l’usage du présent du
subjonctif au lieu de l’imparfait en présence du conditionnel présent, était
dictée par une parfaite logique grammaticale, ce qui ne sera pas le cas de
celle de 1976. En 1902, le romancier et critique d’art Remy de Gourmont se
réjouissait d’une réforme scellant un recul de l’imparfait du subjonctif, et
tançait les grammairiens qui, à ses yeux, allaient accepter malaisément la
forme « Il faudrait que
nous parlions », leur goût étant de dire « Il
faudrait que nous parlassions. »
Il voyait dans l’imparfait du subjonctif qu’une affirmation de pédantisme.
« On
ne peut le nier, écrit-il : l’imparfait du subjonctif est en train de
mourir. Des
formes comme aimassiez ont
peut-être été rendues ridicules par la floraison assez nouvelle des verbes
péjoratifs en asser — rimasser, traînasser —, et par la confusion avec
l’imparfait du présent des verbes comme ramasser,
embrasser, autrefois d’un usage restreint. Le discrédit s’est jeté par
assimilation logique sur les formes correspondantes des autres
conjugaisons : vinssiez, dormissions ; sur les formes
irrégulières et fort embarrassantes,bouillions, fuissions (fuir), pourvoyions, cousissions (coudre), moulussions (moudre)
et
l’extraordinaire nuisissions ! » Et d’ajouter, malicieux : « Quant à Il
faudrait que
nous sussions (savoir), reçussions (recevoir), n’hésitons pas à les proférer lorsque nous voulons exciter ou le
rire ou la stupeur. On embaumera ces flexions, on les roulera dans les suaires
de la grammaire historique, et cela sera très bien. »
Le 28 décembre 1976 paraissait
au Bulletin officiel de l’Éducation nationale, un nouvel arrêté. Il complétait celui de 1901 en ajoutant « (...) dans les propositions
subordonnées dépendant d’une proposition dont le verbe est à un temps du passé :
j’avais souhaité qu’il vînt ou qu’il vienne sans
tarder ». Il n’était désormais plus nécessaire que nous
sussions conjuguer ce temps, que nous l’employassions
à bon escient, que nous prissions en compte le temps du verbe de la principale et que nous écrivissions
conformément à la concordance des temps.
Il suffisait maintenant que l’on
sache, que l’on emploie, que l’on prenne et que l’on écrive.
C’était
porter un coup bien rude à ce temps, déjà trop souvent moqué pour son élégance
un peu désuète et qui semblait un peu gêné de cette protubérance en -sse, -sses, -ssions, -ssiez ou -ssent, protubérance encombrante et un peu similaire au nez
formidable de Cyrano. Rostand d’ailleurs ne s’y était pas trompé, qui fait dire
à son personnage : Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse ! Un simple Que
je me l’ampute aurait rendu cet appendice moins digne de la fameuse
tirade. L’imparfait du subjonctif, c’est le vilain petit canard du conte :
moqué parce que dissemblable, il lui faut pour s’épanouir la majestueuse
compagnie des cygnes. Cet imparfait, un nom étrange qui paraît désigner quelque
être disgracié, n’est, au fond, pas plus un imparfait que le cygne n’est un
canard. Retrouver
qui l’a engendré, c’est retourner aux sources de son élégance : cet allongement en -sse, -sses, etc. lui vient
de son vrai père, le plus-que-parfait du subjonctif latin du type amavissem.
L’imparfait du subjonctif a en effet ce talent rare de
donner de l’élégance à tout verbe, quelque trivial que soit ce dernier. Prenons-en un qui soit peu ragoûtant, comme cracher.
Il semble bien difficile de lui donner bonne mine. Confions-le au Charles
Trénet du Grand Café qui le mettra au subjonctif imparfait, et
l’expectoration deviendra presque poétique :
Par terre on avait mis de la sciure de bois
Pour que les cracheurs crachassent comme il se doit.
Pour que les cracheurs crachassent comme il se doit.
Et ce n’est pas la seule vertu de ce temps. Il a aussi un caractère euphémistique qui lui permet de
faire passer pour d’innocentes gamineries les scènes les plus violentes, les
actes les plus barbares pour des espiègleries d’enfants de chœur. C’est ce que
fait Rabelais quand il raconte la victoire de frère Jean des Entommeures sur
les pillards qui détruisaient les vignes de l’abbaye : « Les
petits moinetons coururent au lieu où était frère Jean et lui demandèrent en
quoi ils voulaient qu’ils lui aidassent. A quoy répondit qu’ils
égorgetassent ceux qui étaient portez par terre. »
Rappelons,
pour conclure, cette anecdote, preuve d’attachement à l’imparfait du
subjonctif, arrivée à Nicolas Beauzée, né en 1717 et élu académicien en 1772.
Il fut un des collaborateurs de la fameuse entreprise de l’Encyclopédie et
surtout l’auteur d’uneGrammaire générale qui contribua, comme pour
Malherbe, à lui valoir sa réputation de froide rigueur. N’est-ce pas Rivarol,
le fameux auteur du Discours sur l’universalité de la langue
française qui dit de lui : « C’est un bien honnête homme qui passe
sa vie entre le supin et le génitif. »
Plus
jeune que son grammairien de mari, Madame Beauzée avait une liaison avec un
précepteur allemand. Au retour d’une
séance de l’Académie, en 1775, Nicolas Beauzée surprit un jour les amants.
Le séducteur, qui dit alors à l’épouse infidèle : « Quand je
vous avertissais, madame, qu’il fallait que je m’en aille », fut repris par l’académicien qui le corrigea
ainsi : « Eh, monsieur, dites au moins : Que je
m’en allasse ! »
Sursa:
https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article14676
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