Mots (Ces) qui
changent de sexe au pluriel ( France Pittoresque )
(Source : Le Figaro)
Publié / Mis à
jour le JEUDI 14 DÉCEMBRE 2017, par LA RÉDACTION
Des amours « fous » ou
« folles », des aigles « impériaux » ou
« impériales » ? La langue française regorge de petites
subtilités. Claude Duneton (1935-2012) analysait ces cas uniques dans une
chronique. La voici.
Faut-il
l’avouer ? Beaucoup de mots français flottent d’un genre à l’autre. Certains parce qu’ils ont
changé de genre entre le XVIe siècle et nos jours, la langue populaire
ayant conservé longtemps leur sexe d’origine — c’est le cas des grosses
légumes, ou de la poison. D’autres continuent à être en suspens ; le mot perce-neige, par exemple, est porté féminin par tous les
dictionnaires, continûment jusqu’à aujourd’hui, alors qu’on l’emploie au masculin depuis la Restauration. Une
chanson de 1807 s’intitule La
Perce-neige, une autre de 1830 Le Perce-neige. Le Robert relève les
deux genres, en 2001, sans broncher.
Ongle fut autrefois masculin ou féminin selon les
gens ; Bossuet met indifféremment aigle à l’un et l’autre genre,
disant tantôt « ainsi qu’une aigle
volante » dans une oraison funèbre, tantôt « avec la vitesse d’un aigle » dans une autre. La Fontaine l’aimait bien femelle : « On fit entendre à l’aigle qu’elle
avait tort »... Or, tandis que le
masculin gagnait du terrain pour l’oiseau vivant, l’aigle en effigie, sur des
étendards, demeurait féminine ; on ne parle que de l’aigle
romaine, et l’usage veut que l’on ait conservé « les aigles
impériales ».
Question délicate : faut-il dire une couple
de pigeons, comme l’affirme votre vieil oncle lettré pendant les repas
de famille où on les sert avec des petits pois du jardin ? Oui, on le peut, c’est joli. Mais contrairement à ce que
croit votre parent, on n’est pas obligé... Bien sûr couple devrait être féminin de par son origine latine copula. Il l’a été longtemps : « Belle couple, heureuse union »,
dit Du Bellay. « Comme une couple de chevaux attelés », dit Montaigne. La question n’était pas tranchée au
XVIIe siècle ; Ménage accepte
indifféremment un ou une couple de pigeons. Il ajoute
(c’est essentiel) : « Comme disent les femmes ». Cette remarque
en dit long : le féminin se sera perpétué en catimini aux cuisines. « Marguerite nous préparera une couple
de pigeons pour le baptême ! » Cela sent les raffinements de la
cuisine bourgeoise de Mme Saint-Ange ; votre vieil oncle a
raison !
Mais
on peut dire aussi une couple de bœufs, une couple d’heures —
sauf si les bœufs sont attelés ensemble au joug, alors on dira une paire de
bœufs. Ô nuance !... Pour
Richelet (en 1694), couple est
masculin en parlant des personnes, féminin en parlant d’animaux ou de choses
— ce qui paraît d’un systématisme un peu exagéré. Au fond, au temps jadis,
c’était surtout au choix du client ; ajoutons que dans certains cas
l’usage a séparé les sens : une pendule
donne l’heure, un pendule
donne... des frissons : « Et l’amour, dites-moi ? »
Oh ! l’amour, grande affaire intime ! Pour Vaugelas (1647) :
« Il est masculin et féminin, mais non pas toujours indifféremment, car
quand il signifie Cupidon, il ne peut être que masculin, et quand on parle de
Dieu. »
L’amour fou
mais de folles amours
L’amour est divin, et pas divine. « On dit fort
bien , continue le
grammairien de Savoie, l’amour des pères
et des mères pour leurs enfants est si pleine de tendresse, ou bien si
plein de tendresse, et ainsi de tous les autres. » Cependant, pour
lui-même, Vaugelas préfère le féminin, « selon l’inclination de notre
langue qui se porte d’ordinaire au féminin plutôt qu’à l’autre genre ». Il
donne enfin pour exemple : « La
petite amour parle, et la grande est muette. » C’est vrai, au fond,
comme la douleur...
D’autres
auteurs du siècle classique suggéraient que l’amour fût masculin en prose, et
féminin dans les vers ; ce qui paraît bizarre, mais que l’on peut
comprendre à une époque où l’on portait la poésie plus haut que tout. Nous
aurions des amours rimées et des amours
prosaïques... Thomas Corneille, le petit frère du « Grand », a
énoncé la règle qui a prévalu, couci-couça, dans le monde moderne : « Quand l’amour est pluriel, dit-il,
et qu’il signifie des commerces de passion, il doit être féminin. »
Oui, l’amour
fou, mais de folles amours. Les amours enfantines sont de beaux attachements éprouvés dans
l’enfance ; des « amours enfantins » désignerait un sentiment niais, un peu simplet.
Ah !
que j’aime, pour ma part, s’écrie Claude Duneton, ces fluctuations au gré des
humeurs : des amours printaniers seraient au mieux des Cupidons précoces ; tandis que
les amours
printanières s’en vont main dans la
main, vêtues de robes claires, le long de chemins herbus. C’est la richesse
d’un idiome de pouvoir se plier à des caprices d’auteur. Pour vous vanter
encore la beauté de notre langue, il me faudrait une couple d’heures, au moins !
Claude Duneton
Le Figaro
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Le Figaro
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Sursa :
https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article14666
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