La féminisation des noms
de métiers, fonctions, grades ou titres - Mise au point de l’Académie française
Le 10 octobre 2014
Déclaration de l’Académie française
Mise au point de l’Académie
française
Un
incident récent opposant à l’Assemblée nationale un député à la
« présidente de séance » a attiré l’attention du public sur la
féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. L’Académie
française, fidèle à la mission que lui assignent ses statuts depuis 1635, tient
à rappeler les règles qui s’imposent dans notre langue pour la formation et
l’emploi de ces termes :
1. L’Académie française n’entend
nullement rompre avec la tradition de féminisation
des noms de métiers et fonctions, qui découle de l’usage même :
c’est ainsi qu’elle a fait accueil dans la 8e édition de son Dictionnaire (1935) à artisane et à postière,
à aviatrice et àpharmacienne, à avocate, bûcheronne, factrice, compositrice, éditrice et exploratrice.
Dans la 9eédition, en cours de publication, figurent par
dizaines des formes féminines correspondant à des noms de métiers. Ces mots
sont entrés naturellement dans l’usage, sans qu’ils aient été prescrits par
décret : l’Académie les a enregistrés pourvu qu’ils soient de formation
correcte et que leur emploi se soit imposé.
Mais, conformément à sa mission, défendant
l’esprit de la langue et les règles qui président à l’enrichissement du
vocabulaire, elle rejette un
esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées,
des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière,auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne
rien dire de chercheure,
qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de
véritables barbarismes. Le
français ne dispose pas d’un suffixe unique permettant de féminiser
automatiquement les substantifs. S’agissant des métiers, très peu de noms
s’avèrent en réalité, du point de vue morphologique, rebelles à la féminisation
quand elle paraît utile. Comme bien d’autres langues, le français peut par
ailleurs, quand le sexe de la personne n’est pas plus à prendre en
considération que ses autres particularités individuelles, faire appel au masculin à valeur générique,
ou « non
marquée ».
2. En 1984, après que le gouvernement eut
pris une première initiative en faveur de « la féminisation des titres et
fonctions et, d’une manière générale, du vocabulaire concernant les activités
des femmes », l’Académie française fit publier une déclaration rappelant
le rôle des genres grammaticaux en français. Les règles qui régissent dans
notre langue la distribution des genres remontent au bas latin et constituent
des contraintes internes avec lesquelles il faut composer. L’une des
contraintes propres à la langue française est qu’elle n’a que deux
genres : pour désigner les qualités communes aux deux sexes, il a donc
fallu qu’à l’un des deux genres soit conférée une valeur générique afin qu’il
puisse neutraliser la différence entre les sexes. L’héritage latin a opté pour
le masculin. Les professeurs Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss, à qui la
Compagnie avait confié la rédaction de ce texte, adopté à l’unanimité dans la
séance du 14 juin 1984, concluaient ainsi : « En français, la marque
du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et
femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la
totalité du lexique, un principe de classification permettant éventuellement de
distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer
des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation,
et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des
constructions nominales… Tous ces emplois du genre grammatical constituent un
réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle
mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent
avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. Ils risquent de mettre la
confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il
paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier »
(déclaration faite en séance, le 14 juin 1984) → voir le
texte complet de cette déclaration.
3. Le 21 mars 2002, l’Académie française
publie une nouvelle déclaration pour rappeler sa position, et, en particulier,
pour souligner le contresens linguistique sur lequel repose l’entreprise de
féminisation systématique. Elle
insiste sur les nombreuses incohérences linguistiques qui en découlent (ainsi
une recteure nommée directrice d’un service du ministère de
l’Éducation nationale, ou la concurrence des formes recteure et rectrice – préférée par certaines titulaires de
cette fonction). La Compagnie fait valoir que brusquer et forcer l’usage
revient à porter atteinte au génie même de la langue française et à ouvrir une
période d’incertitude linguistique.
« Un
catalogue de métiers, titres et fonctions systématiquement et arbitrairement
"féminisés" a été publié par la Documentation française, avec une
préface du Premier ministre. La presse, la télévision ont suivi avec
empressement ce qui pouvait passer pour une directive régalienne et
légale » (déclaration adoptée à l’unanimité dans la séance du 25 mars
2002). Or aucun texte
ne donne au gouvernement « le
pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du
français ». Nul ne peut
régenter la langue, ni prescrire des règles qui violeraient la grammaire ou la
syntaxe : elle n’est pas en effet un outil qui se modèle au gré des désirs
et des projets politiques. Les compétences du pouvoir politique sont limitées
par le statut juridique de la langue, expression de la souveraineté nationale
et de la liberté individuelle, et par l’autorité de l’usage qui restreint la
portée de toute terminologie officielle et obligatoire. Et de l’usage, seule l’Académie
française a été instituée « la gardienne ».
4. Il convient par ailleurs de
distinguer des noms de métiers les termes désignant des fonctions officielles
et les titres correspondants. Dans
ce cas, les particularités de la personne ne doivent pas empiéter sur le
caractère abstrait de la fonction dont elle est investie, mais au contraire
s’effacer derrière lui : c’est ce que mettait en lumière un rapport remis,
à sa demande, au Premier ministre en octobre 1998 par la Commission générale de
terminologie et de néologie, qui
déconseillait formellement la féminisation des noms de titres, grades et
fonctions officielles, par distinction avec les noms de métiers, dont le
féminin s’impose naturellement dans l’usage. Ce texte marquait une grande
convergence de vues avec l’Académie française et complétait utilement les
déclarations sur cette question que la Compagnie avait elle-même rendues
publiques. En 2002, l’Académie française constate que, « de ce rapport, le
gouvernement n’a pas plus tenu compte » que de l’« analyse
scientifique irréfutable » des Professeurs Georges Dumézil et Claude
Lévi-Strauss.
La Commission générale rappelle que, si l’usage féminise aisément les métiers, « il
résiste cependant à étendre cette féminisation aux fonctions qui sont des mandats
publics ou des rôles sociaux distincts de leurs titulaires et accessibles aux
hommes et aux femmes à égalité, sans considération de leur spécificité. […] Pour nommer le sujet de
droit, indifférent par nature au sexe de l’individu qu’il désigne, il faut se
résoudre à utiliser le masculin, le français ne disposant pas de neutre ».
Elle ajoute que « cette indifférence juridique et politique doit être
préservée dans la règlementation, dans les statuts et pour la désignation des
fonctions ». Elle affirme « son opposition à la féminisation des noms
de fonction dans les textes juridiques en général, pour lesquels seule la
dénomination statutaire de la personne doit être utilisée. » Elle « estime que les
textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des
fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne
doit pas être dérogé » dans les décrets, les instructions, les arrêtés et
les avis de concours. Les
fonctions n’appartiennent pas en effet à l’intéressé : elles définissent
une charge dont il s’acquitte, un rôle qu’il assume, une mission qu’il
accomplit. Ainsi ce n’est pas en effet Madame X qui signe une circulaire, mais
le ministre, qui se trouve être pour un temps une personne de sexe
féminin ; mais la circulaire restera en vigueur alors que Madame X ne sera
plus titulaire de ce portefeuille ministériel. La dénomination de
la fonction s’entend donc comme un neutre et, logiquement, ne se conforme pas au
sexe de l’individu qui l’incarne à un moment donné. Il en va de même pour les
grades de la fonction publique, distincts de leur détenteur et définis dans un
statut, et ceux qui sont des désignations honorifiques exprimant une
distinction de rang ou une dignité. Comme le soutient la Commission générale,
« pour que la continuité des fonctions à laquelle renvoient ces
appellations soit assurée par-delà la singularité des personnes, il ne faut pas
que la terminologie signale l’individu qui occupe ces fonctions. La neutralité doit souligner l’identité du rôle et
du titre indépendamment du sexe de son titulaire. »
5. Cependant, la Commission
générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a
fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au
sexe des individus « peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime
des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement
destinées, leur appellation avec leur identité propre. » Elle estime que, « s’agissant
des appellations
utilisées dans la vie courante (entretiens,
correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les
grades, rien ne s’oppose, à
la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en
accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient
féminisées ou maintenues au masculin générique selon
le cas ». La Commission générale conclut justement que
« cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du
sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la
reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité
juridique ».
En 2002, l’Académie française, opposée à
toute détermination autoritaire de l’usage, rappelait qu’elle avait tenu à
« soumettre à l’épreuve du temps » les « recommandations »
du Conseil supérieur de la langue française publiées en 1990 au Journal officiel au lieu de les imposer par décret,
bien qu’elle les ait approuvées et enregistrées dans la 9e édition
de son Dictionnaire :
elle a en quelque sorte libéré l’usage, en laissant rivaliser des formes
différentes sans chercher à en proscrire autoritairement aucune, jusqu’à ce que
la meilleure l’emporte. C’est à cette attitude, conforme à la manière dont elle
a exercé continûment son magistère depuis près de quatre siècles, qu’elle
entend demeurer fidèle.
Académie
française
le 10 octobre 2014
le 10 octobre 2014
***
Féminisation
des titres et des fonctions
Le 14 juin 1984
Déclaration
de l’Académie française
L’Académie
a appris par la presse l’existence d’une Commission de terminologie, créée à
l’initiative du Gouvernement (décret du 29 Février 1984), « chargée
d’étudier la féminisation des titres et des fonctions et, d’une manière générale,
le vocabulaire concernant les activités des femmes ».
Le décret
précise que « la féminisation des noms de professions et des titres vise à
combler certaines lacunes de l’usage de la langue française ».
On peut
craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette commission ne procède
d’un contresens sur la notion de genre grammatical, et qu’elle ne débouche sur
des propositions contraires à l’esprit de la langue.
Il convient
en effet de rappeler qu’en français comme dans les autres langues indo-européennes,
aucun rapport d’équivalence n’existe entre le genre
grammatical et le genre naturel.
Le français
connaît deux genres, traditionnellement dénommés « masculin » et
« féminin ». Ces vocables hérités de l’ancienne grammaire sont
impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu
égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres
respectivement marqué et non marqué.
Le genre
dit couramment « masculin » est le genre non marqué,
qu’on peut appeler aussi extensif en ce sens qu’il a capacité à
représenter à lui seul les éléments relevant de l’un et l’autre genre. Quand on
dit « tous les hommes sont mortels », « cette ville compte
20 000 habitants », « tous les candidats ont été reçus à
l’examen », etc., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou
des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l’opposition des
sexes n’est pas pertinente et qu’on peut donc les confondre.
En
revanche, le genre dit couramment « féminin » est le genre marqué, ou intensif.
Or, la marque est privative. Elle affecte le terme marqué d’une limitation dont
l’autre seul est exempt. À la différence du genre non marqué, le genre marqué,
appliqué aux être animés, institue entre les sexes une ségrégation.
Il en
résulte que pour réformer le vocabulaire des métiers et mettre les hommes et
les femmes sur un pied de complète égalité, on devrait recommander que, dans
tous les cas non consacrés par l’usage, les termes du genre dit
« féminin » - en français, genre discriminatoire au premier chef -
soient évités ; et que, chaque fois que le choix reste ouvert, on préfère
pour les dénominations professionnelles le genre non marqué.
Seul maître
en la matière, l’usage ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Quand on a
maladroitement forgé des noms de métier au féminin, parce qu’on s’imaginait
qu’ils manquaient, leur faible rendement (dû au fait que le cas non marqué
contenait déjà dans ses emplois ceux du cas marqué) les a très vite empreints
d’une nuance dépréciative : cheffesse, doctoresse, poétesse, etc. On peut
s’attendre à ce que d’autres créations non moins artificielles subissent le
même sort, et que le résultat aille directement à l’encontre du but visé.
Il convient
enfin de rappeler qu’en français la marque du féminin ne sert qu’accessoirement
à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs
en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de
classification, permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de
souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des
grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de
l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales... Tous ces
emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation
contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de
propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions
insoupçonnées. Ils risquent de mettre la confusion et le désordre dans un
équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à
l’usage le soin de modifier.
Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss
de l’Académie française
de l’Académie française
http://www.academie-francaise.fr/actualites/feminisation-des-titres-et-des-fonctions
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