L’autoconservation
des ovocytes ou la tentation de s’affranchir du temps ( La Croix, October 27,
2014 )
Aux
États-Unis, les entreprises Apple et Facebook ont annoncé qu’elles couvriraient
les frais engagés par leurs salariées qui souhaitent reporter leur projet de grossesse au-delà
de 40 ans en ayant recours à la congélation de leurs ovocytes.
Une
possibilité interdite en France, mais réclamée par certains.
27/10/14 - 14 H 13
Aux États-Unis, certains n’hésitent pas à
parler d’une «révolution»comparable à celle que fut, dans les années 1970,
l’arrivée de la pilule.
L’autoconservation
des ovocytes permet à une jeune femme de faire prélever ses ovocytes, notamment
quand sa fertilité est maximum, vers 20 ou 30ans, puis de les congeler.
Plus tard, vers 40
ou 50ans, elle pourra les faire décongeler, féconder in vitro puis se les voir
réimplanter pour commencer sa grossesse.
La technique est pratiquée depuis plusieurs
années outre-Atlantique, où elle est en vogue.
Mais deux
grandes entreprises, Facebook et Apple, viennent d’y apporter un nouvel élan,
en annonçant, comme d’autres avant elles, qu’elles
prendraient en charge à hauteur de 20000 dollars (16 000€) les traitements
contre l’infertilité de leurs salarié(e)s, y compris l’autoconservation des ovocytes (lire La Croix du
20 octobre) .
À l’heure où
l’âge du premier enfant ne cesse de reculer, où les relations amoureuses sont
de plus en plus chaotiques et les ruptures tardives, les femmes y ayant recours
se disent libérées de la pression de
«l’horloge biologique» et de l’obligation, à 30 ou 35 ans, de trouver
«absolument» un père pour leur enfant.
Surtout, les trentenaires entendent ainsi
s’investir pleinement dans leur vie professionnelle, sans être freinées dans
leur ascension par la maternité : plutôt que de choisir
entre l’une et l’autre, elle diffère la seconde.
Les
entreprises, évidemment, y trouvent aussi leur compte.
Combien de femmes ont déjà eu recours à cette technique,
autorisée aux États-Unis, mais aussi en Espagne, en Belgique, en Italie ?
Dans la presse
américaine, médecins et laboratoires parlent de 2 000 à 5 000 bébés
nés.
Dans un
article publié dans BusinessWeek en avril, le New York University
Fertility Center assurait procéder à 5 à 10ponctions par semaine.
En 2013, l’autoconservation représentait le
tiers de leur «business».
Car c’est bien de
cela qu’il s’agit : aux États-Unis, l’ensemble de la procédure (stimulation hormonale, suivi
médical, ponction des ovocytes, vitrification) coûte entre 10 000 et
15 000 dollars (entre 7 900 € et 11 800€), auxquels il faut
ajouter 500 à 1000 dollars (393€ à 786€) par an pour la conservation.
Sur une
dizaine d’années (prélèvement avant 35ans, grossesse avant 45ans), le procédé
revient donc très cher.
Et en France, qu’en est-il ?
L’autoconservation
«sociétale» ou «pour convenance» est interdite.
En revanche,
elle est autorisée pour raisons médicales, depuis la loi de bioéthique de 2011.
Ainsi, elle
est régulièrement pratiquée quand une femme est soumise à des traitements qui
peuvent rendre infertiles, comme une chimiothérapie.
La loi autorise
aussi l’autoconservation pour les femmes donnant leurs ovocytes : une partie du
prélèvement est donnée, l’autre est conservée pour son propre et éventuel futur
usage.
Cette mesure,
qui n’est cependant pas appliquée faute de décret, a été décidée pour favoriser
le don d’ovocytes, qui connaît une pénurie en France.
Pour le Collège national des gynécologues
et obstétriciens français (CNGOF), l’autoconservation ne peut être un élément de marchandage
en échange du don, elle doit être ouverte à
toutes les femmes.
En décembre 2012, le CNGOF a
officiellement pris position en ce sens, estimant que cette technique est, «avec le don d’ovocytes, la seule méthode de
traitement de l’infertilité réellement efficace à 40 ans et plus».
«Il y a un
fait de société majeur et largement sous-estimé qui est le retard de la
procréation, explique son président, Bernard Hédon.
Nous ne
cessons de recevoir dans nos cabinets des femmes de 40 ans passés qui,
bien qu’elles aient su qu’il ne fallait pas trop attendre pour concevoir, n’ont
pas pu le faire avant.
On les engage
alors dans des processus de FIV (fécondation in vitro) complexes, coûteux et
qui sont loin de donner toujours des résultats.»
Plus qu’une affaire de relations ou de
carrière, c’est selon lui, plus globalement, une question de mentalité : «Aujourd’hui, quand une femme de 25 ans devient
enceinte, on lui dit qu’elle est bien jeune pour
cela, remarque-t-il. Or, c’est pourtant le bon âge, d’un point de vue
biologique.
Le message
essentiel doit d’ailleurs rester : “Faites des enfants jeunes.” Car la congélation n’offre aucune garantie de grossesse : ce n’est qu’une aide,
limitée, quand on n’a pas pu faire autrement.»
Sauf que pour beaucoup de médecins, l’ouverture
de cette technique pour convenance envoie justement un message contradictoire.
Elle risque de
favoriser les grossesses tardives, au-delà de 43ans, à haut risque pour la mère
et l’enfant : fausse couche, diabète gestationnel, hypertension…
Une des
questions posées par cette technique est d’ailleurs : jusqu’à quel âge réimplanterait-on l’ovocyte fécondé ?
Des exemples extrêmes
de mères accouchant à 60 ans font régulièrement la une des journaux.
Le CNGOF, lui,
fixe une limite à 45ans, voire 50ans pour une femme qui ne cumule aucun autre
facteur de risque.
«On crée l’illusion que la science peut tout, que l’on
peut avoir un enfant à n’importe quel âge, alors que la procréation est quand
même un processus naturel, déplore Louis Bujan, président de la fédération
des Centres d’études et de conservation des œufs
et du sperme (Cecos).
On crée des
besoins qui n’existent pas : certes, l’âge de la maternité recule, mais il y a
encore de la marge avant d’en arriver à ces âges-là.
Plutôt que
d’abonder dans ce sens, il faudrait se poser la question de savoir pourquoi les
femmes reculent leurs projets de maternité.»
En janvier 2013, la fédération a pris
position contre l’autoconservation pour convenance, insistant notamment sur la
question du coût et de la prise en charge :
«Cela pose un
vrai problème éthique, poursuit Louis Bujan.
Étant donné le
coût, que l’on pourrait estimer à 3000€ en France, hors fécondation in vitro et
réimplantation, toutes les femmes n’y auront pas accès.
Faut-il que la
Sécurité sociale le prenne en charge ?
Et si oui, au
détriment de quel autre remboursement ?»
C’est ainsi un véritable choix de société
qui est en jeu.
L’Observatoire
de la parentalité en entreprise ne s’y est pas trompé, son président, Jérôme
Ballarin, se disant «choqué» par l’annonce de Facebook et Apple :
«C’est en
réorganisant la vie professionnelle autour de la vie privée et non en faisant
l’inverse que nous construirons une société équitable et épanouie», a-t-il
jugé dans un communiqué.
Quant à la
ministre de la santé, Marisol Touraine, elle a estimé que «le débat est un débat médical,
éthique, ça n’est certainement pas un débat pour directeurs de ressources
humaines».
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CE QUE DIT LA LOI
BIOÉTHIQUE
En
juillet 2011, la révision de loi de bioéthique autorise, en
France,«la technique de congélation ultra-rapide des ovocytes».
En France, le
premier bébé conçu après cette technique naît le 4 mars 2012.
Quand une
femme donne ses ovocytes, une partie de la ponction peut être conservée
pour usage propre : «Lorsqu’il est majeur, le donneur peut ne pas
avoir procréé. Il se voit alors proposer le recueil et la conservation d’une
partie de ses gamètes (…) en vue d’une éventuelle réalisation ultérieure, à son
bénéfice, d’une assistance médicale à la
procréation».
En France, le don
d’ovocytes souffre d’une pénurie: en 2012, 422 femmes ont fait un don pour
près de 800 fécondations in vitro réalisées ; 2 110 couples étaient en attente
d’un don d’ovocytes; 164 enfants sont nés suite à une PMA avec un don.
Flore thomasset “
http://www.la-croix.com/Ethique/Sciences-Ethique/Sciences/L-autoconservation-des-ovocytes-ou-la-tentation-de-s-affranchir-du-temps-2014-10-27-1255166?xtor=EPR-9-%5B1300732498%5D
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